Sur la Toile, les marques de beauté se fabriquent une nouvelle image, moins lisse, plus fun, plus complice. Plus que jamais les femmes y jouent à se faire belles. Sous l’étroite surveillance des labels qu’elles aiment.

La ménagère de moins de 50 ans a un nouveau profil. Un profil Facebook, s’entend. La cible 2.0 du marketing moderne aurait en moyenne 37 ans et serait très active sur les réseaux sociaux qu’elle fréquenterait avant tout pour jouer et pour se distraire. Quand elle exprime son opinion sur la Toile – à peine 11 % des internautes sont coutumiers du fait, les autres se contentant de mater -, la beauté apparaît en bonne place dans le top des sujets qu’elle aime commenter. Pas vraiment de quoi s’étonner quand on y pense.  » De tout temps, des femmes, qu’elles soient amies, mères, jeunes filles, s£urs, se sont transmis des recettes de beauté qu’elles utilisaient ensuite, seules ou ensemble, en vivant cela comme un moment hédoniste, une ode à leur féminité « , rappelle l’historienne Anne de Marnhac (1). Si le bouche-à-oreille a toujours existé, ce qui a changé, en revanche, c’est incontestablement la manière dont les griffes, de cosmétiques et de parfums en particulier, ont décidé d’y participer et de l’encadrer pour mieux (faire) parler d’elles.  » Les marques très haut de gamme se sont un temps demandé si elles avaient leur place sur Internet, se remémore-t-on chez L’Oréal Luxe, le groupe qui détient pas moins de 11 labels, à Bruxelles. En réalité, c’est le « match » parfait. La beauté c’est de l’émotion. Le digital, aussi. La beauté, ce sont des connections : le regard de l’autre a toujours été essentiel. Le digital aussi, ce sont des connections. Les deux univers sont intimement liés. La beauté aujourd’hui est aussi digitale.  »

Présents sur Internet d’abord via leurs sites  » institutionnels « , les grands noms du secteur – comme les petits acteurs d’ailleurs – squattent désormais Facebook, Twitter et YouTube avec de plus en plus de zèle, multipliant les mises en ligne de contenus spécialement conçus pour le Web. Oubliées donc les versions longues des pubs télé – aujourd’hui, c’est le format Bref qui cartonne – et les making of de campagnes aussi bavards que les interminables bonus de DVD.  » Là où les spots télé traditionnels peuvent encore avoir une durée de vie de plusieurs années, en digital, tout doit changer beaucoup plus vite « , commente-t-on chez L’Oréal Luxe. Le buzz s’entretenant tel un feu sacré, le teasing du teasing est devenu la norme : on n’informe plus seulement sur un produit, mais aussi sur la pub qui en sera faite. Plus question donc de lancer le moindre film d’animation ou petite app fun sans compte à rebours savamment planifié. L’important finalement étant que ça share, ça like et ça poke à tout vent.

 » Ce qui compte, en réalité, ce n’est pas tellement le nombre d’amis ou de followers que vous avez sur Facebook ou sur Twitter, mais le degré d’activité et d’implication de ceux-ci « , poursuit-on chez Lancôme et Biotherm, deux marques qui viennent de lancer leurs  » pages  » belges afin d’entretenir une relation de proximité avec leurs fans locales. Pour tisser ce lien, le ton du discours se veut intimiste et complice.  » Sur notre site corporate, nous avons toujours posté des conseils et des actions de fidélité, convient Anna Grassano, marketing manager chez Nivea Belgique. Mais sur les réseaux sociaux, nos consommatrices ne cherchent pas seulement de l’information. Elles veulent passer un moment agréable, se distraire. « 

Tout est donc mis en place pour vous garder sur ces sites le plus longtemps possible. Ainsi, la nouvelle plate-forme d’Yves Saint Laurent Beauté propose même un mode de visite  » aléatoire  » : il suffit pour cela de cliquer sur la même double flèche que celle que l’on retrouve sur les playlists de son iPod. Défilent alors sous vos yeux des vidéos  » how to  » de Lloyd Simmonds, le make-up artist de la maison, l’avis d’un expert en vieillissement cutané et un dessin animé – 1 min 48 sec, ni trop long, ni trop court – à l’atmosphère un brin  » burtonienne « .  » On ne cherche pas du tout à pousser les produits, insiste-t-on chez Yves Saint Laurent. Mais à créer de l’émotion. Nous observons ce qui plaît, ce qui plaît moins. Les premières statistiques indiquent en tout cas que les gens s’attardent longtemps sur le site. « 

