Barbara Witkowska Journaliste

Laurent Fontainas, Sophie Heymans et Caroline Swolfs… Ces trois jeunes créateurs de bijoux domptent avec maestria l’or et l’argent, jonglent admirablement avec les courbes, les droites, les pleins et les déliés. Pour imaginer des parures made in Belgium tantôt baroques, tantôt épurées, toujours féminines et pleines d’originalité.

En apercevant, à travers les vitres, l’intérieur de la boutique de Laurent Fontainas, au c£ur de Bruxelles, vous n’avez qu’une seule envie : pousser la porte pour admirer de plus près les bijoux et les parures disposés avec goût et raffinement. L’espace est nappé par une lumière toute douce, reflétée par une très jolie peinture des murs : le vert jaune tilleul, dont les nuances varient avec subtilité au fil des heures. Les cloisons arrondies donnent au lieu un aspect  » cocon « . Au centre trône un meuble en bois blond, de forme ovoïde, inspiré d’un bateau des années 1930. D’emblée, on se sent bien dans cette ambiance dorée, les ondes sont bonnes.  » Les énergies circulent « , selon l’expression de Laurent Fontainas.

La présentation des bijoux est très soignée. On les aperçoit dans d’élégantes vitrines bien éclairées ou sur des supports en bois exotique. Les bagues sont spectaculaires. L’inspiration ? Florale. On devine des liserons, des nénuphars ou des anémones aquatiques. Ailleurs, ce sont des branches de coraux ou des morilles qui ont été interprétés. Certains modèles sont surdimensionnés.  » Souvent, l’esthétique prime sur l’ergonomie « , sourit Laurent Fontainas. Les bagues les plus volumineuses ne sortiront de leur écrin que le soir, assurément, pour mettre en valeur une tenue noire, très simple. On admire les formes extraordinaires, généreuses, spontanées et très sensuelles. Vu de près, le travail est remarquable. Quel raffinement dans ces jeux de surfaces tantôt lisses et brillantes, tantôt mates et un rien plus brutes. Parfois, les pièces sont plus épurées et s’associent à des éléments de bois (bankiraï, wengé ou ébène) ou de la corne de zébu.

Le talent en héritage

Les vitrines et les présentoirs regorgent aussi de bijoux d’un style complètement différent. Des colliers montés avec des pierres dures et des perles de verre déploient leurs nuances dans une féerie chatoyante, éclatante de couleurs. îuvres de Viviane Chatman, mère de Laurent Fontainas, ils se marient admirablement avec l’éclat de l’argent. Le parcours du jeune homme est indissociablement lié et complète en quelque sorte la carrière de sa maman, décoratrice liégeoise et créatrice de bijoux et d’accessoires. Lorsque Viviane Chatman se remarie avec un diamantaire franco-centrafricain, la famille s’expatrie à Bangui, capitale de la République Centrafricaine (ex-empire de Bokassa). Laurent a 12 ans. Pendant cinq ans, il va mener une vie de rêve, rythmée par des jeux dans la brousse, des balades en pirogue et la pêche au gros. Sa scolarité sera un peu chaotique, mais à cet âge-là on a d’autres préoccupations… De son côté, Viviane Chatman monte un atelier de bijoux, engage deux artisans et imagine des colliers en corne de zébu et en bois. Au fil des ans, l’atelier ne cessera de se développer et donnera du travail, à son apogée, à 50 artisans. La vie insouciante de Laurent  » baigne « , aussi, dans le bijou. Sa vocation naît suite à la visite d’un salon Bijorhca à Paris où il accompagne sa mère. En 1987, il rentre en Belgique, s’intègre dans un parcours scolaire  » classique « , puis commence à tracer sa route en suivant les cours à l’Institut des Arts techniques et Artisanats (IATA) à Namur. Avide de connaissances, il travaille dans une bijouterie tous les week-ends et pendant les vacances.

