Plus que des  » volumes à vivre « , les habitations imaginées par l’architecte liégeois Jean-Marie Dethier se veulent des espaces simples et complexes à la fois qui se découvrent et se lisent comme un scénario. Démonstration.

Un quartier résidentiel dans la banlieue de Liège. De grosses villas, rassurantes et conventionnelles, somnolent dans le calme de la matinée. Soudain, un élégant ensemble sculptural, posé légèrement au bout d’une pelouse bien peignée, attire l’attention. Un long mur blanc, percé d’une porte d’entrée blanche également, déroule sa surface crépie sur plusieurs mètres. Au-dessus, un volume en porte-à-faux s’habille de planches de cèdre. Tel un clin d’oeil, une minuscule fenêtre carré en constitue le seul  » ornement « . A l’extérieur, beaucoup d’opacité et de discrétion. Mais on devine rapidement que la vraie histoire se raconte à l’arrière, dans l’intimité, et à l’abri des regards indiscrets. Poussons la porte. On bascule dans un autre monde. Aurait-on pu imaginer, de l’extérieur, une maison suspendue dans le vide, jouant les équilibristes au bord d’un profond ravin, beau et sauvage à la fois, peuplé d’arbres centenaires. Ici, la nature est reine et il faut scruter attentivement l’horizon pour apercevoir de minuscules habitations lointaines…

La difficulté du terrain a séduit d’emblée Jean-Marie Dethier. « Lorsque mes clients me l’ont fait visiter, raconte l’architecte, j’ai été très frappé par le contraste entre ce quartier résidentiel bourgeois et cossu, et son brusque basculement vers la zone forestière. D’où l’idée de développer un « avant » et un « derrière », de raconter une histoire dont le scénario se découvre petit à petit. L’idée de murs ou de frontières que l’on traverse pour découvrir la mise en scène de la nature, s’est imposée immédiatement. » Ces frontières sont présentes aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. A gauche, le volume de la maison se prolonge par un simple mur blanc, suivi, lui-même, par une haie d’arbustes. Telle une frontière végétale qui prolonge la frontière minérale …

A l’intérieur, le rez-de-chaussée accueille un hall d’entrée, le bureau de la maîtresse des lieux et le salon. L’histoire démarre dans le bureau où la forêt commence à se livrer, par le truchement d’une fenêtre verticale longeant le sol. Sur le mur latéral, une ouverture horizontale dilate espace et permet un moment d’émotion face au soleil couchant. Mais c’est en passant dans le salon que le spectacle jaillit dans toute sa splendeur. Une large baie vitrée, couvrant toute la façade, sur deux niveaux, permet une communion quasi palpable avec la nature. Le salon est en réalité une mezzanine. D’ici, on a une vue plongeante sur le niveau inférieur, la salle à manger, puis la terrasse, carrément suspendue au-dessus du ravin.

Jean-Marie Dethier a voulu travailler les matières brutes, le meilleur moyen de les rendre discrètes, confondues avec l’extérieur. Dans le salon, au niveau de la rue, le sol est en polyuréthane clair, lisse et satiné. Avantages ? Une grande résistance et un aspect parfaitement lisse, dépourvu de joints et de fissures. Dans la salle à manger, donc plus près de la forêt, le sol est en béton. Une chape de mortier cirée, assez brute, dialogue avec la nature, accepte facilement feuilles et brindilles. Les escaliers sont en acier brut, non traité contre l’oxydation. Le troisième niveau, enfermé dans un volume long et étroit, est bardé de cèdre non traité.  » Sa durabilité est exceptionnelle, souligne l’architecte. Il peut survivre sans traitement pendant cinquante ans.  » Solitaire et altier, ce volume supérieur abrite les chambres et les salles de bains. Il domine le paysage et file tout droit vers la forêt. La chambre des parents est installée à l’extrémité sud de ce long  » mirador « . Percée d’une généreuse baie horizontale, elle offre au regard une plongée vertigineuse vers la nature.

L’ensemble dégage une incroyable légèreté et sérénité, une modernité  » juste « , pleine de rigueur et de simplicité, certes, mais aussi de poésie. Notions qui sont très chères à cet architecte talentueux, muni d’un bagage éclectique. Licencié en philologie romane, formé aussi en arts graphiques, Jean-Marie Dethier a découvert l’architecture  » comme une révélation « . D’où, un diplôme, supplémentaire : de Saint-Luc, à Liège. Il évoque avec émotion sa collaboration avec Bruno Albert, le célèbre architecte liégeois.  » Bruno Albert, confie-t-il, c’est le mariage subtil de la rigueur et de la poésie. C’est le Bach de l’architecture.  » Suivra une collaboration avec Charles Vandenhove, un autre  » maître  » liégeois. Aujourd’hui, Jean-Marie Dethier travaille en association avec Eric Lion.  » Les hasards de la vie m’ont conduit vers des projets à petite échelle : des maisons particulières, des transformations, ou encore la création du mobilier. J’aime le contact privilégié avec le client privé. Contact qui permet d’aller plus loin dans la découverte de la personne. C’est fascinant ! « 

Au fil du temps, le style de Jean-Marie Dethier s’est épuré, s’est débarrassé de l’anecdotique. Pour employer le mot à la mode, on peut certes parler de minimalisme, mais un minimalisme humain, nappé de chaleur et de poésie.  » Une chose m’a toujours fasciné, faire le plus avec le moins, explique Jean-Marie Dethier. J’y étais amené par la force des choses, la situation économique en Wallonie ayant traversé une période assez frileuse, mais aussi par inclinaison personnelle. On peut dire que mon vrai maître est Georges Brassens. J’admire son talent d’exprimer, avec peu de mots, des choses d’une telle vérité et d’une telle intensité. Cette même inspiration, je l’avais aussi trouvée chez Bruno Albert et Charles Vandenhove. « 

Bref, simplifier, épurer et clarifier pour rejoindre la notion de nécessité. Nécessité associée à l’hédonisme, bien entendu, car Jean-Marie Dethier revendique pour l’architecture son statut d’oeuvre d’art, capable d’émouvoir, d’émerveiller et d’enchanter celui qui la découvre. Admirablement traduites dans cette belle réalisation achevée en 1998, ces notions s’inscrivent déjà dans les valeurs du IIIe millénaire.

Carnet d’adresses en page 128.

Barbara Witkowska Photos : Sven Everaert

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