Barbara Witkowska Journaliste

Ecouter du violoncelle à El Vendrell, flâner parmi les vestiges romains à Tarragone, contempler les paysages grandioses de l’arrière-pays, s’emplir de silence au monastère de Poblet… La Catalogne n’a pas fini de nous fasciner.

C’est évidemment la merveille du lieu, la plus belle maison du village d’El Vendrell : une bâtisse blonde de haut style noble et harmonieux, flanquée d’un magnifique jardin ombragé et, surtout, d’un mirador qui offre une vue magnifique sur la plage de Sant Salvador, déserte hors saison. Nous pénétrons sans préambule dans la demeure qui raconte tout au long des murs et des pièces la vie de Pau (ou Pablo, en espagnol) Casals. L’artiste, l’un des plus célèbres violoncellistes du xxe siècle, mais aussi compositeur et chef d’orchestre, est né, en 1876, à El Vendrell. Il a fait construire cette belle maison au bord de la plage, en 1909, pour faire plaisir à sa mère qui chérissait tant la mer et, aussi, pour se ressourcer, entre amis, dans un environnement paisible, loin de la fureur du monde.

Il faut imaginer la Costa Daurada il y a cent ans, vierge de tourisme, peuplée de quelques rares maisons de pêcheurs. Après la victoire du général Franco, en 1939, Pau Casals quitte définitivement El Vendrell et s’exile à Prades en France, puis à Porto Rico, terre natale de sa mère. La lutte pour la paix est désormais sa seule raison de vivre. Pour ce pacifiste et défenseur infatigable des droits de l’homme et des libertés individuelles commence une longue croisade personnelle. Usant de sa devise  » mon violoncelle et mon archet sont les seules armes dont je dispose  » comme d’un bâton de pèlerin, Pau Casals est de tous les concerts de bienfaisance. Il s’implique ainsi dans toutes les actions humanitaires, joue dans les plus célèbres salles du monde, son oratorio  » La Crèche « , un chant à l’espoir, à la liberté et à la paix. Il intervient, à de multiples reprises, aux Nations unies, institution pour laquelle il compose l’hymne officiel. L’homme de paix s’éteint à Porto Rico en 1973. Il reste sa superbe musique (son interprétation des suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach est remarquable) et cette belle maison sur la plage, transformée en musée. Soigneusement rénovée, riche en documents et en photos exceptionnelles, elle a su admirablement garder sa sérénité et son atmosphère familiale d’antan.

Pour ensuite découvrir le prestigieux passé du pays on se rendra à Tarragone, déclarée Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco en 2000. Durant l’époque romaine, Tarraco fut la capitale û à l’architecture grandiose û de la Hispania Citerior. La ville de Tarragone, construite sur d’anciennes fondations, s’imbrique superbement dans les vestiges antiques. Le chef-d’£uvre ? L’impressionnant amphithéâtre, bâti quasiment les pieds dans la mer. La vieille ville cache des trésors. Elle n’est pas longue à visiter, mais on peut y passer plusieurs jours, tant elle est attachante. Son charme est fait de silence, de noblesse, de calme provincial et aussi des teintes de la pierre. Son architecture est sobre, ramassée, pleine de souvenirs. Toute l’histoire se résume en flânant le long des remparts, sur la promenade archéologique. Au fil de l’histoire, les habitants y adossaient leurs maisons. Différentes époques se chevauchent donc dans cette muraille massive, la base, cyclopéenne, percée de portes basses au linteau monolithe, des voûtes de tunnels romains, réminiscence d’un immense cirque et du forum, puis de grands portiques Renaissance qui s’ouvrent sur des ruelles à balcons. La pittoresque Carrer Major grimpe vers la cathédrale, l’une des plus intimes et des plus charmantes de l’Espagne, bel exercice de style architectural mêlant les arts roman et gothique.

