Entre petit chaperon rouge et prince charmant, le business plan de Nina Ricci pour réveiller la belle marque endormie a des allures de conte de fées. Enquête.

A l’heure où la maison Rochas fait l’objet d’une chronique d’une mort annoncée ( lire article en page 96), la griffe Nina Ricci développe, au contraire, une stratégie pour retrouver l’éclat de ses jeunes années. Entre respect des traditions, sans pour autant tomber dans les pièges du passéisme, et modernité, en évitant l’écueil du branché, comment réveille-t-on une grande maison de couture ?

C’est toute la réflexion que mène actuellement l’équipe de la prestigieuse marque issue de la maison de haute couture fondée en 1932, à Paris, par l’Italienne Nina Ricci, née Maria Nielli, alors âgée de 49 ans, avec la complicité de son fils Robert Ricci.

Le rachat en 1998 de l’entreprise familiale par le groupe espagnol Puig, spécialisé dans la mode, la beauté et les parfums, et déjà propriétaire des griffes Carolina Herrera et Paco Rabanne, marque un nouvel envol pour la marque aux Trois Grâces. Après Nathalie Gervais en 1999, le stylisme est confié, dès 2003, au Suédois Lars Nilsson. Imprégné de culture marketing, le groupe dote la griffe d’un encadrement rigoureux. A commencer par la nomination d’un nouveau manager, Christophe Hébré, ex prêt-à-porter Rochas, et chargé de peaufiner la nouvelle stratégie. Une mission difficile : il ne s’agit pas simplement de réveiller les codes de la marque, mais bel et bien de générer du profit.  » Quand Rochas a engagé le styliste Olivier Theyskens, en 2002, la marque vivait essentiellement de son parfum, la mode était quasi inexistante, explique Christophe Hébré. En revanche, Nina Ricci est historiquement une marque de mode. Nous avons effectué un travail de fond, nous nous sommes plongés dans les archives de la maison pour remettre au goût du jour son patrimoine.  »

En interne, le business plan est baptisé :  » Le réveil de la belle endormie « . C’est ce que l’on appelle en langage marketing, le  » target « , l’objectif à atteindre. Reste désormais à définir, comme dans un conte, les sept  » épreuves  » qui vont permettre de sortir Nina de son sommeil…

épreuve n°1 : on concentre ses efforts sur le prêt-à-porter.

Les collections, présentées lors des défilés parisiens, doivent réveiller et moderniser les codes de raffinement et d’élégance de la marque de luxe. Le tour de force étant de respecter le patrimoine laissé par Nina Ricci – harmonie romantique, imprimés tendres, art de la nuance, goût des matières transparentes, attention portée aux détails, éléments de haute couture -, en restant toujours dans l’air du temps. C’est le challenge de Lars Nilsson, qui a dû intégrer toute la culture maison sans perdre de vue le business. L’équipe marketing ne cesse en effet de lui rappeler que les vêtements doivent avant tout se vendre. Autrement dit, sa collection est soumise à l’appréciation de tous. C’est ce que l’on appelle chez Nina Ricci  » le travail en équipe « . Une mission à laquelle il s’attelle avec application et pragmatisme, avec beaucoup d’humilité aussi, conscient qu’il n’est pas le créateur tout puissant, même si, depuis le service communication jusqu’à celui du marketing, on affirme que la force d’une marque est de rester bien soudée autour de son directeur artistique. En somme, dans cette histoire, il tient un peu le rôle du Prince charmant… Ce styliste de 39 ans qui a fait ses classes chez Christian Lacroix, où il a acquis la french touch, puis chez l’Américain Ralph Lauren, où il a hérité de la business touch, paraît, a priori, bien armé. Pour cet automne-hiver 06-07, il livre des robes feuilletées, des détails lingerie subtilement dévoilés sous une robe, une allure masculin-féminin soulignée par une fourrure de lynx portée sur un tailleur pantalon moutarde en velours côtelé. Fidèle à l’esprit Ricci, même si la couleur choisie peut surprendre.  » Ce n’est jamais show off, argumente-t-il. Il y a une dimension très poétique dans cette marque que j’essaie de respecter. Tout est dans le détail, la féminité se lira à travers une bretelle de lingerie que l’on aperçoit à peine, ou un travail sur les broderies. J’essaie de dessiner une collection romantique en jouant sur les superpositions de matières. La femme Nina Ricci dégage une certaine fragilité.  » Message reçu.

épreuve n°2 : on mise surlacampagne de publicité.

Des images évanescentes, façon David Hamilton (auteur des photos de la campagne de publicité de L’Air du Temps en 1970), cette fois signées par le photographe Glen Luchford, subliment le cru hivernal de Lars Nilsson dans une ambiance de tableau équestre, une des tendances majeures de la saison. Les finitions en fourrure, les capes luxueuses et les chapeaux de forestier ressuscitent un monde imaginaire habité par une jeune fille, à la fois nymphe des bois et petit chaperon rouge délicat. Les tons de terre cuite, ainsi que les imprimés et les textures de la collection, évoquent l’ambiance d’une forêt de bouleaux, aérienne et onirique qui fait de la jeune fille une héroïne de conte de fées. L’idée clairement avouée de cette campagne est de susciter l’interrogation sur la femme Ricci : est-elle une créature innocente perdue dans les bois, ou bien une prédatrice qui y règne sans partage ? Le tout mêlant danger, douceur et beauté.

