au cour du sahara, le niger est parcouru par une constellation de tribus nomades prestigieuses dont les peuls wodaabé aux maquillages époustouflants et les touareg aux caravanes impressionnantes qui traversent le ténéré. un monde à part.

Dans la savane de Kouré, les yeux aux longs cils si féminins de 30 girafes aux aguets scrutent la brousse infinie. A la moindre alerte, elles détalent à longues et gracieuses enjambées. Décimées par les chasseurs noirs, arabes et touareg pour leur peau et leur viande, ou par les colons pour le plaisir, elles ont failli disparaître de l’Ouest africain. Elles n’étaient plus que 62 lorsqu’elles arrivèrent ici, dans ce qui allait devenir leur sanctuaire. Les girafes y vivent à présent en harmonie avec les habitants de 34 villages des ethnies Peule et Djerma. Protégées activement par le gouvernement nigérien et par diverses organisations, les tendres géantes prospèrent à nouveau. Les girafons sont chaque année plus nombreux et la réserve abrite désormais plus de 115 spécimens.

Plus au nord, les Peuls Wodaabé nomadisent, parcourant inlassablement leur immense territoire à la recherche des meilleurs pâturages. Ils se déplacent toujours en petits groupes, menant çà et là des troupeaux de vaches aux cornes gigantesques en forme de lyre. Aujourd’hui, les Wodaabé du clan des Kabawa convergent simultanément vers la plaine dégagée qui se trouve à quelques minutes de la mare de Zarambobi. Le plan d’eau boueuse, dissimulé par une petite forêt d’acacias, permettra de désaltérer les milliers de gens et d’animaux attendus pour le  » worso « , la grande fête annuelle de la tribu.

Près de cent familles sont déjà là. Les femmes montent les tentes, de si minuscules abris qu’ils ne peuvent contenir qu’un seul lit. Elles disposent ensuite leurs possessions bien en évidence sur une table à côté afin que leur richesse soit vue de tous. Dès le soir venu, chaque éleveur allume un feu et ses vaches forment un cercle autour du brasier. Leurs longues cornes couleur d’ivoire sont alors éclairées de lueurs rougeâtres qui se voient de loin en loin, de feu en feu…

La seconde journée est un grand moment de retrouvailles. Les enfants se baladent en petits groupes et les vieillards aux imposants chapeaux de paille ronds ou coniques retrouvent leurs amis dans d’interminables palabres… A l’aube du troisième jour, sept bovins et sept moutons blancs seront sacrifiés, marquant l’entrée dans le clan de sept nouveau-nés qui recevront ainsi leur baptême rituel. Trois jours durant, les Kabawas vont prouver aux autres clans wodaabé leur attachement aux strictes traditions tribales, leur richesse et leur générosité. Des centaines d’invi- tés des clans Kassawsawa, Yamâ, Djidjirou, Bingawa et Bikorawa sont venus. Ils repartiront rassasiés de lait frais, de bouillie de mil et de viande.

Le quatrième jour de fête est attendu de tous, un grand événement s’y prépare : la grande course de chameaux qui réunit plus de 40 participants. Les chameliers, haut perchés sur leurs montures, fendent l’air surchauffé au rythme régulier de leurs méharis. Le vainqueur de cette année s’appelle Kokadadandé. Les quatre premiers, tous du clan Kabawa, paradent devant une foule compacte de jolies filles et de jeunes hommes portant sabre, chapeau conique et d’amples vêtements colorés.

Les jeunes hommes s’enivrent ensuite de danses, faisant assaut d’élégance pour séduire les belles du clan Kabawa. Ils parent leurs turbans de longues plumes d’autruche. Leur maquillage magnifie la pureté de leurs traits délicats. Transfigurés par la grâce, ils dansent le yaké en rang, faisant face à l’astre du jour finissant. La lente chorégraphie, les mimiques étranges démontrant la blancheur de leurs dents parfaites, les encouragements pressants des anciens, les sarcasmes des vieilles femmes qui raillent sans pitié les disgracieux, plongent les éphèbes du désert dans un monde presque irréel. Succédant au yaké, les rondes, appelées roumis, continueront jusque tard dans la nuit. Des couples éphémères en profiteront pour s’éclipser pour une nuit de tendres étreintes, avec la pleine lune pour unique témoin. Le cinquième jour, tous sont repartis après une ultime parade de chameliers. D’interminables processions d’ânes bâtés, surchargés de casseroles, de calebasses, de sacs de cuir, se dispersent dans la brousse. Parfois, un petit cabri ou un bébé trône sur ces montagnes instables de biens hétéroclites…

