A 2 400 mètres d’altitude, aux sources du fleuve Yangzi Jiang, sur les derniers contreforts de l’Himalaya, règnent les descendants d’une tribu tibétaine nomade. Rencontre avec les Mosuo, un peuple aux traditions ancestrales… où la femme est souveraine.

Au départ de Kunming, la capitale de la province chinoise du Yunnan, il suffit de prendre un bus de nuit avec couchettes jusqu’à Dali, une adorable cité ancienne, véritable fief de l’ethnie Bai. De là, en cinq heures, un autre bus atteint Lijiang. L’aventure commence alors. Il faut en effet deux jours vers le nord-est sur de fins lacets de montagnes pour arriver au lac Lugu. Vous êtes ici à 2 690 mètres d’altitude, sous un ciel bleu électrique se mirant dans un vaste lac saupoudré d’îlots et cerné de monts couverts de sapins. Un chapelet de villages encerclent le Lugu. Des villages ou, plutôt, de simples hameaux sans eau courante, ni électricité, poste, banque ou autres traces de modernité. Les masures sont en bois, parfois agencées en exploitation agricole autour d’une cour intérieure dont le portail préserve jalousement les secrets de ses habitants.

C’est un univers silencieux et hors du temps. Un monde où nos conceptions occidentales chancellent… Les habitants des bords du lac Lugu sont des Mosuo, un sous-groupe ethnique des Naxi. Aujourd’hui comme depuis toujours, ce peuple subsiste en quasi-autarcie, trouvant autour de lui les arbres pour la construction des maisons et le bois de chauffage. Se nourrissant du fruit de sa pêche et de quelques légumes du potager sans oublier les féculents (mais peu de riz) qu’il produit en quantité modeste mais suffisante. Ici, le souffle du monde occidental n’a que peu de prise.

Un peu d’histoire

En Chine, au VIIIe siècle, le peuple Naxi alors à son apogée bâtit la cité de Lijiang, capitale d’une principauté autonome, absorbée peu après par le puissant royaume de Nanzhao, puis par celui de Dali. Les empires se font et se défont. Mais les traditions religieuses, culturelles et sociales héritées de lointains ancêtres ont traversé, elles, les âges sans se modifier.

Omniprésentes, les femmes, le dos couvert d’une cape en peau de mouton rehaussée de sept étoiles, sont les maîtresses d’une société qui a dû enflammer l’imagination des premiers missionnaires et explorateurs partis à la découverte du continent chinois. Dans cette société matriarcale pratiquant une sorte de polyandrie, ce n’est qu’avec l’arrivée des communistes, dans les années 1950, que la monogamie patriarcale des Han (les Chinois) s’est progressivement imposée.

Aujourd’hui, la ville de Lijiang se divise en deux : l’ancienne cité, où se sont installés les Naxi (une ethnie de près de 300 000 personnes) dans des maisons traditionnelles au charme extraordinaire, et la nouvelle ville, toute en blocs de béton, où résident les Chinois venus y faire du commerce. Dans la vieille ville de Lijiang, on est d’abord surpris par la finesse de l’architecture millénaire. Une architecture rehaussée par l’écriture des Naxi, appelée Dongba, où de drôles de pictogrammes symbolisent, de façon très évocatrice, animaux et végétaux. On en voit ainsi calligraphié un peu partout sur les linteaux de bois au-dessus de l’entrée des maisons.

La chevauchée fantastique

Dans le petit village de Luoshui, près du lac Lugu, un matin frais de printemps voit des hommes et des femmes chevauchant des petits chevaux nerveux. Assis sur de belles selles de bois posées sur un tapis coloré, des brides et de lourds étriers venus du Tibet, de jeunes Mosuo se laissent cahoter, souplement vissés à leur selle, à la cadence du cheval… Le sentier qui longe le lac monte progressivement et le rire des jeunes gens se mêle à l’écho du clapotis des vagues. La lumière est d’or, le lac éblouissant et le sentiment de liberté infini…

Dans la cour d’une imposante ferme, une femme d’âge mûr aux allures de reine entre et sort. Les longs pans de sa jupe soulèvent à son passage des nuages de poussière. Elle lance des ordres à ses filles, des femmes au port non moins altier qui, pourtant, comme des abeilles zélées et dignes, nettoient l’étable, donnent à manger au bétail et, surtout, entretiennent méticuleusement le feu de l’âtre principal.

Les Mosuo considèrent qu’ils doivent leur survie à la présence du feu, aussi son esprit est-il vénéré dans chaque famille. Au-dessus de l’âtre, dans une loggia, trône une image mystérieuse et fascinante, représentation abstraite du dieu du feu, appelé Ranbala. En regardant de plus près, on devine le tracé de flammes, mais aussi de pêches, élément symbolique qui promet fertilité et prospérité.

Trot, galop, ivresse de la chevauchée. Epuisés par le vent, la poussière de cette terre rouge et par les coups secs de la selle, les jeunes Mosuo reprennent leur souffle sur une hauteur surplombant le lac. Le jour baisse déjà… On comprend soudain combien survivre est ici une préoccupation majeure et constante. Ce peuple a toujours habité des lieux peu hospitaliers, subi des climats extrêmement froids et des conditions d’existence très rudes. Au fil des siècles, il a adopté des rites religieux spécifiques qui placent très logiquement la femme au sommet de l’échelle sociale, car c’est elle l’être suprême qui porte les enfants et perpétue la race.

Les femmes Mosuo ne se marient pas mais pratiquent une sorte de polyandrie libérale. Elles entretiennent en effet des  » axia « , des relations amoureuses, avec un ou plusieurs hommes qui ne partageront jamais leur toit. La mère dort toujours seule – à moins que n’y soit invité son  » azhu  » (littéralement son  » tendre compagnon « ) – dans un splendide lit surélevé, une alcôve entourée de panneaux de bois sculptés. Seule ainsi dans la maison principale, à côté de l’âtre et de l’autel dédié au dieu du feu. Ses enfants étant conviés à loger dans des habitations annexes. Les filles possèdent toujours une annexe plus confortable que celle de leurs frères. Leurs amants ne doivent-ils pas, en effet, y passer la nuit ? Quant aux enfants nés de ces unions libres, êtres sacrés, symboles de l’avenir des leurs, ils restent chez leur mère sur laquelle repose la totale responsabilité de leur éducation…

A 19 heures, le soleil a disparu derrière les montagnes et le ciel prend des tons aquarelle. Un jeune homme continue à galoper jusqu’au village. Les sabots de sa monture flirtent avec la rive et l’éclaboussent. Le vent s’est soudain levé. Sur la surface du lac, il y a des vagues et tout autour, l’écume du ressac. On croit entendre le bruit de la mer dans cette vallée qui cherche ardemment à préserver ses traditions ancestrales.

Reportage: Sophie Dauwe/PLANET PICTURES

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