Troquer ses escarpins contre de solides chaussures de volcanologue, passer d’un bourg glamour et survolté à un village paisible et tranquille. Le tout en un battement de cils. C’est ça, la Sicile.

L’£il de l’Etna scrute l’avion à son zénith. A 2 h 45 de vol de Bruxelles, l’arrivée en Sicile coupe le souffle. Le regard se perd dans les cratères du volcan, caresse les flots turquoise de la mer Ionienne, s’attarde sur les champs verdoyants. Et dans notre imagination, de là-haut, la ligne côtière, entre les caps Sant’Andrea et Taormina, ressemble au profil d’un taureau. L’arrivée à l’aéroport de Catania Fontanarossa est elle aussi impressionnante : la piste d’atterrissage semble jaillir de la mer, forçant l’appareil à raser les flots pour l’aborder.

Située au centre de la Méditerranée, la Sicile est le point de passage entre l’Europe et l’Afrique, l’Orient et l’Occident. Phéniciens, Grecs, Carthaginois, Romains, Vandales, Ostrogoths, Byzantins, Arabes ou encore Normands défilèrent sur cette terre. Aujourd’hui, l’envahisseur idolâtré est le touriste. Qui se précipite sur l’île, comme pour vérifier lui-même comment il est possible de vivre heureux à l’ombre d’un volcan.

L’Etna, ce géant

Bleu, dangereux. Gris, activité strombolienne. Le Sicilien connaît le langage des fumerolles de l’Etna. Et il sait que le  » cyclope  » recèle bien des maisons ensevelies intactes dans une gangue de lave durcie lors des irruptions précédentes. D’une hauteur de 3 345 mètres, son cône s’étend sur environ 1 250 km2. Il est actuellement l’un des volcans les plus actifs au monde. Et aussi le plus visité. Pour s’approcher au plus près du géant de feu, deux départementales mènent au Rifugio Sapienza via Nicolosi Nord, à 1 923 m d’altitude. De téléphérique en tout-terrain, vous alunissez littéralement dans un paysage dantesque.

Pieds dans la cendre et poumons étreints par la raréfaction d’oxygène, les touristes arpentent des arêtes de lave séchée, craignant parfois qu’un des 100 petits cônes annexes ne se mette à vomir du feu. Sur le versant sud du volcan, les coulées des années 1983, 1985 et 2001 ont à chaque fois démoli le téléphérique. Sur le versant nord a couru la coulée de 2002, celle qui a envahi le centre touristique de Linguaglossa, petite ville charmante entourée de vignes et de pins géants.

Après ces vues de désolation, il est temps de reprendre goût à la ville. Sous le soleil, la ligne ferroviaire Circumetnea dont le trajet encercle le cône du volcan, sillonne des terres fertiles où poussent généreusement amandes, citrons, pistaches, pamplemousses et oranges sanguines, avant d’arriver à son terminal de Catane. Là, le marché aux poissons bruyant vous plonge dans une foule de Siciliens souriants, accueillants, généreux.

Après avoir traversé la Piazza Duomo aux balcons ornés de chandeliers – là où les étudiants universitaires de Catane en période de bizutage doivent laver les fesses de l’éléphant de la fontaine -, il est bien agréable de s’offrir une orgie de shopping sur la Via Etnea, suivie d’une bonne  » granita al pistacchio  » tout en observant d’un £il la foule qui se promène à l’ombre des palais baroques. A un feu rouge, un papy endimanché en vient aux mains avec trois jeunes qui refusent l’accès au bus à sa belle faute de place. Vraiment, un jour comme un autre à Catane !

Les courses sur le Corso

À 60 km d’ici, Taormina, la Saint-Tropez de l’île, s’étire sur une terrasse du Monte Tauro depuis 358 avant Jésus-Christ. Goethe, Tennessee Williams, Elizabeth Taylor, Michael Bolton et bien d’autres y ont étrenné leurs lunettes fumées. A voir : le Teatro Antico où a lieu chaque année un festival d’art lyrique réputé dans toute l’Europe. Le piétonnier Corso Umberto est une portion de l’ancienne route consulaire reliant Messine à Cataneà Sur la Piazza Vittorio Emanuele, il faut visiter le Palais Corvaja, siège actuel du Parlement sicilien. Le palais côtoie la très belle église Santa Caterina. Les curiosités de la ville se retrouvent presque toutes sur le Corso, enchâssés entre les portes Messina et Catania.