Il n’y a d’ailleurs pas que les bons moments passés ensemble ( NDLR : une minute, ce n’est pas bon du tout, neuf minutes et il y a déjà des raisons de se réjouir) qui soient soigneusement  » monitorés  » : le contenu des commentaires – laissés sur le Facebook de la marque mais aussi dans les forums et sur les blogs beauté – est décrypté plusieurs fois par jour.  » L’image de Clinique donnée par ses consommatrices est aussi importante que celle que Clinique souhaite donner d’elle-même, analyse Diego Giacomini, general manager Benelux. L’époque où la marque communiquait vers sa cliente à sens unique et dans toute sa puissance est révolue. Nous avons tout à apprendre de ce qui se dit sur nous. Les bonnes comme les moins bonnes choses d’ailleurs.  »

S’il est difficile de vraiment traduire un  » like  » en vente effective chez le détaillant, ces échanges permanents – et volontairement choisis puisqu’il ne s’agit pas ici de regarder une pub qui vous est imposée – contribuent à consolider ce que les professionnels du secteur appellent le  » brand awareness « . Grâce à toutes ces petites attentions qu’elles nous portent – une réponse personnalisée, l’envoi d’un échantillon à la maison, les cadeaux que l’on peut gagner en participant aux jeux concours -, les griffes nous occupent l’esprit.  » Nous savons qu’une utilisatrice de Facebook qui « aime » Clinique, achète plus de produits qu’une cliente classique, affirme Diego Giacomini. Si elle « like » notre marque, c’est qu’il y a une raison, elle est forcément plus engagée. « 

Pour Kiehl’s, par exemple, qui n’a jamais investi dans la publicité payante, entretenir cette amitié virtuelle est une question de survie. Le label qui ne possède à ce jour que trois points de vente en Belgique vient d’ouvrir son e-boutique, en mars dernier : le moyen bien sûr de toucher un public plus large mais aussi de voir où habitent ces nouveaux clients et partant, d’en déduire la localisation idéale d’un quatrième magasin.  » À tous les niveaux, le digital prend de plus en plus d’importance, insiste Diego Giacomini. Un des moyens de contrôler aujourd’hui si les spots télévisés ont un impact, c’est d’observer les recherches qui sont effectuées sur Google juste après la diffusion de la pub. Mettons que votre campagne passe après le journal télévisé. Dans l’heure qui suit, vous pouvez constater qu’il y a un pic de recherche sur les mots clés utilisés dans les slogans. Parce que les gens regardent la télévision avec, à côté d’eux, leurs tablettes ou leurs téléphones portables, ils peuvent réagir en direct, chercher des informations complémentaires.  » Et même concrétiser l’acte d’achat si les produits sont disponibles en ligne. Chez Clinique aussi, on vient d’ailleurs de sauter le pas.  » La tendance est bien là : une partie de plus en plus importante de la consommation se déplace sur Internet, confirme le general manager de la marque pour le Benelux. La consommatrice est en recherche d’une expérience d’achat différente, plus engageante. Nous espérons pouvoir lui offrir un service supplémentaire, des échantillons personnalisés, des produits proposés sur le site en exclusivité. « 

Première primeur très attendue – surtout – par les blogueuses : l’arrivée de la BB cream de Clinique, jusque-là seulement accessible sur le marché asiatique.  » Le buzz autour de cette nouveauté était mondial, révèle Diego Giacomini. Il a trouvé sa source sur le Net et c’est là qu’il est entretenu. C’est d’ailleurs sous la pression des blogueuses qu’il a dans un premier temps été introduit en France. Nous allons le « tester » en ligne et si les résultats sont concluants, il pourrait compléter la gamme disponible chez les revendeurs traditionnels. « 

Encore peu influentes en Belgique, certaines blogueuses et youtubeuses françaises, britanniques et américaines surtout, suivies par des centaines de milliers si pas des millions de fans, sont prises très au sérieux par les acteurs de la beauté.  » Il va sans dire que les commentaires positifs ont un impact sur la désirabilité de nos produits et par conséquent sur les ventes, reconnaît-on chez Chanel qui a su tisser, très tôt, des partenariats avec les plus actives et les plus professionnelles d’entre elles.

