Pour se sentir bien dans leurs baskets, les ados font de plus en plus attention à leur look. De plus en plus tôt, aussi. Très réactifs aux nouvelles tendances, ces jeunes consommateurs se donnent le mot pour aduler les marques en vogue. Avant d’en chérir d’autres. La loi du genre.

Dans la chambre de Kevin, 17 ans, ambiance minimaliste : bureau dévoré par un ordinateur, lit double, étagères, et pour seul poster, un sac orange flash, labellisé Superdry. Dans le couloir qui mène à sa tanière, callé sur une étagère, un petit emballage Abercrombie, ramené de ses dernières vacances aux États-Unis. Le mur de Juliette, 18 ans, est quant à lui constitué d’une mosaïque où pubs de mode et de parfum, découpées au gré des coups de c£ur, ont la part belle.  » Pas pour les marques, juste parce que je trouvais ces images jolies. « 

Autre repaire d’ado, autre déco. Audrey, 15 ans, a punaisé un poster Burberry Prorsum –  » pour Emma Watson, l’actrice de Harry Potter « -, au milieu de ses autres affiches de film ou du groupe Jonas Brothers. À Lasne, où Melvin, 14 ans, a emménagé il y a quatre mois, les grandes photos noir et blanc attendent d’être accrochées. Derrière la pile de ses tee-shirts, une pochette remplie de dizaines d’étiquettes cartonnées, détachées de ses nouveaux vêtements. Petite collection perso. Dans une caisse, une quinzaine de sacs Superdry et cie.  » J’en ai d’autres, ils sont chez mon père.  »

Quatre jeunes, quatre univers propres. Mais pas tant que ça, finalement. Qu’elles soient présentes de façon consciente ou non, les marques font partie de leur quotidien. Illustration symbolique, s’il en est, de leur rôle de consommateur, sans cesse plus conséquent.  » Les jeunes de 12 ans participent déjà à l’achat des fournitures scolaires, ont leur mot à dire sur le choix des vacances, loisirs, CD, DVD, films au cinémaà, détaille Clémentine Lampréia, responsable du secteur enfants et ados, pour le bureau de tendances parisien Promostyl. À 15 ans, cela se renforce davantage, avec les vêtements et la cosmétique. Ils sont neuf sur dix à posséder un GSM. Et un sur quatre, un ordinateur. La construction de leur identité débute de plus en plus tôt et vite. Avant 12 ans, on parle désormais d’adonescent ou d’ado-naissant. « 

Chacun cherche sa tribu

S’ils prennent parfois exemple sur les stars du petit ou du grand écran, ces pré-adolescents imitent surtout leurs grands frères. La cour de l’école est, en ce sens, l’endroit parfait pour véhiculer les tendances.  » Au Collège Cardinal Mercier, à Braine-l’Alleud, tout le monde s’habille en Superdry ou Abercrombie. Notre uniforme, en quelque sorte, reconnaît Melvin. C’est triste à dire, mais ceux qui ne sont pas vêtus comme cela sont rejetés.  » Les habitudes varient évidemment en fonction de l’établissement scolaire.  » À la Vierge Fidèle, les parents sont raisonnables, explique la maman d’Audrey. Ça ne pose pas de problème si un enfant n’a pas le pull à la mode. Et puis, il est vrai qu’avec un uniforme fort réglementé, les signes distinctifs ont tendance à disparaître.  » À Decroly, tout dépend de l’âge.  » Dans les classes les plus âgées, tous les styles sont mélangés, c’est chouette, se réjouit Juliette. Il y en a qui font super attention à leur look, d’autres qui sont en jeans et sweat, des babas cool, des gothiquesà Par contre, les plus jeunes ciblent davantage les marques. C’est dommage, ils se ressemblent tous. Mais c’est vrai qu’au début de l’adolescence, on n’est pas encore bien dans sa peau. C’est une période où on a envie de se couler dans le moule. Ce n’est que lorsque l’on grandit qu’on souhaite se démarquer, affirmer sa personnalité. « 

Dans son analyse des comportements vestimentaires des ados, Clémentine Lampréia repère différentes tribus. Les gossip girls, inspirées de la série éponyme :  » Mixer le côté It girl américaine et une panoplie néoclassique.  » Les néo-grunges :  » Chemise à carreaux, casquette filet, un peu plus fashion et édulcoré qu’avant.  » Les rock puristes :  » Dans le style des Ramones, Strike et Libertines. Un esprit parfois aussi un peu punk, manga, Emo. Ce sont les slim et perfecto.  » Les streety pop :  » Un mélange hip-hop, électro et r’n’b, avec un côté show-off. Des pantalons baggy, des couleurs flashy.  » Et, enfin, les romantiques intellos :  » Un côté rock et romantique, un peu folk. Des volants, du flou, de longs cardigans en maille.  » Mais à côté de ces grandes familles, l’experte en tendances constate plus que jamais un attrait pour le vintage et les friperies, ainsi que pour l’Amérique –  » la mode campus, le style ranch texan, le New York des années 70, les marques Franklin & Marshall, Urban Outfitters, American Apparelà « 

Incontrôlables infidèles

À l’opposé des fringues rétro, le jeune Melvin est à l’affût de la moindre nouveauté.  » Ça a toujours été ma fierté d’avoir le dernier truc à la pointe.  » Là, en l’occurrence, ce sont ses trois montres Ice Watch, ses deux paires de baskets Feiyue (prononcez fé yué) –  » je les ai repérées sur quelqu’un, j’adorais trop !  » – et son bracelet Power Balance, buzz du moment, qui agit sur le champ énergétique du corps humain et optimise l’équilibre et les performances sportives.  » Les 15-25 ans sont très réactifs à la mode, ils recherchent la dernière griffe émergente, note Patrice Bastian, copropriétaire de la marque parisienne Feiyue, qui a relancé en 2006 une paire de baskets en toile vendue jadis en Chine. Dans notre cas, les 25-35 ans ont adopté la griffe, en tant que prescripteurs de tendances. Et cela a fini par prendre auprès des 15-25 ans branchés. « 

Pas question pour autant de miser toute une stratégie commerciale sur la fragile et versatile cible adolescente.  » Les montres Ice Watch connaissent un gros succès dans les écoles, mais ce n’était pas du tout prévu, raconte le fondateur de cette marque belge, Jean-Pierre Lutgen, qui a néanmoins tout fait pour que cela arrive, en offrant son accessoire à de nombreuses stars, par définition influentes en matière de tendances. Si on essaie de forcer un ado à acheter quelque chose, on produit souvent l’effet inverse. Ce sont donc eux qui sont venus vers nos montres, pour leur côté coloré, le packaging, le prix accessible et la possibilité d’en changer souvent. C’est grâce à eux que nous avons pu faire une entrée en bijouterie. Ils ont créé la demande. « 

Même vision des choses du côté de Luc Clement, distributeur en Belgique de la ligne de vêtements Superdry, connue pour ses détails vintage :  » Il n’est pas facile d’expliquer pourquoi un label prend. Les jeunes me disent que notre griffe leur plaît parce qu’elle est actuelle.  » Mais en leur temps, c’était aussi le cas pour les Matinique, Millet, Chevignon ou Fruit of the Loom, qui séduisaient sans doute les parents d’Audrey, Juliette, Kevin et Melvin. En matière de mode, les jeunes sont de grands infidèles.

Par Catherine Pleeck / photos : Julien pohl

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