Aux Etats-Unis, un nouveau type de père émerge dans les familles de militaires : le  » flat daddy « , papa de substitution en deux dimensions.

Précieux témoin de l’enrichissement du vocabulaire nord-américain, le site www.wordspy.com épingle, chaque semaine, les nouveaux tics de langage qui émergent au pays de l’Oncle Sam. Récemment, l’expression  » flat daddy  » y a fait son entrée fracassante aux côtés d’autres néologismes plus subtils, intraduisibles dans la langue de Voltaire. Littéralement, cette locution  » flat daddy  » devient  » papa plat  » en français et désigne surtout une tendance émergente  » made in USA « . Une tendance palpable, surréaliste et révélatrice de l’air du temps. Concrètement, il s’agit d’une silhouette en carton censée remplacer, au c£ur des foyers américains, le chef de famille parti se battre en Irak ou en Afghanistan. Une photo grandeur nature d’un soldat éloigné de sa mère patrie. L’immense portrait d’un paternel absent malgré lui, mais dont la présence factice en deux dimensions se veut rassurante au sein du nid familial. Un peu comme si papa était là sans être là, vous voyez ?

Lancé il y a quelques semaines par la Maine Army National Guard ( www.me.ngb.army.mil), l’idée du  » flat daddy  » n’a – si l’on en croit ses concepteurs militaires – absolument rien de risible. Que du contraire ! Quasi thérapeutique, le déploiement de ce papa de substitution, muet et superléger, doit en effet aider les familles déboussolées à tenir le coup dans la terrible épreuve de la séparation temporaire. Grâce à ce mannequin 2D au faciès identique à l’original, Madame est supposée supporter l’absence prolongée de Monsieur et les plus jeunes enfants doivent, en théorie, ne pas oublier à quoi ressemble leur père envoyé à des milliers de kilomètres de la maison.

A priori, l’initiative pourrait sembler ridicule, mais l’engouement est tel, aux Etats-Unis, que le  » flat daddy  » est passé dans le langage courant et que les familles provisoirement dotées de ce membre cartonné l’emmènent, sans rougir, dans les activités les plus banales de la vie quotidienne : en voiture pour aller faire des courses, au stade pour soutenir le gamin lors de son match de base-ball et, comble de l’improbable, dans des réunions d’épouses de soldats où chacune présente son mari tout plat à l’assemblée. On imagine sans peine les dialogues :  » Oh, mais dites-moi, votre mari est superbement plastifié ! Vous savez, le vôtre n’est pas mal non plus. Oui, je l’ai choisi avec le sourire, c’est plus sympa pour les repas…  » Il ne manque plus que  » Mince, mon mari ! « .

Etonnante, cette tendance du  » flat daddy  » (qui existe aussi en version  » flat mummy  » pour les mamans militaires) est d’autant plus interpellante qu’elle surgit à une époque où les moyens de communication sont incroyablement performants. Contrairement aux guerres du xxe siècle, les conflits des années 2000 ont l’avantage – si l’on ose dire – d’une technologie qui rejaillit aussi sur la vie privée des troupes. Grâce aux ordinateurs et autres webcams aujourd’hui disponibles dans les casernes, le soldat en territoire hostile peut en effet communiquer aisément avec sa petite famille restée au pays, envoyant ici un e-mail tendre, offrant là une retransmission en direct de son quotidien en Irak.

Mais voilà, cette présence, aussi réelle soit-elle, a des allures finalement virtuelles. Papa est là, certes, mais perdu sur un écran impersonnel où défilent quotidiennement des milliers d’images. En revanche, si on fixe la silhouette du père sur un carton de 1,80 mètre de hauteur et que ce  » flat daddy  » est affiché en permanence, son impact sera paradoxalement d’autant plus fort au sein de la famille. Symbole grandeur nature de l’autorité paternelle, ce double omniprésent aura surtout l’incroyable pouvoir de montrer à son bambin  » comme papa est grand !  » et non pas tout petit et paumé, comme à la télé. C’est déjà ça.

Retrouvez Frédéric Brébant, chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même  » de Jean-Pierre Hautier sur La Première (RTBF radio) et également sur le site www.lapremiere.be dans la rubrique Podcast.

Frédéric Brébant

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