épreuve n°3 : on définit la femme Nina Ricci.

La cliente visée a rajeuni, tout en ayant un gros pouvoir d’achat. Son âge varie entre 30 et 50 ans, selon les interlocuteurs de la maison. La femme Nina Ricci est élégante, a du style et respecte sa propre personnalité.  » Etre soi avant d’être vue « , disait Nina Ricci. Lars Nilsson a compris la pensée de la fondatrice qui s’adressait à une clientèle bourgeoise, plus sensible à la qualité qu’à l’extravagance, délaissant le paraître et les mondanités parisiennes de l’aristocratie de l’époque. De la Nina Ricci des années 1930, Nilsson a gardé l’approche subtile, élégante, luxueuse et suggestive. Un style qui attire aujourd’hui des jeunes femmes à l’allure délicate comme l’actrice Scarlett Johansson, par exemple.

Épreuve n°4 : on délimite clairement le rapport de la marque à la pipolisation.

A l’heure où toutes les grandes griffes font appel à des égéries de renom ( lire article en page 74 à 78), Nina Ricci, et c’est un autre point important du business plan, ne tombe pas dans la pipolisation. Pas d’égérie, pas de star-system, la femme Nina Ricci est discrète et évanescente comme le mannequin belge Elise Crombez, le visage du parfum L’Air du Temps et photographiée par Jean-Baptiste Mondino. Des héroïnes à la Botticelli qui ont inspiré l’emblème des Trois Grâces. La femme Nina Ricci est fragile comme le cristal Lalique du parfum L’Air du Temps. L’essence de la maison contenue dans un flacon. Démonstration d’un mariage réussi.

Épreuve n°5 : Les parfums (qui, eux, ne se sont jamais endormis) vont suivre la mode.

C’est une étape essentielle du business plan. Le lancement du tout nouveau parfum de Nina Ricci, prénommé Nina, est accompagné d’une campagne de publicité d’envergure. On y voit une jeune fille en fleurs, habillée d’une sublime robe de bal signée Lars Nillson, à faire rêver les romantiques qui espèrent encore le prince charmant, déambuler dans un univers féerique, une sorte de paradis perdu, de jardin d’Eden, où elle cueille un flacon en forme de pomme (une réédition du flacon du parfum La fille d’Eve de 1952). La campagne, qui n’est pas sans rappeler le péché originel, souligne la douceur, la sagesse, la pureté mais aussi l’audace de la jeune femme. L’héroïne va-t-elle craquer et croquer dans la pomme ?

Épreuve n°6 : on relanceles points de vente.

En soignant la qualité des boutiques multimarques qui distribuent Nina Ricci. Ce qui revient à cibler les adresses exclusives, comme le Montaigne Market à Paris, le nouveau temple du luxe, l’incontournable Colette, les grands magasins Harvey Nichols de Londres et d’Istanbul.  » Au total, la marque compte 135 points de vente dans le monde pour le prêt-à-porter auquel on ajoutera 50 autres adresses d’ici deux ans, avertit le directeur des ventes, Thomas Girty, avec des cibles bien précises comme l’Asie, les Etats-Unis, Dubaï et l’Europe de l’Est où la marque connaît un grand succès.  » Toujours dans le but de soigner une image très haut de gamme. Nina Ricci ne compte qu’une boutique en nom propre dans le monde, celle de l’avenue Montaigne à Paris. Un bon début.

Épreuve n°7 : ondéveloppe, à moyen terme, les accessoires.

 » 30 à 60 % du chiffre d’affaires des maisons de couture proviennent des accessoires « , rappelle Christophe Hébré. Nina Ricci devrait donc développer, à moyen terme, les secteurs de la maroquinerie et des chaussures. Déjà très prisée pour sa lingerie, la griffe propose, notamment pour cet hiver, de ravissantes bombes de jockey, un des must-have de la saison ( lire article en page 80).

Entre petit chaperon rouge chic (campagne de publicité prêt-à-porter automne-hiver 06-07), fille d’Eve (film publicitaire du nouveau parfum Nina), ou encore ange messager d’espoir et de liberté (campagne de publicité du parfum L’Air du Temps), la marque Nina Ricci emprunte clairement son registre marketing au conte merveilleux. Comme dans un vrai récit populaire, une fois toutes ces épreuves réussies, devrait apparaître  » la réparation finale « .  » Est-ce vous mon prince ? Vous vous êtes bien fait attendre… « , murmure, en principe, la belle au réveil. Le business plan a-t-il, aussi, prévu une formule pour le happy ending ?

Agnès Trémoulet

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