Au sud-est de la péninsule Arabique, plus tout à fait l’Orient, déjà un peu l’Asie : le sultanat d’Oman, un pays attachant, authentique, où flotte un parfum d’Afrique. Grands navigateurs depuis la nuit des temps, les Omanais sont des hôtes attentifs qui aiment partager leurs trésors.

Arrivé à Mascate, on est vite dépaysé en découvrant, sous une pluie de lanternes en soie, le lobby de l’hôtel Chedi, le pavillon blanc qu’ombragent les palmiers, la grande chambre claire à coupole d’argent, l’enfilade de patios calmes où murmure à peine une fontaine et les grands divans gris où prendre un verre à l’heure où s’allument les braseros entre plage et piscine, avant de déguster au restaurant le meilleur de la cuisine de trois continentsà Pour un peu, on retarderait presque l’exploration de Mascate pour profiter de cet Alhambra zen et contemporain, d’autant que la capitale de poche laisse d’abord perplexe avec ses éclats de montagnes chocolat tombant dans le golfe d’Oman, son méli-mélo de constructions post-boom pétrolier, ses vieilles ambassades transformées en musées et, cerise sur le gâteau, le palais bleu et or du sultan qui évoque moins les Mille et Une Nuits qu’une boîte de nuit disco !

Les coureurs de mer

Il faut pourtant suivre la corniche jusqu’aux vieilles maisons de marchands de Muttrah, gardiennes du souk et de l’histoire haute en couleur de ce sultanat avec une âme, si différent de ses voisins plus clinquants. Ici aussi, les bédouins vivaient de dattes et de lait de chèvre. Mais la moitié de l’année seulement. Le reste du temps, l’appel de l’océan faisait d’eux des pêcheurs, des navigateurs, des marchands. Les Omanais n’ont pas attendu l’or noir pour s’ouvrir au monde et faire des affaires. Coureurs des mers du golfe du Bengale au cap de Bonne-Espérance, ils livraient déjà aux Romains leurs perles et leur encens, mais aussi des cargaisons d’épices et de soieries venues d’Inde et de Chine. Dans des villes comme Goa et Canton, ces enfants de Sinbad avaient établi des comptoirs que les Portugais leur disputèrent dès le xvie siècle. Et ils étaient chez eux sur les côtes d’Afrique orientale, de Mogadiscio à Zanzibar et Madagascar, d’où ils rapportaient l’or, l’ivoire et des bois précieux. Dans la baie de Mascate, quelques boutres dansent toujours, sur fond de raffineries. Une nouvelle page d’histoire s’écrit, mais ces lointains voyages ont laissé leur marque, indélébile. Dans la cuisine d’Oman, qui mélange falafel et tandoori, mezzé et poulet tikka. Dans l’architecture, aux décors tantôt fleuris comme des miniatures persanes, tantôt ornés de motifs géométriques venus d’Afrique. Et dans la personnalité cosmopolite des Omanais, qui ont pour les étrangers un mélange rare de gentillesse et de curiositéà Il faut dire que l’on professe ici l’ibadisme, un courant ancien de l’islam, tolérant à l’égard des autres religions. Chacun peut ainsi visiter la grande mosquée, pour laquelle le sultan n’a pas lésiné. Longues galeries et claustras de pierre pâle (la même qu’au Taj Mahal), portes et plafonds en teck ouvragé, mosaïques turquoise et lazuli, vastes patios, salles de prières conjuguant le marbre de Carrare, les lustres de cristal et des tapis insensés, ayant demandé quatre ans de travail à six cents tisserands ! Comme tous les peuples qui ont beaucoup bourlingué, les Omanais sont aussi très attachés à leur patrimoine. Les pétrodollars leur ont permis de restaurer les nombreux forts bâtis par les Portugais, qui se sont incrustés un bon siècle à Mascate le temps de roder la route des Indes, ou, comme à Nakhal, par les sultans yaroubides qui les chassèrent au xviie siècle. Des kilomètres de champs de pierres piquetés d’acacias aplatis pour voir le fort émerger d’un bouquet de dattiers. Ambré, un peu massif avec ses tours dodues, ses bastions crénelés, il abrite une déco minimale chic : lits et coffres en bois tourné, tapis et coussins colorés, quelques vieux miroirs et de la vaisselle exotiqueà venue d’Europe et de Chine !

