Déréglée par quarante ans de féminisation des mours, la boussole de la virilité tourne fou. En perte de repères,les hommes cherchent de nouveaux appuis identitaires. A côté des néo-machos et des métrosexuels, une race de gentlemen fiers de leur masculinité commence à inspirer les gars bien dans leur époque.

Le mâle tout-puissant était donc mortel. Fusillé comme un vieux dictateur par des hordes de  » guérilleras  » enragées par des siècles de domination, le phallocrate de base n’est plus qu’un fantôme appelé à disparaître de nos contrées dites civilisées. C’est une des victoires de la révolution féministe. Car même si de mauvaises herbes poussent encore dans les cimetières du patriarcat absolu, les fossoyeuses du machisme ont pris une bonne longueur d’avance. Rocky a beau remonter sur le ring, il faudrait en effet être aveugle ou d’une sacrée mauvaise foi pour ne pas constater une féminisation galopante de la société. Sur le terrain des valeurs, d’abord : amochées par deux guerres mondiales, les nations plus ou moins unies répandent le pacifisme à large échelle en mettant en avant le dialogue ou la prudence, des qualités traditionnellement féminines. Dans les fantasmes contemporains, la discussion supplante la baston. Les derniers poilus ne sont pas morts en même temps que le service militaire par hasard…

Sur le terrain des m£urs, c’est encore plus flagrant. L’homme nouveau doit sortir de sa réserve, jouer la carte de l’authenticité en exprimant son ressenti. Les boutiques dédiées à l’esthétique masculine n’ont par ailleurs plus rien à envier aux temples de la beauté féminine : aujourd’hui, l’homme est prié de maquiller sa sauvagerie et de domestiquer ses éruptions de testostérone. Des produits de beauté qui, dans le cabas du  » ménager  » de moins de 30 ans, voisinent avec le produit de vaisselle. Car même si le changement est très lent – comme l’indique une récente étude sur l’évolution des rôles masculins dans les familles publiée par la Confédération des Organisations familiales de l’Union européenne -, le partage des tâches ménagères augmente effectivement parmi les jeunes couples.

En parallèle, les femmes ont investi une bonne partie des territoires jadis réservés aux seuls hommes. Si certains bastions traditionnels du machisme comme la politique et les hautes sphères de l’entreprise restent encore difficilement accessibles aux tenantes du  » Deuxième sexe « , les filles d’Eve ne se contentent plus, loin de là, de vivre à travers les réussites professionnelles de leurs conjoints. En plus de ce droit au prestige, elles ont aussi acquis ce fameux droit au plaisir, popularisé par les marathoniennes de l’orgasme de la série télévisée  » Sex in the City « . En rentrant chez lui, le petit caporal d’hier trouve une femme plus exigeante, autonome et indépendante financièrement. Une pilule apparemment difficile à avaler par certains… A la fin des années 1990, dans  » The Decline of Males « , Lionel Tiger dresse un bilan peu glorieux de la condition de l’homme moderne, de moins en moins sûr de lui devant une femme  » de plus en plus forte et confiante « .

Cette double révolution – féminisation et partage du pouvoir – a déstabilisé fondamentalement les mecs, brinquebalés entre les exigences paradoxales de leurs Pénélope émancipées, qui se plaignent d’eux s’ils n’expriment pas assez leurs émotions et demandent en même temps une épaule forte et stable.  » Si les femmes se sont émancipées, ce n’est pas pour se retrouver en face d’ectoplasmes, analyse Nicolas Riou dans « Pourquoi mon mec est comme ça : du néo-macho à l’homme féminisé, les nouvelles clés du masculin » (1). Elles veulent un soutien, une épaule, qui va les aider à faire face aux épreuves de la vie mais aussi les faire rêver…  » En gros, l’homme idéal doit  » être capable de déchirer ma robe le soir et la recoudre le matin « , résumait récemment Sophie Lepage, une chroniqueuse dans  » Elle Québec « .

