Ils sont en mal de reconnaissance, monopolisent la parole et ramènent tout à eux… Ces égocentriques nouvelle génération, on les appelle les CCM :  » C’est Comme Moi « . Explications.

Ne perdez pas votre temps à googliser : CCM est un néologisme de notre cru. Né d’un état d’exaspération chronique devant la recrudescence d’un certain type de comportement qui consiste à ne s’intéresser aux autres que dans la mesure où ceux-ci permettent de raconter sa vie. Illustration par une conversation de bureau. Vous :  » Je n’ai pas pu bouger du week-end, j’ai été bloqué par une sciatique…  » Le CCM, du tac au tac :  » C’est comme moi, il y a deux ans, j’ai dû annuler mes vacances parce que j’avais mal au dos. Du coup, je suis allé voir un kiné qui n’a pas su déterminer ce que j’avais, donc j’ai consulté un ostéopathe bla-bla-bla.  » Et vous voilà parti pour dix bonnes minutes de description des divers symptômes, du cheminement médical, des conséquences désastreuses de l’annulation des vacances, etc. Pour couronner le tout, le CCM vous demande à peine comment vous vous sentez. Vous avez donc passé un week-end pourri mais, en plus, vous tenez le crachoir à un malotru. Et vous ne pouvez même pas fuir en prétextant un  » rendez-vous à l’extérieur « , bloqué que vous êtes par votre sciatique. Ce genre d’histoires arrive tout le temps. Au bureau surtout. Parce que c’est un lieu paradoxal. Où règne l’intime – on y raconte sa vie, ses loisirs, sa famille – mais pas l’amour – on n’a pas choisi les gens avec lesquels on travaille, on ne les  » aime  » pas. Il n’y a donc aucune raison de supporter les débordements que l’on accepterait des êtres aimés. Les CCM sont usants parce qu’ils sont partout, irritants parce que, avec eux, le dialogue devient monologue. Il est donc impératif de les repérer au plus vite, pour mieux les fuir.

QU’EST-CE QU’UN CCM ?

On peut imaginer que, dans un monde où il faut lutter pour se faire une place, affirmer sa personnalité, communiquer sur soi, il serait un avatar, maladroit, de l’individualisme. En fait, non.  » L’individualiste est intellectuellement et émotionnellement ouvert aux autres, et ne craint pas d’être critiqué. D’ailleurs, il ne cherche pas l’approbation ou l’admiration. Il accepte que l’autre soit autonome, comme il l’est lui-même. Parce qu’il s’estime à sa juste valeur, son idéal du Moi est adapté à ses possibilités « , analyse Jean-Charles Bouchoux, psychanalyste et psychothérapeute, auteur de La Pulsion. C’est plus fort que moi… (éd. Eyrolles). Ce n’est pas non plus un égoïste, qui ne se soucie pas des autres. En réalité, c’est un bon vieil égocentrique, obsédé par le jugement d’autrui. Ou, en langue psy, une personnalité narcissique. Et, comme on le pressentait,  » il est encouragé par une société de consommation qui titille son nombrilisme, ses désirs, ses envies « , nous confirme Didier Pleux, auteur de De l’adulte roi à l’adulte tyran (éd. Odile Jacob). Il veut être aimé, admiré, reconnu. Toute critique ou remise en question le rend malheureux. Comme il s’observe en permanence, il pense que le reste du monde fait de même.  » De l’égocentrisme à la tendance paranoïaque, il n’y a donc qu’un pas, explique Jean-Charles Bouchoux : il se sent systématiquement désapprouvé, voire persécuté. Si, à une de ses propositions, vous répondez  » oui, mais… « , il ne retiendra que le  » mais « . Ses difficultés, ses erreurs sont toujours imputables aux autres : s’il fait tomber un pot de confiture, c’est parce que quelqu’un l’aura mal posé. Si vous oubliez de le saluer le matin, il pensera que vous lui en voulez et vous demandera de vous justifier.  »

COMMENT LE DEVIENT-ON ?