Après avoir lancé la mode des  » tutorials  » ( NDLR : des maquillages détaillés étape par étape en images), des filles comme Michelle Phan ou Emily Weiss (lire en pages 20 à 24), passées professionnelles, travaillent désormais pour Lancôme ou Dior en réalisant régulièrement des vidéos diffusées à la fois sur leur channel YouTube ou leur site et sur ceux de la marque qui les appointe. En marge de ces  » how to  » concédés, se développent aussi de plus en plus de leçons de maquillage orchestrées par le make-up artist  » officiel  » de la maison mais aussi par le régional de l’épate.  » En Allemagne, notre maquilleur local propose aussi ses propres « tutos », détaille-t-on chez Lancôme. Il répond en réalité à des demandes spécifiques de fans de la page Facebook et il s’adresse même à elles en les appelant par leur prénom dans ses vidéos.  » Une pédagogie qui fait école et que l’on retrouve aussi dans les pages des magazines qui se veulent de plus en plus didactiques dans leur approche et n’hésitent pas à mettre en scène eux aussi leurs propres tips en image (découvrez nos 5 tutos de l’été en pages 26 à 34).

En marge de ces conseils pratiques, la part de rêve contenue dans les palettes de maquillage n’est pas occultée pour autant, bien au contraire. Chez Chanel, Peter Philips est à l’origine du lancement du site Makeup Confidential en 2011. Graphiste de formation, le directeur artistique des maquillages y voit un moyen de  » communiquer de façon audacieuse, précise-t-on chez Chanel. La créativité est au c£ur de notre business. Il nous faut sans cesse innover et surprendre « . Les petits films mettant en scène des produits de la maison de manière complètement décalée et pas du tout  » utilitaire  » font un véritable carton sur la Toile. Chez Dior, Lancôme, Yves Saint Laurent aussi, les mises en ligne de rouges à lèvres et de vernis animés ne cessent de se multiplier depuis quelques mois.

 » Si vous regardez ce que les gens forwardent à leurs amis, ce sont souvent des choses drôles, loufoques, décalées, insiste Diego Giacomini. À côté de la publicité plus conventionnelle que l’on va trouver à la télévision ou dans les magazines, l’image que l’on donne de soi sur le Net est beaucoup plus fun. L’objectif, c’est de réussir à sortir du lot. Sans tomber dans le ridicule. Et sans bombarder nos fans non plus plusieurs fois par jour. « 

Jamais l’expression  » jouer à se faire belle  » n’a aussi bien porté son nom. Plus souvent ludiques que pratiques, les apps réveillent la petite fille qui sommeille en toute beauty addict. Le produit n’est généralement qu’un prétexte au divertissement. Ainsi, à l’occasion du lancement de l’effaceur de maquillage Mister Perfect, l’équipe digitale des Parfums Givenchy a imaginé une application de social gaming inspirée de Space Invader, un classique des jeux d’arcade des années 80. En lieu et place des vaisseaux spatiaux, ce sont cette fois les taches de maquillage qu’il faut éliminer à coups de missiles.  » Pour la Saint-Valentin, nous proposions aux fans d’Amor Amor de customiser le haut de leur « mur » Facebook pour surprendre leur amoureux le jour J, détaille-t-on chez Cacharel. Le nom du parfum n’apparaissait pas dans la création finale. Par contre, il était bien présent dans l’application. De manière optionnelle, les jeunes filles pouvaient laisser leurs coordonnées pour recevoir une invitation à se rendre dans un point de vente où on leur donnerait un échantillon ou un cadeau si elles achetaient le produit. La majorité d’entre elles l’ont fait. Et nous avons généré de cette manière plus de 3 000 covers en Belgique. Si vous multipliez cela par le nombre d’amis de chaque personne – 165 en moyenne -, vous pouvez toucher ainsi près d’un demi- million de personnes.  » Le tout en quelques clics seulement.

(1) Beauté – Histoire, florilège & astuces, par Anne de Marnhac, Éditions de La Martinière.

PAR ISABELLE WILLOT / ILLUSTRATIONS : CAROLE WILMET

ON N’INFORME PLUS SEULEMENT SUR UN PRODUIT, MAIS AUSSI SUR LA PUB QUI EN SERA FAITE… L’IMPORTANT FINALEMENT ÉTANT QUE ÇA SHARE, ÇA LIKE ET ÇA POKE À TOUT VENT.

JAMAIS L’EXPRESSION  » JOUER À SE FAIRE BELLE  » N’A AUSSI BIEN PORTÉ SON NOM. PLUS SOUVENT LUDIQUES QUE PRATIQUES, LES APPS RÉVEILLENT LA PETITE FILLE QUI SOMMEILLE EN TOUTE BEAUTY ADDICT.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content