Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

De l’amour destroy de Kate Moss et Pete Doherty aux fringues provoc de Vivien Westwood… L’esprit punk est omniprésent. Un héritage qui fructifie généreusement et engendre tout un cinéma. Décodage en 10 points.

Attitudes provoc, fringues rapiécées, musique tourbillonnante et rêche, mutilations, travestissement… Le punk a enfanté des conduites qui ne cessent de donner naissance à des modèles contemporains. Un héritage que Weekend décrypte avec Legs McNeil, le coauteur (avec Gillian McCain) de  » Please Kill Me « , un formidable ouvrage qui fait déjà date, soit une  » histoire non censurée du punk, racontée par ses acteurs « . Le livre, vendu à plus de 100 000 exemplaires et traduit en dix langues (en français aux Editions Allia) a trouvé un public jeune et international.  » Le mot punk était un terme utilisé par les séries télé, comme  » Kojak « , où les flics ne pouvaient pas être entendus prononcer des mots comme  » fils de pute « , précise Legs McNeil. Donc ils disaient  » espèce de sale punk ! « , ce qui en argot, signifie  » moche, minable « . Et puis, un certain nombre de journalistes rock américains ont commencé à utiliser  » punk  » pour parler du rock qui se faisait dans les garages. On en est arrivé au milieu des années 1970 et la scène new-yorkaise : Patti Smith, Television, Ramones, Blondie. Le  » punk  » était né en Amérique : il ne s’est déclenché en Angleterre qu’une année plus tard.  »

1. Pete Doherty & Kate Moss Le couple infernal à la Sid & Nancy

Aux dernières nouvelles (datées de la fin mai) Pete Doherty, le leader des Babyshambles, trimballait un implant antihéroïne, le Naltrexone, dans une nouvelle tentative de quitter de trop mauvaises habitudes et de pouvoir récupérer Kate Moss, sa fiancée éternelle, beaucoup vue ces derniers temps en compagnie de Russel Brand, présentateur MTV et lui-même ancien toxicomane. Le couple Pete Doherty – Kate Moss apparaît comme une réplique  » post-moderne  » des relations infernales de Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols, et de sa fiancée Nancy Spungen. Non seulement, la musique de Doherty est un fac-similé des soubresauts punk mais la célébration commune de la romance et des drogues rappelle le mode de vie chaotique de Vicious, bluffé par l’héroïne jusqu’à en mourir d’overdose dans une chambre d’hôtel de Manhattan. La différence majeure entre Moss et Spungen (qui finira  » poignardée  » par Vicious dans des circonstances jamais élucidées au Chelsea Hotel) ? La top british s’est  » volontairement  » désintoxiquée après avoir été photographiée sniffant de la cocaïne. Autres temps, autre argent : Doherty et Moss appartiennent tous deux à des industries billionnaires, mode et musique, qui ne sauraient tolérer la perte sèche de telles poules aux £ufs d’or…

2. Le triomphe de Green Day

Offspring, Rancid, Sum 41, Blink-182 et Green Day sont les héritiers les plus immédiats et les plus spectaculaires du punk seventies : chansons courtes et abrasives collectionnant les colères post-ados, prédominance des guitares vitaminées, vocaux hurlés à la face du monde. Sans oublier la tenue inévitablement inspirée des costumes fauchés de 1977 avec une touche déchirée et un supplément fluo, particulièrement dans les coiffures de Billie Joe Armstrong, chanteur et leader de Green Day, groupe-phare de cette néo-punk attitude. Contrairement aux punks américains de la grande époque new-yorkaise, cette génération-ci connaît un succès tonitruant : à eux seuls, les Californiens de Green Day ont vendu plus de 50 millions de disques dans le monde ! Score ahurissant propulsé par deux albums au triomphe majeur dont le récent  » American Idiot  » écoulé à 11 millions de copies… Sid Vicious se retourne dans sa tombe !

