Chouchou incontesté des rédactrices de mode internationales, Nicolas Ghesquière a réussi le pari audacieux de remettre Balenciaga au panthéon des marques les plus branchées. Rencontre avec un directeur artistique influent à l’occasion d’une exposition parisienne consacrée à cette griffe mythique.

En 1995, Nicolas Ghesquière dessinait des tailleurs de veuve et des robes de mariée à louer pour les licences japonaises de Balenciaga. Onze ans plus tard, ce Français natif de Loudun, entré à 20 ans dans le studio de Jean Paul Gaultier, est le seul créateur de mode à figurer au classement des 100 personnalités les plus influentes au monde établi en mai dernier par  » Time Magazine « . Une consécration de plus pour ce jeune homme de 35 ans, à l’origine de la renaissance de cette griffe emblématique et qui réussit à étonner chaque saison, en mélangeant tradition et science-fiction, obsession du détail et constructions novatrices. Interview dans les coulisses de l’exposition  » Balenciaga Paris  » actuellement visible au musée de la Mode et du Textile parisien (lire encadré en page 87).

Weekend Le Vif/L’Express : Vous êtes le commissaire associé de l’exposition  » Balenciaga Paris « . Quel est son parti pris ?

Nicolas Ghesquière : C’est une chronologie, de l’arrivée de Cristobal Balenciaga à Paris, en 1937, à la renaissance de la maison. Des années 1930 aux années 1960, son travail est articulé autour de thèmes récurrents : les constructions ; l’Espagne, avec la dentelle et ce noir profond, unique ; le graphisme, les rondeurs, les pièces organiques qui évoquent la nature… Je ne souhaitais pas faire de parallèles entre son travail et le mien parce qu’ils n’ont existé qu’assez récemment et qu’il y a eu cette rupture pendant trente ans. Ma dernière collection a été le lien, car j’étais totalement concentré sur l’exposition. Il y a 160 pièces de Cristobal Balenciaga et une vingtaine de moi, mais les vêtements ne se mélangent pas dans les vitrines. Il y a une juxtaposition d’univers, mais pas d’esprit de continuité, d’héritage ou de cohérence.

Et la scénographie ?

Avec Dominique Gonzalez-Foerster et Benoît Lalloz, nous voulions montrer ces vêtements avant-gardistes dans un environnement contemporain. On a reconstruit l’intérieur du musée en changeant le sens de la circulation. Il y a une idée d’iceberg, d’univers fragmenté et de paysages artificiels empruntés à la science-fiction. La technologie est très importante pour moi ; elle intervient par le biais d’animations.

Pourquoi avoir attendu plusieurs années avant de vous pencher sur le patrimoine de la maison Balenciaga ?

Au début, j’avais peur de l’hommage maladroit, et je me suis tout de suite protégé des citations directes. Comme je n’avais pas accès aux archives, j’ai travaillé sur l’idée que j’en avais : l’austérité, le graphisme, le contraste des couleurs, l’architecture et le dessin. Il y a plein de choses que j’ai abordées sans le savoir, tels les manteaux  » sacs  » d’inspiration masculine, les blousons avec une certaine rondeur…

Que percevez-vous de la personnalité de Cristobal Balenciaga ?

Je ne m’étais jamais plongé dans sa biographie. Je perçois beaucoup de mystère autour de l’homme, peut-être lié à un contexte politique et social, son exil d’Espagne et le fait d’être homosexuel dans le Paris de l’après-guerre. Ce qui est marquant, c’est ce contraste entre l’austérité, le peu d’humour apparent du personnage et sa vision sortie de nulle part, parfois d’une fantaisie absolue.

Qu’est-ce qui vous rapproche le plus de son travail ?

L’une des premières choses que j’ai apprise et qui m’a plu d’emblée, c’est l’attention qu’il prêtait à l’espace entre le corps et le tissu. Il y a une silhouette et une démarche qui accompagnent ses vêtements, avec une idée de pouvoir et de confiance. Une certaine contrainte aussi, qui va à l’encontre du confort imposé. Aujourd’hui, peu importe si les seins débordent d’une robe pourvu qu’elle soit confortable. Moi, j’ai un peu de mal avec ça. Je préfère suggérer la peau, l’évoquer par des transparences ou un décolleté dans le dos. J’aime un vêtement très féminin sur un corps un peu androgyne.

En quoi Balenciaga a-t-il influencé la garde-robe contemporaine ?

Il a inventé le minimalisme dans la mode, avec une idée de mouvement dans l’épure. Son exigence d’architecture et de construction, sa façon de décaler les volumes et de les rendre étranges ont influencé bon nombre de créateurs.

Quels sont les couturiers qui vous ont donné envie de faire de la mode ?

Mes influences sont ancrées dans les années 1980 : Gianni Versace, Issey Miyake et le trio Azzedine Alaïa, Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler. Miyake a fait de la mode un laboratoire, avec des matières high-tech, une idée de mouvement arrêté et des vêtements solaires très liés à la danse. Chez Versace, il y a ce talent d’architecture dans la fluidité, mêlé à une sensualité latine. Le travail de Jean Paul Gaultier a été déterminant pour moi, avec cette attitude libérée qui accompagnait des vêtements sublimes. Adolescent, j’étais transporté par les images de ses collections. Il a introduit le métissage des religions, des sexes et des classes sociales d’une manière extrêmement subtile.

Qu’est-ce qui a changé chez Balenciaga depuis votre arrivée ?

Pas grand-chose, si ce n’est de plus en plus de plaisir et l’impression de partager ce nom auquel tant de gens croyaient. On a réussi à sortir des moments difficiles sans compromis. Balenciaga doit rester un laboratoire, car c’est la tradition maison, mais mon défi est de lui donner une accessibilité et de faire d’un ancien grand nom une nouvelle marque de luxe.

Après cette consécration internationale, qu’attendez-vous encore de Balenciaga ?

J’ai l’impression d’être au début d’une nouvelle aventure. Ma dernière collection a été une libération par rapport à l’hommage. Il restera toujours des citations, mais ce n’est pas une formule imposée. Ce qui m’intéresse le plus dans ce métier reste la performance et la prise de risques, pour continuer à surprendre les gens chaque saison. Je fuis la routine.

Envisagez-vous de créer votre propre marque ?

Plus Balenciaga se développe, plus l’idée de créer ma marque en parallèle se précise. Ça n’arrivera pas avant deux ans, mais j’ai envie de me projeter dans une vision complètement différente.

Audace et volupté

Robes d’infante, tailleurs basculés et manteaux à la coupe frôlée… 160 pièces retracent l’audace créative de Cristobal Balenciaga, né à Guetaria (Espagne) en 1895. Pour Pamela Golbin, conservatrice du musée de la Mode et du Textile et commissaire de l’exposition,  » il privilégie la volupté et l’esprit de pureté sans jamais se laisser aller à la flatterie du corps « . Une maison tournée vers le futur, que le couturier décida de fermer en 1968, quatre ans avant sa mort.

 » Balenciaga Paris « , jusqu’au 28 janvier 2007 au Musée de la Mode et du Textile, 107, rue de Rivoli, à 75001 Paris. Tél. : +33 1 44 55 57 50. Internet : www.lesartsdecoratifs.fr

A lire :  » Balenciaga Paris « , sous la direction de Pamela Golbin, 224 pages. Coéd. Les Arts décoratifs/ Thames & Hudson.

Propos recueillis par Anne-Laure Quilleriet

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