Barbara Witkowska Journaliste

Résines charnelles et sensuelles, odeurs secrètes de cascade, senteurs subtiles de barrière de corail et effluves enivrants de forêt vierge… Voici les nouveaux ingrédients des parfums de demain.

L’avenir de la parfumerie s’invente tous les jours. Cela dit, chercher de nouveaux ingrédients pour les parfums, susceptibles de chavirer nos sens, est un travail à temps plein, très long et extrêmement onéreux. Concurrence oblige, les laboratoires de composition travaillent dans le plus grand secret. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, Félix Mayr-Harting, directeur du développement de la parfumerie fine chez Quest, évoque sa dernière exploration dans les îles lointaines, en quête d’odeurs jamais utilisées auparavant dans les parfums.

Quest appartient à ICI, le plus grand groupe chimique en Grande-Bretagne. Plus jeune que ses concurrents, la société revendique, dans un marché terriblement saturé, une approche différente. Dans la dernière décennie, Quest a ainsi « boosté » l’univers de la parfumerie avec des créations inédites, fortes et percutantes ( voir encadré p. 98).  » Le public demande toujours des idées nouvelles, souligne Félix Mayr-Harting. Cela dit, il ne suffit pas d’être différent. Une réelle nouveauté doit également être « vraie », séduisante. De plus, aujourd’hui, un parfum doit plaire dans le monde entier. C’est la raison pour laquelle notre équipe de « nez » est internationale: elle réunit des Américains, des Britanniques, des Suisses et des Mexicains. Jeunes, passionnés et enthousiastes, ils apportent, tous, leur propre background et leur propre vision.  »

Galvanisé par les succès récents, Quest s’attaque donc à l’exploration de nouvelles pistes olfactives pour dynamiser la parfumerie du IIIe millénaire.  » La recherche peut être effectuée de deux manières, rappelle Félix Mayr-Harting. En synthétisant, dans un laboratoire, de nouvelles molécules chimiques ou encore en effectuant un travail de recherche scientifique sur les produits naturels. En découvrant de nouvelles matières premières et en améliorant les techniques d’extraction. « 

Optant pour la seconde alternative, une petite équipe de scientifiques et de parfumeurs s’est rendue, en novembre 2000, à Madagascar. Pourquoi Madagascar ? Cette île lointaine est un véritable paradis pour botanistes et parfumeurs. On y a répertorié environ 12 000 espèces de plantes, pour la plupart endémiques.  » Madagascar s’est peuplée relativement récemment, observe Félix Mayr-Harting. Or l’île s’est séparée de l’Afrique il y a très longtemps. La forêt vierge a pu ainsi se développer et s’épanouir dans toute sa splendeur, sa diversité et sa richesse. « 

Au terme de plusieurs mois de négociations avec les autorités malgaches, l’expédition fut mise sur pied et menée en association avec une équipe de recherche de l’université d’Oxford et en partenariat avec des botanistes de l’Ecole supérieure de sciences agronomiques de Madagascar et l’ANGAP (l’agence malgache responsable de la protection des parcs nationaux). Deux endroits à explorer sont déterminés à l’avance. Nosy Hara, une petite île déserte au nord de Madagascar, à une heure en bateau de la côte, et la jungle tropicale de la Montagne d’Ambre, située à une hauteur de 1 800 mètres, dans le nord de l’île.  » Durant trois semaines, du matin au soir, nous avons étudié le terrain à la loupe, à la recherche de fleurs, de bois et de fruits inédits, raconte Félix Mayr-Harting. Richard Rasakamalala, l’un des meilleurs botanistes de l’Ecole supérieure de sciences agronomiques et « une véritable encyclopédie », nous racontait l’histoire, la symbolique ou encore l’usage thérapeutique de toutes les plantes et arbres. De son côté, Claude Dir, le « nez » de la maison, donnait son avis sur les senteurs. Un premier tri a pu ainsi être effectué en vue de sélectionner des odeurs susceptibles d’apporter une innovation intéressante en parfumerie. « 