3. Le look junkie

 » Aucun punk ne pouvait décemment être gros simplement parce que tout le monde à cette époque, était strictement fauché. La plupart des musiciens new-yorkais dépensaient peut-être un dollar par jour pour un morceau de pizza ou un hamburger de seconde catégorie, qui avait le goût de la viande de chat ( rires) « , explique Legs McNeil dans  » Please Kill Me « . Anorexie involontaire donc, largement reprise par le look  » héroïne-chic  » en vogue chez les mannequins depuis quelques années : maigreur d’autant plus récurrente que les drogues principales dans le secteur fashion sont la cocaïne et l’héroïne, classiques coupe-faim…

4. Les déchirements coûteux

Liz Hurley portant une robe Versace chiquement trouée d’épingles de sûreté à la première de  » Quatre mariages et un enterrement  » (1994), Vivien Westwood sortant une collection de tee-shirts avec le slogan provoc  » I’m not a terrorist – Please don’t arrest me  » et, last but not least, le très londonien magasin Selfridges présentant, en ce printemps 2006, une large vente-expo  » Future Punk « , célébrant les trente ans du phénomène. Fringues mutilées ou ornées de slogans, déclinaisons du chic/cheap, tirettes intermittentes : l’esprit punk a définitivement gagné la mode. Legs McNeil l’explique à sa façon :  » Je pense que le grand instigateur de tout cela a été Malcolm McLaren qui, dès la fin des années 1960, avait ouvert une boutique de fringues avec Vivien Westwood, sa compagne de l’époque, à Chelsea. Sa première tentative rock de relooker les New York Dolls avec des fringues rouges communistes n’a pas trop marché ( rires), mais à New York, il avait pu voir des types comme Richard Hell portant des tee-shirts déchirés ou rapiécés. Il a injecté ces idées dans les Sex Pistols, parfaite fusion de la mode et de la musique. L’idée majeure étant que la jeunesse doit être rebelle pour sa propre sauvegarde . » Ce qui, bien évidemment, n’empêchait pas Malcolm de vendre ses fringues punk à des prix pas du tout fauchés.

5. Le deuxième sexe

En version light, cela pourrait donner la jupe pour hommes créée par Gaultier en 1985. En version plus musclée, c’est le  » Queercore « , mouvement contestataire qui milite pour une plus grande reconnaissance des genres gay-lesbien. Un personnage punk tel que Wayne-Jayne County, transsexuel débarqué de Géorgie à New York à la fin des années 1960, annonce cette cohabitation des genres et préférences sexuels. Comme les travestis à la Candy Darling qui entourent Andy Warhol, contemporain du Théâtre du Ridicule new-yorkais où l’on peut voir des pièces trash et déjantées, peuplées de drag-queens en folie.  » Mais pourquoi accepte-t-on Paris Hilton alors qu’on a encore du mal avec les drag-queens, c’est une vraie question  » : elle est posée par Legs McNeil.

6. Les quinze minutes de gloire de Warhol

Les  » quinze minutes de gloire  » promises par Andy Warhol dans les sixties se sont particulièrement concrétisées avec l’épidémie de TV-réalité de ces dernières années basée sur la  » médiatisation du rien « …  » La Factory de Warhol a été le premier lieu à établir une connextion entre musique, mode, publicité et jet-setters. Warhol était le pivot de tout cela : les stars des différents milieux se retrouvaient à ses soirées, les vraies et celles qui seraient seulement célèbres quelques heures « , précise Legs McNeil. Caricature ultime du système warholien, le reality-show actuel produit des célébrités éclair, comme un épiphénomène de la consommation. Finalement, on mange de la  » star  » comme de la blanquette de veau.

