Sauvé par la littérature, l’auteur de livres pour la jeunesse est aussi reconnu pour les ateliers créatifs qu’il mène aux quatre coins du monde. Ses méga workshops font aujourd’hui l’objet d’un ouvrage publié chez Phaidon. Sa méthode ? Le lâcher-prise.

Drôle d’accessoire que ce mégaphone qu’il conserve toujours à portée de main. Hervé Tullet n’est pourtant ni syndicaliste ni supporteur de foot. En vérité, cet auteur de livres pour la jeunesse organise des ateliers créatifs qui rassemblent jusqu’à 400 enfants. Quoi de plus simple pour se faire entendre ?

De Los Angeles au Malawi, de Tel-Aviv à Tokyo, les gigantesques workshops du Français sont devenus une référence incontournable dans le monde éducatif.  » Peu importe où je me trouve, quelle que soit la culture, je commence par dire bonjour dans la langue du pays. A partir de là, ce « bonjour » devient un « je » « , raconte le quinquagénaire à la crinière blanche. Autrement dit, un signe de bienveillance et de mise en confiance. La veille, Hervé Tullet était sur les murailles de Xi’an avec 200 gamins chinois et son porte-voix. Il s’excuse de sa fatigue due au décalage horaire. Il nous propose de partager une tisane home-made à l’ombre du lierre de la petite maison qu’il occupe à Paris dans une cour pavée, avec sa femme et ses deux enfants. Plus pour longtemps, la famille part s’installer à New York dans quelques jours.

De son expérience de coach international pour bambins, Hervé Tullet tire aujourd’hui un recueil de recettes (*) pour réussir soi-même ces grands rassemblements artistiques.  » Pendant mes ateliers, l’idée n’est pas que les mômes fassent des jolis dessins. On s’en fout. Au contraire, je veux les désinhiber. Je suis très favorable au lâcher-prise. En même temps, ce n’est pas du n’importe quoi. Mon rôle est de canaliser leur intuition. Quand je dis de dessiner un rond, je veux que ce soit un rond et pas autre chose. Je suis quelqu’un d’autoritaire. Les petits sont parfois un peu inquiets, je les intimide, après je les rassure. C’est comme un jeu.  »

Il y a bien longtemps, Hervé Tullet a officié dans la publicité en tant que directeur artistique. Une carrière qu’il regarde sans nostalgie.  » Cela m’a donné une certaine force de caractère. Je sais ce que sont une réunion et une prise de décision. Pour le reste… J’ai fait un gros travail pour oublier la servilité. Quand vous bossez longtemps pour les autres, vous mettez du temps à vous accepter comme créateur. Cela ne se fait pas en dix minutes.  »

C’est à l’âge de 36 ans que l’ancien pubard sort son premier album jeunesse. Il en publiera des dizaines d’autres, traduits en 25 langues, imposant aux lecteurs ses récits décalés à base de formes géométriques.  » Quand l’idée est supportée par un trait, un point ou un carré, je la trouve encore plus forte. Je ne sens pas le besoin de faire parler un éléphant « , dit l’auteur de Blop !.

Obsédé par le livre en tant qu’objet, il joue avec les découpes, les fenêtres, les oculus incisés à même la matière. Parfois ce sont les pages qui sont à moitié tronquées et qui permettent, comme dans Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, de bousculer le sens par effet de juxtaposition aléatoire.  » Ce que j’aime, ce sont les bouquins à inventer.  » Il admire l’oeuvre de Bruno Munari, peintre italien qui fut après-guerre l’un des pionniers des ouvrages interactifs pour les kids.

Père de deux enfants presque adultes, Hervé Tullet pense que la littérature, à défaut de sauver le monde, peut changer des vies. La sienne, par exemple.  » Je viens d’un milieu modeste qui était d’une grande pauvreté intellectuelle. Je n’étais pas considéré comme un gosse. Le livre m’a permis de m’en sortir et de m’arracher à mon milieu.  » Dans un de ses ateliers intitulés Le grand embouteillage, les bambins sont invités à tracer des lignes aux pinceaux sur un large rouleau de papier comme s’ils conduisaient une voiture.  » Incitez les participants à se déplacer au maximum, à aller plus loin, recommande l’auteur. Allez avance ! Le monde est vaste !  »

(*) Peinturlures. Les ateliers d’Hervé Tullet, mode d’emploi, éditions Phaidon. Sortie le 20 septembre prochain.

PAR ANTOINE MORENO

 » L’idée n’est pas que les mômes fassent des jolis dessins. On s’en fout. « 

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