Espionne saisie par le doute dans  » Agents secrets  » (aux côtés de son compagnon Vincent Cassel), la bellissima trouve son épanouissement dans une liberté conquise à force de choix parfois risqués. Pleins feux sur Monica Bellucci, une actrice qui n’a pas froid aux yeux.

Deux ans après le sulfureux  » Irréversible « , de Gaspard Noé, le couple Bellucci û Cassel se retrouve à l’affiche d' » Agents secrets « , le nouveau film de Frédéric Schoendoerffer. Monica et Vincent campent des membres des services secrets chargés d’une mission violente où leurs talents respectifs brilleront mais au cours de laquelle Lisa (Bellucci) ressentira comme une lassitude, comme un désir soudainement irrépressible de changer de vie et de quitter le métier… De quoi générer quelques rapprochements entre le jeu des acteurs et celui des espions, chacun devant tenir un rôle sous peine de déchoir. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé dans un hôtel bruxellois, l’intelligente et très belle Monica Bellucci, toute de noir vêtue ( » les vêtements sont une forme d’expression de la personnalité « ), n’a pas manqué d’y apporter ses réponses. Entières et libres, à l’image de l’actrice.

Weekend Le Vif/L’Express : Avez-vous réfléchi aux quelques parallèles existant entre votre métier d’actrice et celui d’agent secret que pratique Lisa, votre personnage dans le film de Frédéric Schoendoerffer.

Monica Bellucci : L’acteur et l’agent secret ont en commun de devoir jouer des personnages, de se travestir en quelqu’un d’autre pour mener à bien leur mission. La grande différence, c’est que l’agent secret doit jouer toute sa vie. Alors que moi, je joue seulement à certains moments, quand j’en ai envie. Je n’aurais jamais pu être agent secret, devoir renoncer à ma vie personnelle. En même temps ce job me fait un peu rêver, d’où mon envie d’interpréter ce personnage de Lisa, cette personnalité complexe, quasi schizophrène. D’autant qu’elle se sent prisonnière de son métier, du mensonge permanent, et qu’elle ressent un besoin d’y échapper. J’étais très flattée que Frédéric Schoendoerffer pense à moi pour ce film. Car Lisa est une anti-James Bond Girl. Même si personnellement je n’ai rien contre James Bond, jouer une de ses  » girls  » a, pour moi, quelque chose de banal. Alors que la Lisa d' » Agents secrets  » a quelque chose d’inattendu. Elle représente un défi parce qu’elle n’adhère pas aux clichés sur la belle espionne ensorceleuse et glamour. Finalement, ce fut un personnage très facile à jouer, alors que je m’attendais à quelque difficulté. Je me suis très vite sentie en accord avec elle, de manière naturelle. Même si les scènes d’action m’ont bien été un peu pénibles parce que je suis quelqu’un de très peu physique…

Pour une fois, au départ, votre personnage n’a pas grand-chose de glamour…

Justement, c’est ça qui m’a donné envie. D’habitude, j’incarne toujours, au départ, des femmes qui font rêver, même si elles ont û ou qu’il leur arrive û toujours quelque chose de singulier par la suite. Je campe des femmes sensuelles, qui bougent et s’habillent de manière sensuelle. Or là, rien de tel ! Tout part de l’intérieur, Lisa étant une femme assez banale du point de vue physique, justement pour mieux se confondre, moins être remarquée, comme le veut son travail. Et puis, il y a le fait que les problèmes commencent vraiment pour elle lorsqu’elle se met à vouloir être plus femme, à vivre une existence qui puisse inclure l’amour, la maternité… J’ai parlé avec un conseiller technique sur le film, un ex-membre des services secrets : il m’a confié à quel point il était difficile pour ces gens de revenir à la réalité…

Autre point commun entre agents secrets et acteurs : le fait de vivre la  » grande vie « , par opposition à une existence quotidienne banale.

Vous voulez dire les palaces, les cartes de crédit à disposition ? Pour les agents secrets, c’est lié à leur travail, au fait qu’ils doivent pouvoir faire fi des limites matérielles. Et des limites tout court. Car que sont-ils sinon des terroristes d’Etat, faisant des choses illégales au nom de la légalité ? Pour les acteurs, c’est bien sûr différent. Vous voulez parler de quoi ? Le luxe, les palaces, la réception quand on arrive à Cannes ? Franchement ce n’est qu’anecdotique pour moi, même si c’est souvent agréable. Pour moi, la  » grande vie « , c’est la liberté ! La possibilité de faire le métier que j’aime, et de le faire à la manière que je veux. Si c’est cela la grande vie, alors je l’ai ! Passion, curiosité, désir : cette vie-là me donne ces trois éléments dont j’ai besoin pour m’épanouir.

La grande vie, ce n’est pas la jet-set ?

La jet-set m’ennuie. Je ne la fréquente pas. Je sors très peu. Ce soir, je resterai à l’hôtel. Et quand je rentre chez moi, c’est à la maison que j’aime passer mon temps libre. Pas à courir soirées et réceptions pour voir et surtout être vue. Sincèrement, ça ne m’intéresse absolument pas.