7. Pop, pub et punk

On ne compte plus les pubs – particulièrement aux Etats-Unis – recyclant des vieux machins des années punk new-yorkaises (1976-1980). Au top des reprises : Blondie et les Ramones, ces derniers vendant nettement plus aujourd’hui que de leur vivant. Mais le come-back publicitaire le plus spectaculaire est bien celui d’Iggy Pop, le  » parrain  » de Detroit qui, à 59 ans, se produit ces temps-ci dans une  » réclame  » pour une compagnie de téléphonie française (la SFR) dans une mise en scène qui aboutit forcément à la danse du ventre de Monsieur Pop. Et quel ventre ! Legs McNeil :  » J’ai eu l’occasion de voir le torse d’Iggy de tout près et c’est comme une carte de cicatrices qui raconte son histoire ( rires). Chaque balafre a la sienne. N’empêche qu’aujourd’hui Iggy joue au golf, conduit une Cadillac et ne prend plus de drogues  » fortes « . Quand il entre dans une pièce, malgré son mètre soixante, toutes les filles n’ont d’yeux que pour lui . » Les punks du troisième âge, c’est pour demain…

8. Le piercing et autres scarifications néo-tribales

Que ce soit dans le registre gothique (Marilyn Manson), gore (Slipknot) ou même Eurovision (les affreux gagnants Finlandais de l’édition 2006), le look rock d’aujourd’hui a quasi tout piqué aux ultras de la période punk. A Sid Vicious et à ses mutilations à répétition de pauvre garçon largué dans un star-system qu’il ne maîtrisait point : on se rappelle ses veines tailladées et autres zébrures peu ragoûtantes sur son torse malingre. Mais, surtout, le punk a donné quelques signes d’une volonté de retour aux comportements tribaux sanctifiés par la prise en otage du corps : la plus flagrante fut la  » fameuse  » épingle à nourrice plantée, au choix, dans le creux de la joue, dans le lobe de l’oreille ou, pour les plus audacieux, dans une arcade sourcilière sociologiquement peu habituée à de tels outrages. Si le punk des années 1975-1977 n’était qu’un zakouski des mutations ultérieures, il posait les fondations d’une réelle désacralisation corporelle, un  » body-langage  » aujourd’hui généralisé.

9. La récupération télévision

Scénario improbable et cauchemardesque : les punks de 1977 deviennent les vedettes de la télévision du xxie siècle ! Alors que les chaînes francophones nous ennuient avec de la pseudo-réalité tristounette et infantile, la VRT/Canvas invite Johnny Rotten (leader charismatique des Sex Pistols) à se promener dans la Grande-Bretagne contemporaine en compagnie d’un historien… flamand. L’hallucinant  » Reynebeau & Rotten  » – diffusé l’automne dernier – est découpé en cinq épisodes qui louvoient entre la maison de Shakespeare et Liverpool, point de départ de la conquête de l’Empire. Drôle, instructif, décalé et pernicieux, ce Rotten-là atteint des sommets de magnitude comparables aux meilleurs moments des Pistols ! La juste transmission de la Musique à l’Histoire !

10. Le  » punk  » version Tarantino

Deux films, au moins, de Quentin Tarantino, portent l’empreinte du manifeste  » punk  » :  » Reservoir Dogs  » embrigade une série d’acteurs de série A et B serrés dans des costards deux-pièces échappés d’un magasin de seconde main 1977. On dirait Jam habillés pour aller tuer. Et puis le blockbuster  » Pulp Fiction  » rassemble une série de sous-cultures musicales frivoles dans un scénario très  » punk  » où les méchants le sont vraiment : John Travolta, icône disco et scientologue pratiquant, devenant la  » crapule punk  » (pléonasme), ce qu’il n’aurait jamais pu imaginer en 1978 alors qu’il triomphait dans  » La Fièvre du samedi soir « , ennemi culturel des soirées punk. La boucle est bouclée, les Bee Gees égalent désormais les Pistols au Panthéon du xxe siècle… Merci John.

A lire :  » Please Kill Me  » de Legs McNeil et Gillian McCain (version française aux Editions Allia) ; A écouter :  » Weird Tales of the Ramones  » (Warner), l’ultime coffret CD/DVD des Ramones ; A voir :  » All Dolled Up « , The New York Dolls filmés par Bob Gruen et Nadya Beck dans un noir et blanc délicieusement préhistorique (Pias) ; A regarder :  » Bande à part. New York Underground 60’s 70’s 80’s « , magnifique livre de photos de héros et d’antihéros new-yorkais (Editions du Collectionneur).

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content