Nul n’est prophète en son pays, dire qu’il a fallu se faire la malle pour que  » belge  » et  » mode  » riment ensemble.

A Londres, les Six d’Anvers font un tabac.

L’heure est à la débrouille, Londres, après tout, n’est pas si loin, suffit de louer une camionnette, de prendre la malle et à nous l’aventure fashion. C’est en substance ce que s’est dit une petite bande de jeunes gens nés à la fin des années 60 tout frais diplômés de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, section mode (promotion 80 ou 81, c’est selon). Privilège de la jeunesse, ils ne doutent de rien. Ils veulent juste montrer au monde entier ce qu’ils ont dans les tripes – des vêtements qui ne ressemblent qu’à eux. Ils ont donc traversé la Manche, en septembre 1985, prêts à en découdre, ont découvert l’emplacement qui leur était réservé au British Design Show – un espace improbable au dernier étage de l’Olympia Hall -, ont donc improvisé leur pub comme ils pouvaient, c’est-à-dire avec talent. Cette fois-ci, en mars 1986, ils ne sont plus tout à fait inconnus – Barney’s les a repérés -, ils reviennent à la charge, toujours en camionnette, pour défiler dans les règles de l’art, le leur évidemment, radical forcément. Il y a là Ann Demeulemeester, Dirk Bikkembergs, Dirk Van Saene, Dries Van Noten, Marina Yee et Walter Van Beirendonck. D’emblée, parce que la presse aime les raccourcis et a quelques difficultés avec les noms à consonance flamande, on les appelle The Antwerp Six, en français les Six d’Anvers, un conglomérat indistinct qui ne leur convient guère aujourd’hui – chacun son chemin. Mais pour l’heure, les propositions vestimentaires qu’ils font ont le mérite d’être en rupture avec ce qui se conçoit et se vend ailleurs ; l’adjectif  » belge  » peut désormais s’accoupler avec le vocable  » mode  » ; pour le reste, ne succombons pas à la tentation de fournir une définition qui tiendrait lieu de fil rouge, il n’y en a pas, sauf par défaut.

MERCI QUI ?

C’est à Willy Claes qu’on peut dire merci. Car en 1981, le ministre de l’Economie du plat pays a lancé un ambitieux Plan Textile, histoire de relancer le secteur en souffrance et de promouvoir les talents indigènes. Dans la foulée de cette décision politique, on a vu naître l’Institut pour le Textile et la Confection en Belgique (ITCB), un label  » Mode c’est Belge « , deux magazines pointus, un concours baptisé la Canette d’or/Gouden Spoel et une émulation qui fait plaisir à voir. A l’Académie à Anvers, sous la direction de Linda Loppa, ça bouillonne ferme. A Bruxelles aussi d’ailleurs, où Franc’Pairon crée de toutes pièces la section mode de La Cambre. A Paris, Martin Margiela a déjà été engagé par Jean Paul Gaultier qui l’avait repéré lors de la deuxième édition du concours en 1983, il n’a pas encore osé se lancer tout seul, ni défiler au Café de la gare avec sa première collection à son nom, il le fera en 1989, patience. Les Belges font parler d’eux sur la planète mode.  » Pourquoi pas moi ?  » se disent donc les kids de la génération suivante, et puis de celle d’après encore. C’est parce que ces Six-là ont existé que d’autres ont osé façonner un langage qui leur est propre, version garde-robe. La liste est longue : Raf Simons, Bernhard Willhelm, A.F. Vandevorst, Veronique Branquinho, Kris Van Assche, Tim Van Steenbergen, Bruno Pieters, Xavier Delcour, Olivier Theyskens, Cédric Charlier, Sandrina Fasoli, Jean Paul Knott, Anthony Vaccarello, Jean-Paul Lespagnard… Reste encore à écrire la suite. Pas la fin, de grâce.

ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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