Comme le dit Frédéric Fanget, psychiatre et psychothérapeute, auteur de Je me libère (éd. Odile Jacob),  » les psychologues cognitivistes ont montré que chaque être humain a une façon de penser qui lui est propre. Certains ont tendance à endosser la responsabilité totale de ce qui ne va pas ou de leurs erreurs. On dit alors qu’ils ont un lieu de contrôle interne. Avantage : sens marqué des responsabilités, refus de se dérober. Inconvénient : excès de culpabilité. D’autres situent au contraire l’origine de leurs difficultés à l’extérieur d’eux-mêmes, ce sont les autres ou l’environnement qui sont responsables. On dit alors que le lieu du contrôle est externe. Avantage : moins de culpabilité, de remise en question, donc moins de souffrance. Inconvénient : on considère que c’est toujours aux autres de régler les problèmes.  » Les CCM ont évidemment un  » locus externe « . Pour Didier Pleux, le CCM parade  » parce qu’il est dans l’angoisse d’être frustré par la vie d’autrui. Il est envieux, et le moyen qu’il a trouvé pour ne pas en souffrir est de noyer l’adversaire sous  » ma façon de vivre est la meilleure « . A certains égards, la conversation avec l’autre lui est désagréable, voire insupportable. Il assujettit le monde pour éviter tout retour d’information, avec ses éventuelles remises en question, sur son bonheur de façade « .

Mais pourquoi diable est-il envieux ? Toujours la même histoire : la faille narcissique. Soit un déficit d’amour de soi fondé dans l’enfance. Car le sentiment de sa valeur, la capacité à s’aimer ne sont jamais des facultés données au départ. Elles se construisent. Et un enfant ne les bâtit jamais seul, mais toujours dans la relation aux autres et, particulièrement, à ces deux premiers  » autres  » essentiels que sont ses parents.

COMMENT LE CCM VIT-IL AVEC LES AUTRES ?

Il n’est pas méchant. Ce n’est pas un pervers narcissique ! Si le PN est aussi CCM, l’inverse n’est pas vrai.  » Le trouble de personnalité narcissique se caractérise par un égocentrisme démesuré, un sentiment de supériorité, une recherche excessive d’admiration et une insensibilité aux sentiments et aux besoins d’autrui. Les relations interpersonnelles de celui qui souffre de ce trouble sont généralement perturbées. Le pervers narcissique est intransigeant et méprisant envers son entourage « , rappelle Jean-Charles Bouchoux.

Or, le CCM n’est pas dangereux, il est juste fatigant… Il est d’ailleurs parfois capable de se comporter de manière exquise. Il est ravi que l’on ait besoin de lui, qu’on lui demande un service, une aide quelconque. Il a simplement tendance à essayer de prendre le pouvoir car c’est un dépendant affectif, qui ne peut donc pas comprendre que vous n’ayez pas besoin de lui. Il n’a d’ailleurs aucune conscience de son manque de respect envers la disponibilité de l’autre. A la moindre tentative de notre part de nous libérer de l’échange imposé à sens unique, il redouble d’énergie. Le CCM a un besoin de parler qui est impossible à rassasier. Il est même capable de venir vous interrompre dans votre travail simplement pour vous faire part du fait qu’il est débordé. Ou que le sujet sur lequel vous planchez, il l’a déjà traité il y a cinq ans. Et qu’il a été le premier sur le coup.

Comment faut-il se comporter avec le CCM ? La tentation est grande de couper court à une situation pathétique et sans issue en prenant la fuite. Autre possibilité : flatter suffisamment le CCM pour qu’il se sente en confiance, que vous ne soyez pas pour lui un danger, tout en conservant une certaine distance pour ne pas vous épuiser. Mais il en faut, de la patience ! Bon à savoir : le CCM ne s’arrange pas en vieillissant. On évitera donc de l’épouser.

PAR ELVIRA MASSON

Il n’est pas dangereux, il est juste fatigant. C’est un dépendant affectif qui ne peut comprendre que l’on n’ait pas besoin de lui.

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