Oasis et étendues arides

Un coup de volant vers le sud et le 4×4 quitte l’asphalte pour la piste escarpée du Wadi Bani Auf. Cet oued asséché se fraie un chemin à travers le djebel Akhdar. Tout un monde minéral rugueux, plissé, torturé par la tectonique des plaques, qui coupe le souffle quand on le découvre du djebel Shams, le plus haut sommet d’Oman. A l’aube de notre ère, des hommes ont pourtant réussi à apprivoiser ces étendues arides. A Bilad Sayt, et surtout à Misfat, adorable dédale de ruelles, terrasses, maisons et escaliers adossé à la falaise, on prend une leçon d’agronomie primitive. Car sans les falaj, génial système d’irrigation aujourd’hui inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité, ces oasis de montagne, avec leurs carrés de luzerne, leurs orangers et manguiers sous les dattiers, n’auraient pu voir le jour. Dans la vieille ville d’Al Hamra, les 3 précieuses rigoles traversent même, grenouilles et poissons compris, les hautes maisons de terre. Que se passe-t-il derrière leurs lourdes portes cloutées, ces murs, vieux de quatre cents ans, à peine percés de minuscules jalousies ? Les femmes de Bait Al Safah satisfont la curiosité des visiteurs en reproduisant les gestes d’hier. Concentrées au-dessus de petits mortiers, elles broient le santal qui fait la peau douce, les grains de café et la farine dont elles feront des crêpes très fines. Servies avec des dattes et du café à la cardamome, c’est l’immuable rituel d’hospitalité. Même si les temps changent et que l’exode rural vide les villages. Ici, comme à Birkat al Mawz, la belle pépinière de bananiers à l’est de Nizwaà Mais on pressent pourtant que ces oasis de miel et de lait sont le c£ur battant du sultanat, le rempart rural qui l’a protégé plus qu’ailleurs de la fièvre de l’or noirà

Les charmes de Nizwa et du désert

Pour un bout de corde, quelques graines ou un panier, ces cultivateurs jardiniers de la Dhakiliyah se retrouvent au souk de Nizwa, qui a gardé beaucoup de charme avec ses arcs brisés, ses plafonds de palme, ses échoppes et ses vendeurs en longue dishdasha blanche et turban. Capitale de l’intérieur, ville de poètes et d’érudits, perle de l’Arabie heureuse, Nizwa occupe une place à part dans le c£ur des Omanais. C’est aussi le berceau des sultans yaroubides qui pacifièrent et firent prospérer le pays au xviie siècle. On leur doit la grosse meringue rose du fort, qui jouxte au c£ur de la ville un palais labyrinthique et une mosquée surmontée d’un luxueux oignon or et lazuli. Et l’étonnant château de Jabrin, sorte de palais-université aux portes du désert où l’on enseignait le droit, la religion, la médecine et l’astronomie sous de merveilleux plafonds peints de sourates, de fleurs et d’étoiles. A Ibra, il faut dégonfler les pneus du 4×4 pour s’enfoncer dans les sables des Wahibas : 15 000 km2 de dunes ondulant jusqu’à l’océan. De septembre à mai, des Bédouins y vivent de dattes, du lait de leurs chèvres et de l’élevage de dromadaires de course. Au point du jour, ces yearlings hors de prix, drapés dans de vieilles cotonnades fleuries comme s’il s’agissait de couvertures Hermès, s’échauffent avec sérieux, drivés par des jockeys d’une dizaine d’années. Autour d’eux, le vent fait naître des minitornades, dessine des stries régulières sur le ventre rond des dunes, mélange les sables jaune et orangeà Le désert a ses amoureux. Si nombreux que toutes sortes de camps les accueillent à la saison  » fraîche « . Desert Nights, nouveauté omanaise gérée façon guest-house par un couple sud-africain, a remplacé le confort spartiate de la tente bédouine avec douche en plein air par de jolis bungalows tout confort. Couette douillette, tapis moelleux, banquettes où paresser dans un camaïeu de coussins soyeux où prendre un verre sous les étoilesà Et vue imprenable sur les dunes, que vos hôtes vous auront fait escalader la veille pour un  » sunset camel safari  » à couper le souffle, au propre comme au figuré !

