En 1965, Yves Saint Laurent faisait sensation en dévoilant une robe Mondrian inspirée de l’£uvre du peintre abstrait. Quarante ans plus tard, on ne compte plus les flirts entre les mondes de la mode et de l’art. Ici, c’est Marc Jacobs qui demande à l’artiste néo-pop japonais Takashi Murakami de rafraîchir le célèbre monogramme de Vuitton ( photo) ; là, c’est Longchamp qui confie son image à l’artiste britannique Tracey Emin ; là encore, c’est Prada qui inaugure une collection de 27 tee-shirts signés Rem Koolhaas, l’architecte avant-gardiste. Lequel, soit dit en passant, s’est également occupé de l’aménagement des boutiques phares de la griffe italienne.

La publication, aujourd’hui, d’un petit livre érudit et pétillant sobrement intitulé  » L’art contemporain et la mode  » tombe à pic pour nous éclairer sur la personnalité de ce couple diabolique. Comme le souligne en préambule l’auteur, la critique d’art Jill Gasparina, les collusions entre ces deux constellations n’ont jamais été aussi fréquentes ni aussi médiatisées. Comme si elles s’étaient rapprochées au point de se confondre. Nul ne songerait plus, par exemple, à contester le génie créatif des monstres sacrés du circuit de la mode comme Giorgio Armani, Vivienne Westwood, Hedi Slimane, Karl Lagerfeld, Martin Margiela ou Alexander McQueen. Les uns ont redéfini le corps, les autres popularisé l’androgynie ou fait éclater le carcan de la féminité. Une radicalité dans la démarche qui emprunte plus au vocabulaire de l’art que du prêt-à-porter stricto sensu…

Un  » crossover  » qui fonctionne dans les deux sens. Si la mode lorgne du côté de l’art avec insistance et diligence – essentiellement pour son côté sacré suppose Jill Gasparina -, l’inverse est vrai aussi. Suivant l’exemple d’Andy Warhol qui, le premier, franchit la ligne rouge, les artistes s’approprient abondamment les codes de la mode. Tantôt pour inscrire une £uvre dans son époque (à l’image de la basket géante de Olaf Nicolai), tantôt pour en dénoncer les travers et les excès. Reste qu’entre répulsion et fascination (notamment pour son fabuleux pouvoir de séduction), la frontière est souvent ténue. Quand l’artiste Sylvie Fleury expose des sacs griffés, elle dénonce certes la fétichisation de la mode, mais élève en même temps le shopping au rang de pratique artistique…

Située à la croisée des chemins, la photographie est sans doute le lieu où s’exprime le plus ouvertement l’ambiguïté des rapports entre la mode et l’art. Terry Richardson, David Lachapelle ou Philippe-Lorca di Corcia officient autant pour les magazines branchés que pour leur propre compte. Leurs photos de mode ont des accents artistiques ; leurs expositions, l’efficacité d’une opération marketing… Le marché de l’art lui-même ne tend-il pas à transformer les £uvres d’art en marchandises ? Evoluer en dehors de la mode, c’est encore avoir un pinceau dedans…

 » L’Art contemporain et la mode « , par Jill Gasparina, Éditions Cercle d’art, 127 pages.

Laurent Raphaël

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