Délaissées dans les années 1980, certaines marques mythiques connaissent aujourd’hui une espèce de revival branché. Coup de projecteur sur un phénomène de mode plutôt inattendu où l’art consiste à faire du neuf avec du vieux.

L’adage populaire le confirme : c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. Il reste simplement à choisir le cuisinier étoilé au moment opportun et le monde de la mode, visiblement, ne déroge pas à cette règle d’or. Certaines marques prestigieuses, qui ont traversé péniblement la décennie 1980 après avoir connu de longues années de succès ininterrompu, reviennent aujourd’hui, en effet, sur le devant de la scène branchée. Qui aurait parié, il y a cinq ans à peine, que Burberry serait, par exemple, l’une des griffes les plus trendy de ce début de siècle? Recouvert de poussière respectable au fil des ans, le célèbre inventeur du trench s’est offert récemment un étonnant bain de jouvence qui l’a propulsé, contre toute attente, dans la sphère très fermée des fashion victims en quelques mois à peine. Mais personne n’est dupe : cet engouement apparemment inattendu est bel et bien l’oeuvre d’une stratégie audacieuse mise en place par de brillants apôtres du marketing pointu. Car, au début des années 1990, Burberry’s (à l’époque, le nom s’écrivait avec un ‘s) ressemblait à une vieille dame très digne qui n’intéressait plus que quelques BCBG obsolètes et autres inconditionnels fidèles de ce fleuron de l’establishment du luxe britannique. Partant du principe évident que rien ne vaut l’expérience et la tradition pour asseoir un discours novateur, le propriétaire de la marque décida alors de parachuter, en 1998, l’une des plus talentueuses spécialistes de la distribution mondiale à la direction générale de Burberry pour opérer un lifting de choc. Le repositionnement ne se fit pas attendre puisque un nouveau styliste en vogue fut d’emblée engagé en la personne de Roberto Menichetti, ex-assistant de Claude Montana et de la très courue Jil Sander. En une seule collection, présentée en février 1999, le ton était donné : la marque redeviendrait assurément branchée, à coups de campagnes de publicité agressives, signées Mario Testino (l’un des photographes-stars du moment) et d’opérations de séduction beaucoup plus rusées au coeur de la faune des rédactrices de mode. La communication serait évidemment mondiale, soulignant ainsi, de manière efficace, la volonté hiérarchique d’harmoniser la nouvelle image de marque dans les magazines hype et de rénover, à la même enseigne, les boutiques de la planète entière.

Dans le paysage de la mode actuelle, Burberry fait désormais figure d’exemple et a visiblement inspiré les actionnaires d’autres griffes essoufflées, béats d’admiration devant tant d’audace et de réussite. Les jalousies s’aiguisent et l’on assiste, dès lors, à des opérations similaires de ravalement de façade à coups de nominations de stylistes prometteurs et de repositionnements davantage ancrés dans l’air du temps. Dans cette nouvelle course à la gloire retrouvée, la chasse aux jeunes créateurs est ouverte et les observateurs amusés comptent les points. Deuxième exemple frappant : Cacharel. Pour les trois années à venir, la marque française, créée en 1962 par Jean Bousquet et quelque peu boudée au cours de la dernière décennie, a en effet engagé le duo britannico-brésilien Clements-Ribeiro à la direction artistique et a renoué, pour l’occasion, avec la grande tradition des défilés de mode qu’elle avait délaissés depuis vingt ans déjà. Un délicieux vent de fraîcheur a soufflé sur la nouvelle collection de Cacharel de l’été 2001, mariant parfaitement le classicisme de l’héritage maison à l’excentricité de ce couple très en vogue sur la scène londonienne. Pour aborder ce tournant radical, les deux créateurs se sont visiblement plongés dans un bain de couleurs rafraîchissantes et d’imprimés excentriques, permettant aux jeunes filles en fleur(s) de faire la connaissance avec une griffe légendaire, remise brillamment au goût du jour tandis que leurs mères redécouvrent, sous un angle nouveau et avec une certaine nostalgie, cette marque qu’elles affectionnaient dans leur adolescence. Egalement en charge de l’image globale de Cacharel, le couple bouillonnant Clements-Ribeiro s’est attelé à revoir le design des quelque vingt boutiques éponymes à travers le monde, sans oublier de confier les futures campagnes de communication à John Akehurt, l’un des photographes les plus prisés d’outre-Manche. Coup de bluff suprême qui traduit à merveille l’esprit dans lequel le duo compte travailler (à savoir cet habile mélange entre le nouveau et l’ancien) : les deux jeunes créateurs de Cacharel n’ont pas hésité à réhabiliter, pour leur première collection estivale, le fameux motif Liberty qui fit jadis les beaux jours de la marque au sein de leurs silhouettes les plus dynamiques. Ils ont évidemment vu juste puisque le coton fleuri fait son grand retour sur les podiums dans les créations de plusieurs grands noms de la mode et que la marque Liberty elle-même (qui a fêté son 125e anniversaire l’année dernière!) redémarre une carrière internationale en défilant désormais à Londres, en compagnie des plus illustres défenseurs du prêt-à-porter britannique.

