Auréolé du Prix du Public lors du dernier Parcours de Stylistes Modo Bruxellæ en octobre dernier, Michaël Guerra repart à l’assaut des vitrines branchées après une petite traversée du désert. Gros plan sur un créateur de talent foncièrement différent.

Carnet d’adresses en page 153.

Michaël Guerra est-il fou ou tout simplement masochiste ? Provocante, cette question mérite pourtant d’être posée lorsque l’on examine, à la loupe, le fruit de ses créations vestimentaires. Chaque robe, chaque jupe, chaque bustier, chaque chapeau est, en effet, le résultat d’un nombre incalculable d’heures de travail où les perles et les broderies triomphent superbement dans un agencement maniaque mais toujours harmonieux. Passionné, Michaël Guerra est actuellement l’un des très rares créateurs belges à évoluer dans les sphères artistiques de la haute couture, même s’il n’a jamais été invité à ce titre par la Chambre syndicale de la Couture de Paris, contrairement à son compa-triote Libertin Louison ( lire aussi pages 80 à 86).  » Dire que je fais de la haute couture serait un peu pré-tentieux, reconnaît d’emblée cet Andennais de 32 ans, même s’il s’agit de pièces uniques entièrement faites à la main. De toute façon, la vraie haute couture n’existe plus. Aujourd’hui, les grands noms de la mode font plutôt de la couture haut de gamme, en négligeant un peu le sens du détail. Personnellement, je dirais plutôt que j’essaie de faire des vêtements, tout simplement, en m’attardant beaucoup sur les broderies, les perles, la fourrure, les plumes… bref, tout ce qui se perd ! J’aime ces techniques oubliées et ce côté artisanal qui peuvent faire du vêtement une réelle £uvre d’art.  »

Art : le mot est lâché. Dans les cocktails branchés des défilés de prêt-à-porter, il est de bon ton de se gargariser sur un éventuel statut artistique de la mode : s’agit-il d’un art majeur, d’un art mineur ou n’est-ce finalement pas de l’art ? Chacun fourbit ses armes pour défendre son point de vue concernant généralement des créateurs qui enchaînent les collections à un rythme effréné. Amusé par cette faune excentrique, Michaël Guerra entend se placer au-dessus de la mêlée. Sa réflexion est plus subtile ; son point de vue, désintéressé.  » Je n’ai jamais eu envie de me lan-cer dans le prêt-à-porter, poursuit Michaël, parce que je n’aime pas, précisément, ni le côté répétition, ni le côté déclinaison. Moi, je préfère la pièce unique, le vêtement-objet, l’£uvre d’art en quelque sorte. D’ailleurs, à un moment donné de la création, le vêtement n’est plus qu’un support. Il devient un prétexte aux broderies et à tout ce travail que j’aime faire autour des perles. J’adore ça. C’est vraiment mon truc ! Pour moi, l’intérêt du vêtement consiste finalement à ce qu’il devienne une £uvre d’art portée. Et ce n’est pas incompatible avec l’idée qu’il soit aussi cette espèce d’écrin qui met en valeur la femme.  »

Dans cette approche élitiste de la mode, il n’est pas rare qu’une seule robe nécessite deux mois de travail à raison de huit heures par jour. Le prix s’en ressent forcément et peut donc atteindre facilement 8 000 euros par silhouette. Michaël n’est pas millionnaire pour autant (bien au contraire !) et travaille même actuellement comme vendeur dans un grand ma-gasin de vêtements pour financer ses rêves textiles. A vrai dire, le créneau  » haute couture  » n’est pas vraiment porteur en Belgique et le créateur en a visiblement souffert.

Diplômé de La Cambre avec les honneurs en 1995, Michaël Guerra a plutôt bien commencé sa carrière avant de se perdre, petit à petit, dans les méandres de ses désirs créatifs. En quatrième année d’études, le jeune homme est déjà repéré par l’empire  » 3 Suisses  » qui lui offre un stage de trois mois au sein de son bureau de style. L’expérience est concluante et, une fois son diplôme en poche, Michaël est directement engagé en tant que styliste, graphiste et consultant pour le département  » Achats  » de la marque. Le poste est enviable : Michael voyage à l’étranger pour flairer les tendances et dispose de cartes de crédit pour faire des emplettes stratégiques. Pourtant, la lassitude le gagne rapidement. En mal de création personnelle, le jeune diplômé quitte l’entreprise après six mois de bons et loyaux services pour s’investir à fond dans ses propres collections. Il s’enferme donc dans sa tour d’ivoire andennaise, loin de l’agitation des villes et, surtout, de ce buzz précieux qui façonne l’air du temps. Il crée des costumes de théâtre, peaufine son travail de couturier et participe, de temps à autre, à l’un ou l’autre défilé. Les critiques sont toujours encourageantes, mais Michaël ne décolle pas vraiment.

En 1999, l’horizon professionnel se dégage à nouveau grâce à Francine Pairon, à l’époque grande prêtresse du département  » Mode[s]  » de La Cambre, qui l’invite à exposer sa superbe collection baptisée  » Ma-dame Butterfly  » au sein de l’école. La presse le redécouvre, les acheteuses parisiennes s’intéressent au cas Guerra et la prestigieuse boutique Maria Luisa lui offre l’opportunité d’installer quelques silhouettes dans ses vitrines lors des défilés parisiens. Les rédactrices de mode françaises s’emballent, ses robes font la Une des magazines de mode et Michaël vend même quelques silhouettes à l’une et l’autre personnalité du Gotha. En plein décollage, le créateur belge s’effondre.  » J’ai pris peur, reconnaît-il aujourd’hui. Tout allait trop vite. Je devais affronter les caprices des clientes et surtout une série de problèmes de production. J’étais dépassé, découragé et j’ai sombré dans une véritable crise de panique. J’ai même arrêté de coudre pendant un an. En fait, je n’étais pas prêt et je me suis surtout rendu compte d’une chose : La Cambre ne prépare absolument pas ses élèves à la réalité du marché. On ne reçoit aucune information sur nos droits de base, ni même quelques no- tions élémentaires de marketing. C’est lamentable et je le regrette vraiment.  »

Retour à la case départ. Retour à Andenne, au milieu des champs et des bois. Michael s’isole et fait le point, loin du brouhaha parisien. Il garde quelques robes et lacère celles qu’il ne supporte plus. Petit à petit, il remonte la pente avec l’aide d’un couple d’amis qui lui redonne con-fiance et organise lentement son retour sur la planète mode. Le couturier finit par reprendre goût au vêtement et à la création. Mieux, il passe à nouveau des heures à construire des robes étourdissantes de beauté et de raffinement. Dédiée à  » Diane, la déesse de la chasse, qui aurait rencontré la jeune Sissi en pleine Forêt-Noire  » (sic), sa dernière collection en date jongle une fois de plus avec les perles et les broderies millimétrées sur fond de satin cuir. En octobre 2002, Michaël l’expose dans le cadre du Parcours de Stylistes de Modo Bruxellæ et reçoit la récompense la plus juste de l’événement : le prix du Public.

Revigoré par cet intérêt soudain des foules passionnées de mode, le créateur repart aujourd’hui à l’assaut de ses rêves d’antan, bien décidé à rattraper le temps perdu. Objectif premier : peaufiner cette brillante collection pour mieux exposer son travail dans les vitrines parisiennes et, pourquoi pas, internationales de quelques boutiques branchées. Cette fois, Michaël est mieux entouré et se sent prêt à affronter les contingences de production qu’il fuyait jadis. La renaissance s’opère. Lentement, mais sûrement.

Frédéric Brébant

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