Hors de l’avenue piétonne, quel bonheur de flâner au gré des ruelles en escaliers, avec pause chez le glacier artisanal de la Via Teatro Greco qui vous proposera quelques boules de crème glacée servies dans une brioche. Tout aussi délectable : un cappuccino au sélect Mocambo de la Piazza Duomo, en s’installant sur un des sièges qui a probablement accueilli Liz Taylor le jour où elle a cassé une guitare sur la tête de Richard Burton. Jalousie quand tu nous tiensà

Noirs, vernis, compensés… La fashionista sicilienne trace son itinéraire glamour, haut perchée sur ses escarpins trendy. Un détour par la terrasse du Wunderbar sur la Piazza IX Aprile vaut son pesant de snobisme, même si l’espresso est à 5,20 euros.

Envie de s’offrir une généalogie locale ?  » Possible « , promet la vitrine de l’antiquaire Saro, au n° 218. Ses créoles atypiques oublient leur passé modeste de bijoux du peuple pour s’afficher à des prix d’orfèvre à 1 400 euros la paire. Ce parcours très féminin finira sur une note romantique avec le Giardino Pubblico beau et dense comme un chagrin d’amour lancinant. Au xixe siècle, le prince de Galles voulait épouser sa cousine Miss Florence Trevelyan, que la reine mère exila. La belle se jeta à c£ur éperdu dans la conception de cet élégant english garden.

DES HALTES DE CHARME

Au sommet du Monte Tauro, Castelmola,  » le plus joli village de Sicile  » se mérite après une montée musclée par l’ancien sentier préhistorique rebaptisé route communale de la Chiusa. Les moins courageux opteront pour la montée en bus de 15 minutes. Après les mosaïques de la Piazza San Antonino, poussez jusqu’au Turrisi, café-bar saugrenu de la Piazza Duomo. Récompense suprême, un verre de vin d’amande frappé dégusté sur le toit, au coucher du soleil. Ensuite 20 minutes de descente en cadence par la Via dei Saraceni (le sentier des Sarrasins) laissent tout simplement le touriste à bout de souffle.

La Via dei Pescatori mène de Taormina à Isola Bella, perle de la mer Ionienne. Cette autre propriété de Miss Trevelyan est une ravissante île minuscule, reliée à la terre par un sentier. L’endroit, décrété  » réserve naturelle  » par la WWF, regorge d’oiseaux, plantes et organismes sous-marins rares.

La petite ville d’Acireale vous plongera, elle, dans une ambiance typique de la Sicile. A la Pasticceria Costarelli, vous croquerez un mosto (biscuit) sous l’£il bienveillant d’octogénaires en costume noir, chapeau vissé sur le crâne. Face à vous, l’église baroque des saints Pierre et Paul, à un seul clocher au lieu de deux, l’architecte s’étant rendu compte trop tard que le second aurait fait de l’ombre au cadran solaire d’en face. A Noto, la plus baroque des villes de Sicile, allez luncher à la Trattoria Del Carmine (1, Via Ducezio) en semaine pour frayer avec de jeunes hommes d’affaires sapés façon Le Parrain. Ne manquez pas, sur la Via Corrado Nicolaci, l’infiorata (tapis de fleurs) à la fin mai.

Enfin, une dernière halte s’impose à Syracuse l’antique avec son théâtre grec, ses jardins inoubliables et sa grotte de 23 mètres de hauteur sur 60 mètres de longueur, l’Orecchio di Dionisio, où le public rivalise de vocalises pour tester son acoustique exceptionnelle. Quand on laisse le silence planer, on y entend la voix du temps. So romantic !

PAR CORINNE DETANDT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content