En écoutant votre dernier disque, on se demande si la seule chance de survie de la chanson française ne vient pas des musiques du monde ?

Oui, mais cela existe depuis toujours. Regardez les polkas de Brel: c’est polonais non ? Et ses tangos funèbres ? Regardez l’Italie qui noyaute les chansons de Brassens ! Sans parler de l’Afrique du Nord: Khaled a chanté en français, moi en kabyle ! Ils ont traduit  » San Francisco  » en  » Tizi Ouzou  » (rires): magnifique mais très difficile à prononcer. Il y a trois sortes de  » s « . Il paraît que j’ai l’accent des bonnes soeurs: les seules qui apprenaient le kabyle, les militaires se contentant – éventuellement – de l’arabe. A part peut-être les bourrées auvergnates, la chanson française n’a pas de lois musicales propres.

Vous avez effectué une grande tournée internationale avec le répertoire de Brassens. Devant un public très franco-français ?

Non, très mélangé. Rien qu’en Afrique, j’ai fait dix pays. Au Yémen, j’ai rencontré un flic qui apprenait le français avec les chansons de Brassens. Au Cameroun, un fou de Brassens connaissait absolument tous les textes par coeur, sauf le couplet inédit des  » Passantes  » que je lui ai donné.

Brassens, c’est aussi le rapport à la religion: au Québec comme en Vendée, dans certaines villes, ses chansons choquent encore. A Porto Rico, les professeurs de français des écoles déconseillaient d’amener les enfants à mes concerts. Cela m’a beaucoup réconforté de savoir qu’il reste encore des choses qui puissent choquer les gens à notre époque.

Vous avez eu un début de carrière très rapide puis un passage à vide important: rien n’est jamais gagné?

Quand je vivais ces moments-là, je me disais:  » Le dernier disque n’a pas marché, c’est pas grave: le prochain ira mieux… ». C’est ce qui s’est d’ailleurs produit. Même si vers 1984-85, je commençais à avoir de vrais problèmes d’argent. C’est quand  » Né quelque part  » a décollé en 1987 qu’on s’est mis à me parler de traversée du désert. Pour moi, ce désert était rempli de rencontres, de chansons, de voyages. Cela me semblait naturel que le public se lasse d’un chanteur, surtout quand celui-ci avait été un grand succès adolescent. Jacques Bedos m’a raconté que quand il était directeur de la Radio-Télévision française à Alger, avant 1962, il avait accueilli Brel à l’aéroport d’Alger. Brel était désespéré: il pensait que les yé-yé allaient tout balayer. Il n’avait pas encore écrit  » Ne me quitte pas « .

Un des morceaux du disque  » Les Chevaux rebelles  » a été écrit par Jean-François Deniau, navigateur et homme politique.

Deniau a été ministre de Charles de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, navigateur et, surtout, homme de missions secrètes: négociant le départ de l’armée russe de Kaboul ou discutant avec les ravisseurs d’otages. Il a beaucoup fréquenté les Afghans ou les Kabyles qu’il a baptisés  » Les chevaux rebelles « . Deniau avait écrit pour le chanteur algérien Matoub Loubnès: celui-ci a été assassiné et ses copains kabyles lui ont dit de me donner le texte.

Propos recueillis par Philippe Cornet

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