Sa marque de fabrique : la rigueur formelle. Sa ligne directrice: servir l’usage quotidien. L’adage  » un minimum d’effets pour un maximum d’efficacité  » aurait-il trouvé son maître ? Rencontre avec Naoto Fukasawa.

« Les gens ont à la fois besoin d’être surpris et rassurés. Il faut trouver un équilibre entre conservatisme et avant-garde et se méfier de l’effet « sexy » de ce qui est seulement différent ou nouveau.  » Doué d’un sens aigu de l’observation, Naoto Fukasawa guette les faits et gestes de ses contemporains. Il en déduit le concept de  » Without Thought  » selon lequel le public entre en contact avec les objets dans un état quasi inconscient, ce qui pour le designer constitue une excellente base de travail. Naoto Fukasawa est consultant depuis 2003 pour Muji, marque créée en 1980 pour faire un pied de nez à l’obsession japonaise des griffes et des signatures. Les produits MUJI (abréviation de mujirushin ryohin, littéralement  » produit de qualité sans marque « ) sont des basiques intemporels qui répondent à des besoins plutôt qu’ils n’en créent de nouveaux. En plus de son propre studio de design, Fukasawa a également créé ±0 (prononcer  » Plus minus zéro « ), qui produit toutes sortes d’objets domestiques (humidificateur, cafetière, téléphone, grille-pain…) réservés au territoire japonais et dont la sobriété des lignes doit faire frémir plus d’un gourou du  » rococo réactualisé « .

Naoto Fukasawa a toujours voulu être de- signer. Diplômé de la Tama Art University en 1980, il a commencé sa carrière en dessinant des téléviseurs et des imprimantes pour Seiko Epson. En 1989, il s’exile aux Etats-Unis pour intégrer l’agence Ideo (Silicon Valley). Sept ans plus tard, le studio américain le charge d’implanter une antenne à Tokyo. Il deviendra alors consultant pour de nombreuses firmes japonaises (dont Muji). En 2003, il fonde Naoto Fukasawa Design avec l’idée de  » donner une forme à des sentiments « . N’est-ce pas cette forme d’empathie pour les objets qui l’a conduit à monter cette année une exposition à la Triennale (avec Jasper Morrison) dont le titre,  » Super normalé  » annonçait sa propre philosophie du  » non décoratif  » ? Au sujet de ses compatriotes, Naoto Fukasawa avoue mieux s’entendre avec la jeune génération qu’avec ceux de son âge ; il apprécie par exemple la démarche de 60 Vision, une jeune firme qui réédite (parfois en l’améliorant) de vieux modèles de mobilier design japonais des années 1950-1960 :  » Pourquoi se passer de ce qui était bien ?  » résume-t-il simplement. De la même manière, les préoccupations écologiques lui semblent être au c£ur de son métier mais au-delà des matériaux, il pense en termes d’habitudes de consommation :  » Il faut arrêter de jeter, il faut échanger, donner, recycler…  » C’est ce côté rationnel, l’élimination systématique du superflu, qui a séduit tant d’enseignes prestigieuses. Or, Naoto Fukasawa ne nie pas le fait qu’il soit porteur d’une culture. Le cadre minimaliste qu’il s’impose, ne l’empêche pas de faire preuve de créativité et d’éclectisme. Flash-back sur 2006, l’année où Milan a semble-t-il boosté sa carrière : pour Driade il signe Muku, un canapé et un fauteuil en cuir blanc dans un coffrage en conglomérat acajou. Pour Danese, la chaise empilable Amila ; chez Magis, la table Déjà Vu, en aluminium et bois et Next Maruni, sa chaise assortie. Pour Swedese, Log, un banc, un tabouret et une table en chêne huilé ; pour Boffi, la baignoire Terra… L’imposant Ernesto Gismondi (Artemide) ne tarit pas d’éloges sur le discret Naoto Fukasawa. Les lampes qu’il a signées la même année (collection  » Les Sobres « ) expriment à la fois la haute technologie innovante que véhicule le leader du luminaire mais aussi la main de l’homme. Tout récemment, il s’est toutefois associé à ses  » contemporains  » en prêtant main-forte au projet de la fondation Issey Miyake. L’ouverture du centre 2121 Design Sight (Tadao Ando), un forum de réflexion sur le design ouvert le 30 mars dernier dans le nouveau complexe immobilier Tokyo Midtown. Naoto Fukasawa inaugure le site par une exposition où il coordonne les 70 créations d’une trentaine d’artistes, designers graphiques ou industriels, photographes et vidéastes. Le sujet ? Chocolate-Together, ce qui mérite une explication :  » Quand vous dites chocolat, cela évoque pour tout le monde quelque chose de plutôt agréable. Une émotion. L’idée, c’est celle du « result thinking », ce qui persiste intimement en vous d’une expérience banale.  » Et de faire partager au plus grand nombre l’implication du design dans nos vies, de provoquer des émotions subtiles. Autre expérience récente, l’Ideal House à la dernière foire de Cologne. Sur l’allée principale, on pouvait voir les deux projets de cadres domestiques scénographiés par Fukasawa et l’architecte irakienne Zaha Hadid. Un parallélépipède tout en hauteur pour lui, des effets de pleins et de vides sur deux niveaux pour elle ; le contrôle d’un côté, la liberté de l’autre. Sans être indifférent à l’imagination futuriste de l’architecte, le Japonais revendique ainsi invariablement un design valable pour tous, pour améliorer la qualité de la vie.

Naoto Fukasawa, éditions Phaidon, 240 pages, en anglais. Une immersion passionnante dans le processus de création du designer.

Vanessa Chenaie

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