Un casse-tête délicat à gérer qui provoque une perte des repères et des réactions aussi radicales qu’opposées. Aux extrêmes, on trouve d’un côté une poignée de types nostalgiques de l’ancien régime. Ces néo-machos, emmenés par Eric Zemmour, auteur l’année dernière du  » Premier sexe  » (ed. Denoël), un pamphlet aux relents réactionnaires contre la féminisation des valeurs et du comportement, prônent le retour du mâle à l’ancienne. De l’autre côté, les  » homellettes  » fustigées par le sieur Zemmour et mieux connues sous le nom de  » métrosexuels  » ont pour leur part décidé de ranger les attributs de leur masculinité au vestiaire tout en revendiquant leur hétérosexualité. Définitivement largués les mecs ? Pas si sûr. Entre utopie passéiste et confusion des genres, un gentleman d’un genre nouveau prend la tangente.

L’homme réconcilié

Notre homme s’appelle Roschdy (Zem), Johnny (Depp), Guillaume (Canet), Clovis (Cornillac), Patrick (Dempsey), George (Clooney) ou encore Clive (Owen). Le héros du  » Roi Arthur  » (2004) ou, plus récemment de  » Inside Man  » (2006) de Spike Lee n’a pas été choisi par hasard pour représenter le visage de Lancôme Men ( lire aussi page 100). Pourquoi ? Parce que c’est  » Un homme, un vrai, clame la marque de cosmétiques, avec un regard vert profond et clair, une voix chaleureuse et grave, un mélange de flegme et d’assurance qui renforce une virilité assumée sans ostentation ni affectation, un charme d’autant plus irrésistible qu’il laisse planer un certain mystère. Viril, séduisant, exigeant, intense, charismatique.  » Au-delà de leur allure promotionnelle, les mots choisis par Lancôme pour justifier le choix de sa nouvelle égérie tombent pile-poil dans la tendance actuelle. Tout à la fois lassé par la radicalité métrosexuelle et les sursauts d’orgueil déplacé des néo-machos, ce gars bien ancré dans son époque n’oublie pas de soigner son apparence sans renier pour autant ses racines viriles. Et folliculaires, par la même occasion.

Révélatrice de ce retour en grâce des attributs de la masculinité, les barbes repoussent en toute élégance sur les joues des icônes néo-viriles : de la mode (Stefano Pilati, Viktor & Rolf), au cinéma (Romain Duris, Guillaume Canet, Clovis Cornillac…) en passant par la chanson (Sean Lennon, Kaiser Chiefs ou encore M), toutes les usines à modèle se chauffent au poil. Pressentant cette virilisation de l’esthétique mâle après avoir vanté les contours du métrosexuel, la célèbre publicitaire new-yorkaise Marian Salzman s’est empressée de créer un néologisme dont seuls les as du marketing ont le secret : l’übersexuel. En gros, le nec plus ultra du genre masculin. Dans  » The Future of Men  » (2), la papesse de la trendologie décrit ce nouvel archétype ouvert sur le monde et fier d’être né de chromosome XY. Une savante alchimie qui réconcilie les hommes avec eux-mêmes et par la même occasion avec les femmes.

Mais ne nous emballons pas trop. Si les icônes façonnent les hommes, elles ne les refont pas en un coup de cuillère à pub. Un signe parmi d’autres : en pleine crise, la presse masculine de qualité comme  » L’Optimum  » ou  » Vogue Hommes International  » reste à flot, mais c’est les plus racoleurs  » FHM  » et autres  » Newlook  » qui restent malgré tout au sommet des ventes.  » L’homme d’aujourd’hui ?  » se demande David Abiker, chroniqueur sur France 5 et France Inter dans son drôle et désespéré  » Le Musée de l’homme, le fabuleux déclin de l’empire masculin  » (éd. Michalon). Réponse :  » Sous le mari moderne post-parité sommeille le mâle libidineux de toujours, qui garde un faible pour les gros seins montés sur des Barbie à roulettes et sait faire le lourd à table avec les copains. Mais ose moins le montrer.  »

(1) Editions Eyrolles (2005), 126 pages.

(2) Palgrave MacMillan (2005), 256 pages.

Baudouin Galler

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