La côte des mille et une criques

La large piste qui s’enfonce au c£ur des dunes est étonnamment fréquentée. Ce sont les pêcheurs de Sur venus vendre leur poisson à l’intérieur, et leur seule évocation donne envie de revoir la mer d’Oman. Indigo d’abord, puis turquoise sur le récif, elle déploie sa palette de bleus pour mieux faire ressortir la blancheur, la délicatesse de Sur la belle, phares et minarets dressés vers le ciel. C’était déjà un port important quand Marco Polo y accosta, laissant le Vénitien songeur devant ses boutres chargés d’encens, de perles et d’étalons arabes. Sur fut la plaque tournante du commerce avec l’Afrique, jusqu’à l’ouverture du canal de Suez qui convertit le port marchand en port de pêche. Sur les bords de sa lagune, parmi des nuées de mouettes, les hommes déversent sur la plage le butin de leurs petites barques. Ce ne sont que des sardines, mais des sardines dignes des carnets de Delacroix. Une dernière montagne posée sur la plaine de sable et d’acacias, si africaine, et voici le site, cerné de falaises blondes, de Barr Al-Jissah. Devant ces criques magiques au sud de Mascate, ces plages où viennent pondre les tortues, on aurait préféré un  » resort  » plus discret. Le Shangri-La a beau revendiquer l’héritage architectural des forts et palais omanais, il en livre une version hollywoodienne assez éloignée ! Il serait vain de bouder son plaisir devant cette avalanche d’hôtels ultraconfortables, de restaurants et cafés, chics ou décontractés, de piscines et de plages privéesà

Une Norvège d’Arabie

Il n’empêche que la magie de Barr Al-Jissah réside moins dans les 46 656 pampilles de ses lustres en cristal de Bohême que dans le spectacle d’un petit bateau de pêche dansant sur la mer rose au point du jour. Le juste milieu est peut-être à chercher du côté de Zighy Bay, une baie du bout du monde, perle de la belle péninsule de Musandam. Enclave omanaise en territoire émirati, cette Norvège d’Arabie séduit par la beauté de ses montagnes âpres et dorées, et ses eaux coralliennes peuplées de coquillages, de tortues et dauphins. Y installer un resort de 82 villas, avec piscines, Spa, marina et restaurant gastronomique au sommet de la falaise eût été criminel s’il ne s’était agi du petit dernier des Six Senses Hideaways. Sans parler de modèle absolu d’écologie, tout a été fait ici pour que le resort se fonde littéralement dans le décor. Quand on les découvre depuis la mer, ses villas en palme, pierre et bois, séparées par des ruelles de sable, ont même un air de village omanais. A l’intérieur, les références à l’architecture traditionnelle sont si nombreuses qu’on a l’impression de se cultiver tout en paressant, de la cour inspirée du majlis omanais aux cabanes sur pilotis en nervures de palmes tressées (appelées barasti), posées sur la plage comme les maisons des pêcheurs de la Batinah. Les plus aventureux iront en bateau explorer la côte et ses mille et une criques, jadis théâtres d’assauts pirates et de grandes batailles navales entre les flottes perse, omanaise, portugaise. C’est ici aussi que les boutres marchands se rassemblaient, prêts à voguer, via le détroit d’Ormuz, vers les vallées du Tigre ou de l’Indus. Musandam, c’est la promesse de l’Inde et d’un Orient déjà moins extrême.

Tous nos remerciements à l’office de tourisme d’Oman, à Exclusif Voyages et au Six Senses Hideaway de Zighy Bay qui nous ont aidés à organiser ce reportage. A Brigitte de Lussy et Umesh Khimji.

Julie Daurel Photos : Nicolas Millet

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