Sacrés zèbres que ces rayures! Elles griffent l’été en douce et font barrière à la monotonie de l’uni. A condition que vous aussi, vous nourrissiez de l’attrait pour le trait.

Encouragés par un printemps piaffant, les rayons solaires se piquent d’art pictural et dessinent, à coups d’ombres et de lumières, d’innombrables rayures sur le macadam des boulevards ou la pierre des trottoirs. Prémonition de saison ou charmante coïncidence météorologique, les dessins rayés traversent la mode de part en part, pimentant ainsi la trop nette unité des vêtements monochromes et allongeant, l’air de rien, des silhouettes qui semblent soudain s’étirer à l’infini. Annonciatrice de l’été (elle conserve forcément un petit côté  » fauteuil de plage à Deauville « ), la rayure ne coupe pas systématiquement le cordon avec les saisons suivantes.

Chez Hermès, par exemple, l’un des best-sellers du moment est un foulard Losange en soie rayée grège et blanche qui se mue à loisir en top-bustier alors que pour l’hiver à venir, la collection masculine abonde de costumes où les rayures, au propre et au figuré, jouent sur du velours. Toutes fines, voire interrompues à la façon de pointillés ou, au contraire, larges genre passage pour piétons, elles se posent indifféremment sur les chemises, pulls, gilets, pantalons et manteaux trois-quarts. Moins discret, Dolce & Gabbana, tant pour ses lignes féminines que masculines, se fend de rayures  » air du large  » où les couleurs s’engouffrent avec gourmandise. Une frénésie rayée que l’on retrouve également chez Cacharel, où le duo britannique Clements Ribeiro s’amuse à mélanger les motifs les plus variés. Pendant que les labels Céline et Marni, respectivement français et italien, zooment sur la multiplication des bandes colorées façon babas très très chic et que Issey Miyaké s’amuse à composer, sur ses ensembles fluides, des puzzles polychromes du plus bel effet. Les bambins, auxquels la mode adresse toujours plus d’appels du pied, ne sont pas  » rayés  » de la tendances: pour Quincy – la collection d’été se situe sous le thème générique de la fête -, notre compatriote Anouk Robyn a voulu des créations à la fois joyeuses et romantiques sans virer  » neuneu « , où les rayures cohabitent gentiment avec le vichy, le liberty et les broderies.

Sobres sans être sombres, des griffes telles que l’anglaise Burberry – qui a laissé de côté son célèbre imprimé carreaux Nova check -, ou les Belges Annemie Verbeeke, Angelo Figus et Gigue, pratiquent une rayure classe mais discrète, valsant du vertical au transversal. Une rayure rendue tantôt stricte et tantôt sensuelle jusqu’à l’hypnose grâce aux volumes et matériaux choisis par les différents créateurs.

Quant aux accessoires, sacs en tête (Just Campagne, Le Tanneur, Lancel, Longchamp, Sequoia…), ils prônent la rayure en long et en large sur des matériaux très  » villégiature de bord de mer  » tels que la toile, le lin ou le raphia. Un peu comme si ce motif évoquant les barreaux devenait, soudain, un symbole d’escapade, voire d’évasion.

Un arc-en-ciel de possibilités

Graphique par essence, nimbée d’un délicat parfum de nostalgie, chéri tant de la mode que de la déco, le plus rectiligne des motifs traverse régulièrement de part en part et les tendances, et les saisons. Au tournant des années 1970-1980, par exemple, les salopettes milleraies  » à la Coluche  » appuient sur le bouton postbaba et néo-romantique tandis qu’un créateur-couturier nommé Gaultier et prénommé Jean Paul commence à se faire remarquer par son savoir-faire vestimentaire assorti d’un… pull marin à rayures bicolores. Et cela peu après que Sonia Rykiel ait élu le trait qui traverse subtilement la maille ou le coton l’un de ses ornements favoris. Il est vrai qu’en cette fin des années 1960 le courant Op Art a déjà profondément influencé la plupart des disciplines artistiques: en mode, des maestros de l’étoffe de Pierre Cardin, Rudi Gernreich et André Courrèges exploitent les effets trompe-l’oeil et les jeux géométriques à l’infini qu’autorise la rayure. Quelques décennies auparavant, les dandys des  » Roaring Twenties  » se donnent, en complet hachuré, de faux airs de gangsters from Chicago et, à l’aube du XXe siècle, la vogue des cotonnades aux tons vifs envahit les corsages et les robes. On en veut, entre autres preuves magistrales, le beau portrait de Nel, épouse et modèle du peintre belge Rik Wouters (1882-1916) qui la fit poser dans un ensemble à rayures rouges et blanches (1). A l’autre bout du pinceau, notons encore que Pablo Picasso ne quittait quasi jamais son vêtement-fétiche, un tee-shirt à larges bandes horizontales.

Fraîche, synonyme de joie de vivre, amie des tissus naturels (denim, soie, coton, lin, etc.) et des tons légers (pastel, glace italienne, etc.), la rayure s’épanouit donc à travers les modes et leurs petites ou  » grande Histoire « . Car, à l’opposé de l’uni ou de son contraire, l’overdose chromatique, elle possède un impact particulier, à la fois culturel, social et politique. Citons, pêle-mêle, les  » stripes  » du drapeau américain, les culottes rayées des protagonistes de la Révolution de 1789, les polos de ces montagnes de tactiques que sont les rugbymen, le style  » tennis  » révélé via Björn Borg au début des années 1980, les anciens uniformes des bagnards, le genre  » preppy  » si bien distillé depuis longtemps par Ralph Lauren, les ponchos andins et la plupart des habits ethniques d’Amérique latine, les matelas des pensionnats ou des hôtels d’avant-guerre, la rage des rayures bayadères (multicolores) empruntées, dès le XVIIe siècle, aux habits des Ottomans lorsque sous Louis XIV, l’Orient en général et les  » turqueries  » en particulier s’avéraient tendancissimes… ou encore, pour les fanas du phylactère, les improbables braies du monumental Obélix.

Chez la reine de l’excentricité allurée, Vivienne Westwood ( NDLR: sa collection de l’été 2002 mêle habilement jupons victoriens et polos de rugby), même les emballages et les boîtes de rangement sont complètement rayés. Idem du côté de son collègue-compatriote, le couturier Paul Smith dont les chemises bariolées, où rayures, carreaux, pois et fleurs se rencontrent sans dérailler, sont devenues emblématiques d’une allure mi-smart mi-sans gêne. Il faut dire qu’au pays de Sa Très Gracieuse Majesté, l’audace est de mise, en particulier côté vêtements. Et à voir le rythme sur lequel les rayures, estampillées du Royaume-Uni ou d’ailleurs, défilent cette saison, on n’est pas prêt d’opter pour un style frileusement discret.

( 1) L’expo consacrée à ce maître absolu de la couleur et des motifs flamboyants qu’était Rik Wouters court jusqu’au 26 mai au palais des Beaux-Arts, à Bruxelles.

Interprétations perso du plus graphique des motifs de mode chez Gigue, Céline, Annemie Verbeke et les sacs Le Tanneur.

Marianne Hublet

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