Certains de vos collègues le font sans plus de plaisir, pour se conformer à ce qu’on attend d’eux…

Je ne le ferai jamais. Je ne cherche à entretenir aucune image particulière, à destination de qui que ce soit. Pour moi, le public n’existe pas. Je fais les choses pour moi. Je fais les choses qui me plaisent à moi. Je choisis les rôles qui m’excitent, moi. Qu’après il y ait des gens qui aiment et d’autres qui détestent… Mais je n’y attache pas vraiment d’importance. Comme je n’ai pas d’image spécifique à défendre, j’en suis d’autant plus libre.

Vous dites que le public n’existe pas !

Oui. Le public est un concept très théorique. Dans chacun des pays où je travaille, j’ai l’impression que ce concept recouvre une réalité différente. Certains films que je fais en France ne marchent pas en Italie, et certains films que j’ai fait en Italie n’y marchent pas alors qu’ils marchent en France.

On n’en soupçonne pas moins chez vous une certaine  » conscience  » de votre image, une image désirable et sensuelle que vous vous plaisez par ailleurs à bousculer par certains choix récents, d' » Irréversible  » à  » Agents secrets  » en passant par  » The Passion of Christ « …

Oui, mais c’est une image dont j’ai conscience, et dont je suis la créatrice, pas une image définie par d’autres et à laquelle je sentirais le besoin d’adhérer. C’est mon regard, sur moi-même. Comme on me donne (à travers les propositions qu’on me fait) l’occasion de m’exprimer, j’ai saisis cette chance. Avec l’âge, les rôles intéressants se multiplient, s’éloignent des stéréotypes. Vieillir, ça fait du bien ! Je ne m’y attendais pas ( rires)… Je me protège de moins en moins, je m’ouvre de plus en plus facilement. Parce que j’ai acquis, je crois, une certaine sécurité.

Vous ne l’aviez pas auparavant ?

Moins, je l’avais moins, même si ça ne m’empêchait pas de prendre des risques. J’ai toujours éprouvé le besoin d’en prendre. Je suis partie très jeune de chez moi, je viens d’un monde qui n’a rien à voir avec le cinéma, d’un petit village perdu… Et me voilà aujourd’hui travaillant dans les plus grandes villes du monde ! J’aurais pu avoir peur, j’ai eu peur, mais j’ai accueilli la peur, elle m’a même stimulée, elle m’a incitée à la surmonter. Aller au-delà de la peur est û je crois û quelque chose d’important. Sans frisson, je m’ennuie rapidement. Avec moi, c’est toujours un peu à la vie, à la mort, entre guillemets…

Les racines, est-ce important pour vous ?

Superimportant, oui. Je suis la personne que je suis parce que je suis née où je suis née. Si j’étais née à Paris ou à New York, je serais certainement différente. Cette envie, cette curiosité, ce désir que j’ai viennent du fait que j’ai connu une réalité qui est tout à leur opposé. Ils viennent sûrement de là.

Vous ne fuyez pas la controverse.  » Irrésistible  » l’a prouvé. Et maintenant  » The Passion of Christ « , de Mel Gibson…

J’avais envie de travailler avec Mel Gibson, et j’avais envie aussi de jouer un jour Marie Madeleine, avant même de le rencontrer. Pourquoi ? Je n’en sais rien. C’est un mécanisme purement instinctif. On ne peut pas tout rationaliser. Je sais que le film est superviolent, mais cette souffrance de Jésus me touche. Même si je ne suis pas chrétienne. J’ai été élevée dans le catholicisme mais j’ai vite et heureusement échappé à tout cela, quand j’ai grandi… Qu’on croie ou pas, Jésus est un symbole de notre culture judéo-chrétienne, c’était un révolutionnaire pour son époque…

Vous vous dites très instinctive et en même temps vous donnez l’impression de parfaitement contrôler les choses. Paradoxe ?

C’est vrai que je suis assez dans le contrôle, dans la non-dépendance. Mais j’adore aussi être surprise. J’aime le fil du rasoir, quand j’attaque un rôle et que je ne sais pas si je vais être à la hauteur. Rien ne me stimule plus que d’ignorer si je serai capable de faire ce que je me suis engagée à faire. Le risque, toujours. Même si, bien sûr, il faut relativiser. Les risques que prend un acteur sont limités, par rapport à ceux d’un agent secret. S’il n’est pas à la hauteur, c’est la vie qu’il peut perdre. Moi, quand je me regarde sur l’écran et que je me trouve mauvaise, j’en suis quitte avec une colère et un peu de honte (rires).

Vous travaillez volontiers avec Vincent Cassel. Le fait d’être un couple est-il un élément stimulant dans le travail ?

C’est un truc très perso. Je connais des couples d’acteurs, ou d’acteur et de réalisateur, qui ne peuvent pas souffrir de travailler ensemble. Nous, nous aimons vraiment ça. Et comme ça se voit je crois sur l’écran, nous lançons inconsciemment une sorte d’appel aux projets qui peuvent nous réunir. C’est une simple question de plaisir. Et peut-être aussi de nous pousser l’un l’autre à aller plus loin. Pour Vincent comme pour moi, c’est une chose capitale : aller plus loin, honorer ce moment de vérité qu’est le jeu devant la caméra. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de vérité. De courage, de sincérité, mais surtout de vérité.

Propos recueillis par Louis Danvers

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