L’île de Ré est un de ces bonheurs insulaires qui ont conquis les people à la recherche de tranquillité. Elle a su aussi préserver une tradition gourmande, entre artisanat et produits de la mer. À consommer sans modération, de préférence hors saison.

Enfant, Richard Gendre attendait tous les matins aux aurores, cartable sur le dos, le bac qui l’emmenait à La Rochelle. Une image qui appartient au passé depuis qu’un pont relie l’île de Ré au reste du monde.  » Sa construction en 1988 a été vécue par les Rétais comme un ouragan « , se souvient le fringant quadragénaire. Certains recoins de l’île ont vu, en effet, leur affluence décupler pendant les pics touristiques de juillet et août. De quoi troubler la quiétude des autochtones, dont le nombre est resté identique depuis trois siècles (15 000 âmes), ou décourager les résidents secondaires, qui constituent 60 % de la population locale.

Richard Gendre n’a jamais quitté pour autant ce territoire de poche, cerné à 360 degrés par les vagues de l’Atlantique, où règne une douceur de vivre hors du commun. Surtout hors saison. Mieux, il participe à sa promotion sur un mode luxueux en tant que directeur du Richelieu, un Relais et Châteaux 4-étoiles avec thalasso aux petits soins. Une maison de rêve conçue comme un paquebot à l’ancienne avec son fumoir, ses fauteuils club couleur havane, ses chambres aux allures de cabine de bateau. Le restaurant étoilé, qui donne directement sur le Pertuis Breton, joue habillement avec les produits de la région. Richard Prouteau, 35 ans, formé chez Speltz à Luxembourg, y décline avec brio une cuisine iodée faite de noix de Saint-Jacques et casserons au citron confit ou de makis aux huîtres de l’île de Ré.

Les ostréiculteurs rétais sont encore nombreux ici. On en dénombre une cinquantaine répartis entre La Flotte, Saint-Martin-de-Ré et Ars-en-Ré, quatre des dix communes insulaires. A Ars-en-Ré, à une bonne demi-heure de bicyclette du Richelieu, le moyen le plus agréable et le plus adapté pour se déplacer, Tony Berthelot est un producteur d’huîtres qui ne connaît pas la crise.  » Les mois en r qui seraient les seuls propices à la consommation est pure invention ! explique l’ostréiculteur devant ses bassins, ciré jaune et bonnet sur la tête. C’est une croyance qui remonte au milieu du xviiie siècle au moment où un décret en a interdit la commercialisation afin de pallier la pénurie. Bien sûr, en été les huîtres sont plus laiteuses mais c’est une question de goût pas de qualité. D’autant qu’il existe des techniques naturelles pour les délaiter. « 

Aucun alibi saisonnier donc, pour ne pas goûter aux claires charentaises dont l’exploitant rappelle qu’elles sont d’origine asiatique depuis plusieurs décennies.  » Sur la côte atlantique, tous les élevages sont réalisés avec des huîtres d’origine japonaise qui se sont adaptées rapidement au milieu maritime, précise Tony Berthelot. Elles ont remplacé la  » creuse  » portugaise qui a été introduite à la fin du xixe siècle et décimée dans les années 1970. « 

Douceurs rétaises

Située en Charente-Maritime, l’île de Ré a sa propre activité viticole avec ses 600 hectares de vignes qui ne pèsent toutefois pas bien lourd face au 80 000 hectares du département. Les pineaux et autres cognacs qui reposent paisiblement dans les chais rétais représentent la moitié de la production ; c’est peu mais suffisamment pour que les étals des marchés locaux leur fassent honneur. Les flacons d’eau-de-vie du cru abondent au marché de La Flotte ou dans la petite halle couverte de Saint-Martin-de-Ré. On y trouve aussi des produits locaux, comme les confitures du Clocher, fabriquées artisanalement de mère en fils à Ars. Jusqu’il y a un an, on y scellait encore les milliers de pots à la main avant que la famille ne se décide à mécaniser la chose. Les trois fils Héraudeau ont chacun leur rôle : l’un s’occupe des champs, l’autre du laboratoire de fabrication, le troisième du commerce. Le savoir-faire de cette équipe d’agriculteurs et maraîchers s’exprime dans un registre libre et inspiré. Le confit tomates – salicornes, la confiture de cassis en grain sur gelée de groseilles au pruneau ou la gelée menthe – bergamote à consommer en infusion figurent parmi les créations maison.

Saint-Martin-de-Ré, le plus connu et le plus charmant des villages de l’île, se découvre idéalement en venant de La Flotte, en longeant la mer et les fortifications de Vauban, inscrites au Patrimoine mondial de l’Unesco. La citadelle est l’une des fiertés insulaires, défendue nez au vent par l’acteur Charles Berling, originaire du village. Ce n’est pas la seule personnalité que le voyageur risque de croiser au détour d’une balade. Les hommes politiques Lionel Jospin et Jacques Toubon ou l’écrivain-parolier-académicien Jean-Loup Dabadie viennent fréquemment se ressourcer à Ré, à l’écart du tumulte parisien. Si possible en s’isolant à l’extrême pointe nord de l’île, là où  » l’esprit insulaire est resté intact « , comme le dit un habitant.

Les Portes-en-Ré est le nom d’un de ces petits paradis, loué en vers et en refrain dans les années 1970 par Claude Nougaro, si recherché par les people que le terrain s’y négocie aux prix de l’avenue Montaigne, à Paris. L’endroit est coupé de toute civilisation, comme en témoigne la vue qu’offre le très proche phare des Baleines, un poste d’observation toujours en activité après 180 ans de loyaux services, qui domine magnifiquement le Pertuis Breton.

Mais s’il y a bien une histoire liée à Ré, c’est celle du sel. Au début du xixe siècle, les marais salants occupaient 1 500 hectares de l’île, soit un cinquième de sa superficie, avant que la pasteurisation ne s’impose comme nouveau moyen de conservation alimentaire. Quasi disparus du paysage insulaire, les bassins d’eau de mer – les  » carreaux  » comme les appellent les sauniers qui en extrairont le sel au terme d’un long processus d’irrigation et d’évaporation – ont pourtant refait leur apparition au milieu des années 1990.

Aujourd’hui, on compte près de 350 hectares de marais salants à Ré, pour une production annuelle de 2 000 tonnes de sel dont un centième est constitué par la fleur de sel, puisée à la surface blanche et cristalline des marais.  » C’est aussi pour des raisons écologiques que l’activité a connu un nouvel essor, souligne Loïc Picard, saunier depuis trois générations. On s’est rendu compte que le milieu floral et faunistique avait besoin des salines pour être préservé. Nous récoltons le sel tous les deux jours à cause du risque des intempéries, et manuellement pour être en phase avec les éléments naturels.  » Territoire sous haute surveillance urbanistique, l’île a su préserver ses forêts de pin et son littoral de l’appétit des promoteurs. Ré la blanche a aussi des accents verts.

Antoine Moreno – Photos : Renaud Callebaut

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