Le rouge de la saison vire au noir, au violet ou au grenat, et flirte avec des influences gothiques et punk. Petite leçon de style.

« Imaginez Belle de Jour qui aurait trempé ses lèvres dans un verre de bordeaux.  » Voilà comment Tom Pecheux, make-up artist pour Estée Lauder, décrivait l’allure de l’automne 2013, juste avant le défilé Anthony Vaccarello, en février dernier. Pour le show, il avait imaginé une femme au teint pâle, au regard mélancolique et surtout au sourire souligné d’un rouge sourd, presque violent. Bordeaux, cassis, myrtille, sang de boeuf, grenat, prune, aubergine ou brique intense : appelez les variations de palette comme bon vous semble, mais indéniablement le rouge de la rentrée s’assombrit. Rien de neuf, répliqueront les fines bouches : c’est le cas presque tous les hivers. Mais, cette année, ce ton n’est plus synonyme d’une élégance classique, bien laquée et parfaitement dessinée. Le rouge noir, sur les podiums, est devenu un accessoire de mode, qui ne varie pas simplement par sa couleur ni même par sa texture. C’est la façon de l’appliquer qui fait la différence.

Tom Pecheux n’est pas le seul à avoir rêvé d’une femme aux lèvres sombres. Elles sont franchement violines sur la punkette imaginée par Peter Philips chez Fendi. Un rouge prune aristocratique accompagne les couronnes dorées du duo italien Dolce & Gabbana. Chez Lanvin, les filles lorgnent du côté de l’ultradark, et de la cerise noire chez Miu Miu. D’autres ont même opté pour une bouche bicolore, en rouge et noir.

ACCENTS GOTHIQUES

Cette noirceur ne sort pas que de l’esprit des make-up artists. La mode se pique de tendances gothiques et punk depuis plusieurs saisons déjà. Au printemps dernier, le Metropolitan Museum of Art, de New York, consacrait son exposition de mode au mouvement punk, From Chaos to Couture. Ces bouches sanguines et vibrantes empruntent également à la figure du vampire, régulièrement utilisée par la pop culture. La sociologue Marjolaine Boutet, auteur de Vampires. Au-delà du mythe (Ellipses), le rappelle :  » Le suceur de sang s’est transformé, passant de prédateur en héros romantique et désirable.  »

La version proposée côté maquillage est cependant soft. Lyne Desnoyers, make-up artist pour M.A.C, précise :  » Le retour du punk, des vampires et du gothique est là. Mais il ne s’agit pas d’une interprétation au premier degré. On a gardé de ces tendances leur essence : l’idée d’une radicalisation de l’individualité.  » Et l’expression de soi ne passe plus forcément par l’excès.  » Les saisons dernières, le maquillage était le signe d’une rébellion, affirme Violette, make-up designer chez Dior. Aujourd’hui, on assiste à l’avènement d’une version douce et féminine. Les teints sont moins blancs, par exemple. C’est l’ère de la maturité.  » Une féminité assumée, certes, quoiqu’un rien surjouée. Le rouge dark permet de dévoiler une facette plus audacieuse.  » On a fait le tour du nude. Place à la séduction plus franche ! continue Violette. Lorsque l’on maquille la bouche, on attire le regard sur la partie du visage la plus sexuelle. Mais, en même temps, les femmes savent bien qu’avec un rouge aussi présent il est hors de question de se laisser embrasser sans tout gâcher ! J’aime cette prise de pouvoir.  »

LE CHOIX D’UNE COULEUR

Contrairement aux idées reçues, ces rouges assombris peuvent apporter beaucoup de richesse aux bouches fines. Il n’y a pas d’entre-deux en revanche. La version graphique, moderne en mat, se dessine au crayon et au pinceau. L’autre possibilité ? Le porter comme si l’on venait de boire un verre de vin : on floute le tout, en troquant au besoin l’ultramat pour des satinés plus confortables. Chez Marni ou Prada, on estompe le contour de la bouche, en plaçant une touche foncée au centre. Micky, make-up artist pour Lancôme, est également adepte de la lèvre mordue et effacée.  » Je conseille d’abord de neutraliser la couleur avec un anti-cerne, qui apporte un aspect poudré. Puis on applique une poudre libre. Ensuite on tapote une ou deux teintes très proches, au centre des lèvres, avec un pinceau ou au doigt. L’essentiel est de ne pas chercher la perfection. Les plus téméraires pourront même oser un coup de crayon noir pour assombrir un bordeaux !  »

Le tout est encore de choisir la bonne nuance…  » Apportez en magasin le rouge qui vous va le mieux, qu’il soit fuchsia, carmin ou corail, propose Violette. Essayez ensuite sa version sombre. La couleur de base restant la même, ce nouveau rouge sera plus facile à adopter.  » Il semblerait également que même les hommes s’y mettent. Lors des défilés à Milan en juillet dernier, certains mannequins avaient opté pour ce look un peu gothique, à commencer par les rockeurs eighties de Saint Laurent. Le créateur Thom Browne avait imaginé des joueurs de cricket aux lèvres noires chez Moncler Gamme Bleu et une armée de soldats au sourire soigneusement laqué de rouge sur son propre défilé.

PAR VALENTINE PÉTRY

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