Une poignée de kilomètres vers le sud et on se replonge dans les valeurs de notre époque. Salou, la capitale de la Costa Daurada, Cambrils, avec son petit port de pêche et Miami Platja, viennent d’être réunis en une seule entité : la station nautique Salou-Cambrils-Miami Platja. Avantage ? Plus de 30 km de plage au sable doré, dédiés à la voile, aux croisières, au ski nautique, à la plongée sous-marine, à la planche à voile, à la pêche et au farniente, face à un soleil radieux…

Nous abandonnons la route du littoral pour nous enfoncer dans l’arrière-pays. Petit à petit, les vergers et les vignes cèdent la place aux pins et aux chênes-lièges. Par de furieux lacets, dans un paysage grandiose et tourmenté, le chemin nous hisse vers le village de Siurana, bâti à 729 mètres d’altitude sur un éperon absolument imprenable. On raconte que lors de la Reconquête, les derniers envahisseurs arabes sur le sol catalan se sont repliés ici. Ils se sont rendus lorsque leur reine, nommée Mora, s’est précipitée sur son cheval blanc dans le vide pour éviter la capture. Légende ou vérité ? Les traces des sabots au bord du précipice où le cheval a pris son élan, sont en tout cas bien visibles. D’ici, on contemple un paysage d’une beauté sauvage. Monts, vallées, falaises déchiquetées, grands espaces et lentes ondulations se succèdent à perte de vue. Puis on fait un tour dans le village. Quelques maisons, blotties autour d’une belle église romane, somnolent dans un silence minéral.

Un autre rendez-vous avec le temps immobile ? La chartreuse de Santa Maria d’Escaladei n’est pas loin. A la fin du xiie siècle, le roi Alphonse le Chaste a offert aux chartreux quelques terres, au creux de ces montagnes hostiles et majestueuses. Autour de l’église Santa-Maria, plusieurs cloîtres se sont élevés, témoins d’un énorme prestige de la chartreuse. Plus tard, la tempête de la sécularisation a sévi ici comme partout ailleurs. Elle a anéanti l’église et les monastères, elle a englouti tous ses trésors artistiques, dont les £uvres d’une prestigieuse école de peinture religieuse. Les destructeurs sont tous morts et oubliés, il reste les ruines de la beauté et de l’harmonie. Les rénovations ont commencé, par petites touches et avec intelligence. On visite une cellule de moine, restaurée quasi à l’identique et on imagine la vie calme des chartreux, face à un paysage poignant, fait de grands plans osseux, d’arêtes sèches, de nudité et d’éternité.

Avant de découvrir Poblet, le clou du programme, on fait une halte à Montblanc, petite ville fortifiée, entourée par des remparts du xive siècle, en excellent état, flanqués de trente tours. Il fait bon déambuler entre églises, palais, demeures et ruelles et goûter à leur charme médiéval intact. Poblet, lui, est le monastère cistercien le plus grand d’Europe. Dans cette région, les monastères abondent. La raison en est simple. Envahie par les Arabes en 711, l’Espagne se mobilisera pendant huit siècles, jusqu’en 1492, pour chasser l’occupant. En Catalogne, la Reconquête est menée tambour battant. Dès le xie siècle, l’éviction des Maures touche à sa fin. L’indépendance totale, religieuse et politique, pointe à l’horizon. De fortes personnalités multiplient alors fondations, séminaires, églises et couvents. En 1151, le comte Raymond Bérenguer IV offre aux moines d’obédience cistercienne des terres faciles à cultiver, où l’eau coule en abondance. L’objectif du monastère de Poblet est double. Militaire, pour en finir avec l’invasion musulmane et spirituel, dans le respect de la règle de Cîteaux :  » ora et labora « , vivre dans une austérité sans faille et travailler la terre. Chez les cisterciens, tout doit être de la plus grande simplicité, pour bien marquer la différence avec le  » raffinement  » grandissant des monastères bénédictins. Les premiers locataires de Poblet, onze moines originaires des environs de Narbonne, remplissent leurs tâches avec un zèle ardent. Les fruits de ce dynamisme ne se font pas attendre. Deux siècles plus tard, le monastère chapeaute 60 villages avoisinants. La croissance économique, doublée d’une protection royale, contribue à une expansion architecturale remarquable. Poblet s’enrichit de cloîtres splendides, vit en autarcie totale, protégé par un imposant double mur d’enceinte. Ce qui ne l’empêchera pas de subir, au début du xixe siècle, une destruction partielle et plusieurs pillages. Remarquablement rénové, déclaré Patrimoine de l’Humanité de l’Unesco en 1992, il est aujourd’hui un monde serein, voué au silence, à la méditation et à la prière. Des richesses d’antan, il ne reste plus grand-chose. Les moines qu’on y croise et qui vous saluent poliment sont contents car ils sont pauvres. L’esprit de Cîteaux y est enfin respecté.

Barbara Witkowska

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