Quelques Wodaabé s’aventurent jusqu’à la ville d’Agadez. C’est là que réside le sultan noir, dans un étrange palais de pisé où il donne audience, entouré de gardes, de griots et de courtisans revêtus de costumes chamarrés. Le minaret de la grande mosquée est une merveille de l’architec-ture saharienne. Hérissé de poutres, il domine la cité si longtemps interdite aux Européens. L’intrépide explorateur Heinrich Barth n’y pénétra qu’en 1852. La ville s’ouvre aujourd’hui à la modernité. Le téléphone fonctionne, l’électrification gagne du terrain, des cafés Internet jalonnent l’avenue principale et quelques rares touristes flânent en quête de repos et de pittoresque. Symbole du changement des mentalités, le maire d’Agadez est une femme, une Touarègue.

Au-delà d’Agadez, vers le nord, les montagnes noires du massif de l’Aïr barrent l’horizon. C’est là le domaine des Touareg Kel Owey. Terre de hauts sommets déchiquetés, de bastions rocheux inexpugnables, elle donne pourtant la vie à de merveilleuses oasis. Les jardins regorgent de dattes, de pamplemousses, de mandarines, de tomates, de raisins, d’oignons et de mil. Les Touareg se regroupent désormais en villages et les camions des communautés les plus importantes exportent l’or vert jusque dans les souks maraîchers d’Agadez.

Le village de Timia est l’un des plus grand de l’Aïr. Issouf, de la caste des forgerons, y habite. Lorsqu’il ne tient pas une radio inaudible collée à l’oreille, il passe le plus clair de son temps à exercer son art. Dans son modeste atelier, simple recoin de sa courette aux murs de pisé, il crée de merveilleux bijoux traditionnels, des selles de chameaux ou des  » boutkous « , des bouteilles de vannerie presque étanches et qui gardent l’eau toujours fraîche…

Timia est aujourd’hui en efferves-cence : une enfant touareg va recevoir son nom, 7 jours après sa naissance. La petite fille a passé le premier cap de la vie. Elle sera donc fêtée et nommée. Les hommes décortiquent un énorme tas de dattes toutes racornies et poussiéreuses. Puis ils entreprennent de les piler dans de gros mortiers de bois. Un bélier est sacrifié dans la rue principale parmi les ordures, mais dans le luxe d’une ombre protectrice. Ce matin, le soleil cogne… Un vieillard expert prépare la tagoula, le  » pain de sable « . Sept grandes galettes à la croûte durcie au feu de palme sont ainsi cuites dans le sable sous une épaisse couche de cendre. Les invités affluent dans la cour familiale. Le festin de macaronis à la viande, de riz en sauce, de tagoula et de bouillie de dattes, de fromage et d’eau régale les gens du quartier.

La fraîcheur toute relative des nuits d’octobre annonce déjà l’hiver. A cette époque de l’année, les Kel Owey partent en expédition commerciale. Sous la conduite d’un madougou,  » celui qui connaît la route « , la caravane quitte les monts de l’Aïr pour défier les immensités sablonneuses du désert du Ténéré. Une dizaine d’hommes armés de leur seul courage, et 130 chameaux chargés de mil, d’oignons, de délicieuses tomates séchées et de fourrage de réserve dépendent de l’expérience du madougou Tenko Aliman. Si Dieu le veut, il mènera sa caravane jusqu’aux oasis du Djado pour y acheter ou troquer des dattes, puis il reviendra dans l’Aïr : 40 jours de marche, à raison de 16 heures par jour. Les caravaniers ne s’arrêtent jamais avant la nuit. Ils mangent en marchant ou en équilibre sur le chargement d’un chameau. Même le thé est préparé en marchant… L’eau est chichement mesurée, pas une goutte de réserve en cas d’égarement. Les Kel Owey savent qu’une outre d’eau ne change rien à l’inéluctable quand on se perd dans le Ténéré…

Malgré les risques et le visage grave de leur chef, Adam, Boubacar et le vieux Issaka ne se départissent jamais de leur bonne humeur. Deux petits enfants facétieux accompagnent la caravane, toujours prêts à donner l’alerte quand un chargement mal arrimé tombe d’un chameau. Humbles apprentis à la dure école du plus grand désert du monde, ils en connaîtront après de longues années les moindres recoins. Alors seulement, sans boussole, rien qu’en observant la couleur ou la consistance du sable, à d’infimes points de repère, naviguant au soleil dans l’océan de sable, ils seront capables de retrouver le puit minuscule qui leur sauvera la vie. Alors, la grande tribu des Kel Owey pourra les proclamer madougou, ceux qui connaissent la route…

Reportage : Paul Lorsignol / Planet Pictures

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