Designer attitré de la marque Issey Miyake, le japonais Naoki Takizawa s’évertue à poursuivre, dans la rigueur, le travail vestimentaire du maître fondateur. Gros plan sur la mode masculine (et féminine) de l’été 2003 selon  » l’élève  » Naoki.

Carnet d’adresses en page 107.

Tout le monde (ou presque) connaît Issey Miyake, le plus célèbre des créateurs japonais. Le nom de Naoki Takizawa se révèle, en revanche, beaucoup plus obscur. L’homme, pourtant, n’est pas un novice. Responsable de la ligne Issey Miyake Homme depuis dix ans déjà, ce Tokyoïte de 43 ans est également devenu le designer de la ligne Femme en 1999, année du départ du maître vers d’autres horizons créatifs. Discret, le successeur de l’honorable Issey reste cependant toujours dans l’ombre de la marque mondialement connue. Même si l’intitulé  » Issey Miyake by Naoki Takizawa  » est mis en évidence sur les invitations de chaque défilé de mode, la presse et le grand public ne retiennent, en définitive, que le nom de l’ancêtre fondateur. A vrai dire, le nouvel homme fort de la griffe s’en moque éperdument.  » Pour moi, il est très important de rester dans la continuité de l’esprit défini par Monsieur Miyake, avoue Naoki Takizawa. Lorsqu’il est parti pour créer A-Poc ( NDLR : aujourd’hui, Issey Miyake travaille sur le projet avant-gardiste A-Poc pour  » A Piece of Cloth « , une sorte de tube textile multifonctions qui se transforme tantôt en robe, tantôt en sac ou en bonnet), il m’a donné 100 % de liberté pour continuer le prêt-à-porter masculin et féminin de la marque. Mais il reste toujours mon maître, même si nous ne parlons pas nécessairement des collections lorsque nous nous voyons.  »

Respectueux de l’£uvre d’Issey Miyake, Naoki Takizawa est tombé dans la mode un petit peu par hasard. A 18 ans, alors qu’il envisage d’entreprendre des études de design industriel, il s’arrête devant la vitrine d’une boutique Issey Miyake. Premier choc : il est subjugué par la beauté des vêtements. Il entre dans le magasin et explore alors la construction d’une  » simple  » chemise.  » Cela a été un second choc, se souvient Naoki. Pour la première fois de ma vie, j’ai compris qu’une chemise pouvait être autre chose qu’une chemise. C’était carrément une autre façon d’envisager le design. Aussi anodine qu’elle puisse paraître, cette anecdote a bouleversé ma vie.  »

Diplômé de la Kuwasawa Design School en 1982, Naoki Takizawa entre la même année au Miyake Design Studio. Il n’a que 22 ans et inaugure une collaboration qui n’a pas cessé depuis.  » Le rêve devenait réalité, poursuit Naoki. Contre toute attente, je me retrouvais dans le studio de Monsieur Miyake pour travailler à quelques mètres de lui. La toute première rencontre fut d’ailleurs impressionnante. J’étais dans l’atelier, il est entré et il a dit bonjour à l’assemblée. Mais j’étais incapable de le regarder ! C’était comme un Dieu pour moi ! Soudain, j’ai senti une présence très puissante dans mon dos. C’était lui. Il m’a demandé ce que j’étais en train de faire, mais j’étais tellement impressionné que j’ai commencé à bégayer ! J’étais incapable de répondre ( rires). Son £il était si perçant, sa présence tellement puissante…  »

Heureusement, Naoki Takizawa parvient, au fil des mois, à mieux gérer l’aura du maître. Il prend confiance en lui, peaufine son coup de ciseau et suscite de plus en plus le respect d’Issey Miyake. En 1989, il intègre le noyau dur de ses assistants et devient même, deux ans plus tard, créateur associé. La cote artistique de Naoki ne fait que grimper, à tel point qu’une première consécration de taille surgit en 1993 : le fondateur de la marque lui confie l’entière responsabilité de la ligne Homme. Le défi est énorme, mais Naoki séduit. Lorsque Issey Miyake décide, six ans plus tard, de quitter la maison mère pour se consacrer à son bébé A-Poc, c’est donc tout naturellement qu’il songe à son dauphin Takizawa pour le remplacer à la tête des collections féminines.

Depuis, le nouvel homme fort d’Issey Miyake poursuit sereinement son rêve d’adolescent, porté, dit-il, par  » la recherche constante d’une beauté absolue  » et, surtout, par les conseils précieux de son maître idolâtré.  » Ce qui m’a le plus frappé dans son enseignement, reconnaît Naoki, c’est cette volonté de changement permanent. Monsieur Miyake ne s’est jamais reposé sur ses lauriers. Il recherche sans cesse quelque chose de nouveau. J’essaie donc moi-même de rester perpétuellement ouvert à ce désir de changement avec, comme leitmotiv, la devise  » surtout ne pas rester inactif « . Le travail d’équipe est l’autre enseignement de Monsieur Miyake que je garde toujours en mémoire. Habituellement, il n’y a que le créateur qui salue à la fin du défilé. C’est comme une signature. Mais le public oublie trop souvent qu’il ne s’agit pas là du travail d’un seul homme. Tout le processus créatif est le fruit d’une collaboration à plusieurs mains. C’est un laboratoire. Il ne faut jamais l’oublier.  »

S’effaçant volontairement derrière l’héritage du maître et le travail de son équipe, Naoki Takizawa poursuit, en toute humilité, l’aventure d’Issey Miyake. Pour l’été 2003, ses silhouettes naviguent entre une poésie subtilement plissée pour la ligne Femme et une décontraction joliment colorée pour le prêt-à-porter masculin. Pour l’Homme, précisément, le message de la collection était d’ailleurs :  » Même si je chante faux, c’est moi qui chante. C’est ça qui compte. L’authenticité est un trésor, c’est un secret, le secret de la différence et de la singularité. Le goût du hasard et de l’échange, la connivence avec ceux qui le partagent. Dans ce qui ne semble être qu’une simple attitude, on peut trouver un nouveau sens à la beauté.  »

Pour l’anecdote, les mannequins du défilé Homme de l’été 2003 s’étaient mis à chanter, au beau milieu de la présentation, avec un micro et une guitare sur le podium, pour mieux honorer des vêtements délicieusement nonchalants, jouant habilement sur le rythme des lignes et la force des imprimés. Dans cet esprit résolument détendu, la légèreté prime toujours, sans pour autant négliger une certaine idée de l’élégance.  » Il y a trente ans, se souvient Naoki, Monsieur Miyake posait déjà la question :  » Pourquoi l’homme doit-il nécessairement porter une cravate ?  » A l’époque, la question choquait car Monsieur Miyake voulait libérer l’homme et changer carrément son style de vie. C’était terriblement novateur ! Or, aujourd’hui, cette remarque semble tellement évidente… Sans doute parce qu’il a réussi !  » Perpétuer l’esprit du maître, encore et toujours. Dans le monde subtil d’Issey Miyake, Naoki Takizawa poursuit, avec talent, l’odyssée créative amorcée il y a trente-trois ans déjà.

Frédéric Brébant

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