L’expédition se voulant  » écologiquement correcte « , aucune plante, aucune fleur n’ont été arrachées ou détruites. Les échantillons d’odeurs sont pris dans la nature à l’aide d’une nouvelle technologie, connue sous le nom de  » Biocaptive Frangrance « . En utilisant les méthodes scientifiques les plus perfectionnées appelées  » headspace « , on capte les odeurs en entourant la fleur d’une boule en verre et en emprisonnant les molécules odorantes dans une  » trappe scientifique « . Ces molécules sont ensuite décortiquées et analysées au laboratoire, puis reconstituées.

Plus pointue,  » aquaspace  » est une technique mise au point par Quest. Cette version plus sophistiquée de  » headspace  » permet de capter les odeurs sous l’eau. L’équipe a eu, en effet, l’idée d’explorer l’univers olfactif d’une grande cascade malgache.  » En dégringolant le long des 80 mètres, explique Félix Mayr-Harting, l’eau se fracasse contre les rochers. Les gouttes s’imprégnent des odeurs des minéraux et des mousses, collés à la pierre. La vapeur qui s’en dégage a une odeur spécifique, puissante et très agréable. La technique d’aquaspace nous a permis d’emprisonner les molécules parfumées présentes dans cette vapeur et de les reconstituer au laboratoire. « 

La minuscule île Nosy Hara, complètement déserte, visitée de temps à autre par des pêcheurs nomades, a réservé d’autres surprises. Sa végétation, plutôt sèche, recèle de très belles résines, inédites en parfumerie. L’île est entourée de magnifiques barrières de corail. Certaines d’entre elles exhalent des odeurs à la fois marines et florales, riches et profondes. Du jamais-vu ni senti en parfumerie. En pompant de l’eau à proximité de ces coraux, on a également réussi à capter leurs senteurs secrètes.

Le séjour à Madagascar s’est donc avéré extrêmement positif, fructueux et  » excitant « . L’équipe est rentrée avec une belle moisson de senteurs très prometteuses.  » La concurrence étant très serrée dans le milieu de la parfumerie, il m’est impossible de vous parler en détail de nos découvertes, sourit Félix Mayr-Harting. Très schématiquement, parmi la grande quantité d’odeurs étudiées, nous en avons retenu environ une vingtaine : des résines, des bois, des baies, ainsi qu’une orchidée très rare qui rappelle le parfum de l’ oeillet, mais sans le côté « old fashioned ». Je ne peux pas en dire plus, pour l’instant. En revanche, je peux vous parler des nouvelles tendances que nos découvertes pourraient amorcer. Elles sont au nombre de quatre. La première concerne les parfums charnels et sensuels. Les résines que nous avons trouvées sur l’île Nosy Hara ont vraiment des senteurs incroyables. En deuxième lieu, je pense à une autre facette de la tendance aquatique. Certes, elle a déjà été beaucoup exploitée au début des années 1990, mais sous l’angle de la transparence. Or il y a un autre univers olfactif dans l’eau, extrêmement riche, dû à la présence des mousses et des minéraux. C’est ce que nous avons découvert sous la cascade. La troisième tendance englobe les parfums soliflores : simples, naturels, figuratifs, et très beaux. Souvenez-vous des grandes réussites, telles Hiris de Hermès ou encore Green Tea d’Elizabeth Arden. Dans nos bagages, il y a quelques surprises intéressantes dans ce domaine-là. Enfin, la dernière tendance réunit les notes de la jungle, de la forêt vierge : luxuriantes, vertes, brutes et un peu sauvages. Bref, très énergisantes et vraiment magnifiques ! « .Chez Quest, les  » nez  » et les chercheurs ont donc du pain sur la planche. Ces ingrédients inédits, il faut les étudier à fond, les comprendre, avant de s’attaquer à la composition de nouvelles fragrances. Pour les humer, il faut s’armer de patience, pendant… un an et demi, environ !

Barbara Witkowska

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