Ce pari du rajeunissement destiné à séduire un nouveau public a aussi été fait par une autre institution de la mode française, créée en 1933 par le joueur de tennis René Lacoste. Symbole du chic BCBG très en vogue dans les années 1980, la marque au petit crocodile a connu ensuite quelques années de disette qui ont forcé les actionnaires à revoir leur copie commerciale. Le coup de théâtre est tombé il y a quelques mois à peine : le trentenaire Christophe Lemaire (qui bénéficie toujours de l’étiquette de jeune créateur alors que sa propre société fête cette année son 10e anniversaire) sera le prochain directeur artistique de Lacoste. Le styliste parisien dessinera non seulement les collections de vêtements à partir de l’été 2002, mais interviendra également sur tout le travail d’image de la marque (tiens, tiens…), un poste inédit jusqu’à ce jour. Les chances de succès semblent prometteuses puisque Christophe Lemaire a toujours marqué son intérêt pour une certaine fonctionnalité du vêtement qu’il conçoit dans un esprit très sportswear, à l’instar de René Lacoste qui imagina son fameux polo à manches courtes soixante ans plus tôt. Il y ajoutera simplement une modernité qui fait cruellement défaut à la marque, tout comme cette vision globale sur le plan de la communication et du merchandising.

Comme Burberry et Cacharel, le second souffle de Lacoste trouve donc son inspiration dans les acquis de la tradition. En clair, il ne s’agit pas de tirer grossièrement un trait sur l’expérience engrangée mais bien de mettre précisément en évidence l’histoire et la renommée de la marque en l’enrobant dans une certaine fraîcheur révélatrice des temps nouveaux. D’autres marques de sport l’ont bien compris et renouent aujourd’hui avec le succès en jouant sur ces deux tableaux complémentaires. Ainsi, des labels jadis encensés comme Adidas, Fila, Ellesse ou encore Kappa font, depuis peu, un spectaculaire retour dans les garde-robes des jeunes urbains, après avoir connu une triste disgrâce dans les années 1990. Même Le Coq Sportif s’est remis à chanter. Rompue aux stratégies de communication les plus pointues, la marque française (qui connut un grand succès dans les années 1970 et 1980, avant de tomber ensuite en désuétude) a décidé de ressortir, pour cet été 2001, son modèle phare des années 1960. Cette Wendon, dont le look rétro n’a rien à envier aux chaussures de sport actuelles qui surfent sur la vague bowling, est d’ores et déjà annoncée comme le must des branchés de tout poil, démontrant, une fois de plus, qu’il n’est jamais difficile de faire du neuf avec du vieux.

Dans ces opérations  » coup de jeune « , d’autres marques centenaires s’illustrent également. Rodier, d’abord, dont le look s’est franchement rafraîchi depuis l’arrivée de Jérôme L’Huillier aux commandes artistiques de cette maison fondée en 1853 ( lire, à ce propos, le portrait de ce créateur en pages 70 à 72). Jaeger, ensuite, qui s’est offert les services de la libertine Bella Freud (l’ancienne assistante de Vivienne Westwood) pour dépoussiérer son image british un peu trop classique. Holland & Holland, enfin, qui a retrouvé un second souffle depuis que le très talentueux José Levy s’est installé au coeur de ce pavillon de chasse. Mais là, bizarremment, les choses se sont récemment envenimées puisque la marque centenaire a décidé de faire marche arrière (malgré les résultats positifs engendrés depuis deux ans par ce styliste tant sur le plan commercial que médiatique) et de ne plus investir dans le secteur mode, pour mieux se concentrer sur son activité originelle : la chasse!

Malgré cet incident de parcours difficilement compréhensible, la tendance actuelle veut que les marques jadis prestigieuses jouent désormais la carte de la jeunesse et du renouvellement pour sortir de l’impasse. Le but de leurs actionnaires est de provoquer, en définitive, cet électrochoc nécessaire pour revivre dans les magazines branchés et les boutiques en vogue en misant sur un seul nom dont le talent est incontestablement reconnu par la faune des fashion victims. Roberto Menichetti chez Burberry, Clements-Ribeiro chez Cacharel, Christophe Lemaire chez Lacoste, Jérôme L’Huillier chez Rodier… Le procédé fait recette et a même été testé avec succès, il y a quelques saisons déjà, dans d’autres grandes maisons de prestige. Personne n’a oublié l’effet Tom Ford chez Gucci (et, depuis peu, chez Yves Saint Laurent), la tornade John Galliano chez Christian Dior, l’empreinte de Stella McCartney chez Chloé, la patte de Cristina Ortiz chez Lanvin ou encore l’influence décisive de Michael Kors chez Céline. Une seule et même personne pour une image globale. Du neuf avec du vieux. Simple. Mais il fallait y penser.

Frédéric Brébant

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