Chi va piano…

 » Certes, ma mère m’a donné le goût du bijou, explique Laurent Fontainas. Cela dit, elle dessine ses modèles, fait sculpter les pierres et puis procède à des assemblages. Son style, très coloré, renvoie aux bijoux ethniques et aux bijoux couture. Moi, en revanche, j’ai une formation technique et je maîtrise les trois métiers de la bijouterie : la fabrication du bijou à la main, la fonte des métaux par la méthode de la cire perdue ainsi que le sertissage des pierres.  » Différents mais complémentaires, mère et fils travaillent main dans la main. Ils se font remarquer à Paris. Viviane Chatman crée des bijoux pour Gianfranco Ferré, Valentino et Dior. Un peu plus tard, c’est au tour de Laurent Fontainas d’accessoiriser les défilés de Yves Saint Laurent avec de superbes parures. Fin 2004, mère et fils décident d’ouvrir une boutique à Bruxelles. Leurs créations cohabitent donc dans l’harmonie la plus parfaite, sans se heurter, sans se concurrencer. Laurent Fontainas poursuit son chemin. Après les pièces uniques, il prépare des collections en petite série, des modèles plus petits, donc plus faciles à porter. Il peaufine une collaboration avec Jean-Paul Knott –  » nous sommes voisins et on s’apprécie  » – et planche sur ses prochains concepts.  » Pour l’instant, la nature est ma source d’inspiration principale, martèle-t-il. Cela dit, j’ai envie de concevoir des pièces plus architecturales, mais je ne me sens pas encore prêt. Un jour, je voudrais aussi me plonger dans d’autres cultures.  » A 34 ans, le jeune créateur n’est pas un homme pressé. Il avance à son rythme, tient à tout réaliser lui-même, avec passion et avec amour !  » Je pense que le métal a une mémoire, conclut-il. Dans chaque pièce que je réalise, j’essaie d’insuffler une pensée positive ou un peu de bien-être. La femme qui la choisira, sera forcément heureuse, non ?  »

Jeux de tiges d’or

Un peu plus loin, dans la même rue que la boutique de Laurent Fontainas, on découvre la galerie de Sophie Heymans. La créatrice a déniché cette ancienne boucherie chevaline l’année dernière. Séduite par le cachet des lieux, elle a pris la décision audacieuse de l’investir et de s’installer, enfin, à son compte.  » J’ai toujours travaillé pour les autres, souligne la jeune femme. Or, une boutique est une carte de visite, une porte qui s’ouvre sur le monde.  » L’association  » Quartier Dansaert  » lui donne un coup de pouce et défend son projet devant le Fonds fédéral de Participation. Pendant trois ans, Sophie Heymans peut bénéficier d’une aide aux jeunes indépendants. La boutique a été superbement rénovée. L’aménagement est net, contemporain et très lisible. Les vitrines abritent les créations de la maîtresse des lieux, mais aussi celles de six autres créateurs, sélectionnés pour leur concept original et précis et pour leur qualité de fabrication.

Les merveilles de la transparence

A l’arrière de la boutique, un atelier spacieux s’offre au regard du visiteur. C’est ici que chaque bijou est fabriqué de A à Z. Bourrée de diplômes (en joaillerie et en orfèvrerie, mais aussi en gestion de commerce), Sophie Heymans a fait ses premières armes en créant et fabriquant des bijoux haut de gamme pour quelques grands noms à Anvers et à Londres. Dans sa galerie, elle peut, enfin, interpréter et décliner les concepts qui lui tiennent à c£ur : la transparence, le jeu et le travail du Pyrex. Le Pyrex ? Ce verre soufflé limpide, exempt de toute impureté, est plus résistant que le verre classique. Les parures de Sophie Heymans sont aériennes, en animation perpétuelle, elles bougent, glissent, ondoient sur la peau et vivent au rythme des mouvements de celle qui les porte. Sa force ? Le travail sur mesure.  » J’aime créer des pièces uniques, enchaîne-t-elle. Le fait d’avoir un atelier à côté me permet de façonner les alliages d’or et d’argent dans des nuances très subtiles qui tiennent compte de la couleur de chaque peau.  »

Dans les vitrines sont exposées les pièces-phares. On admire ce collier  » Cocon « , décliné en plusieurs variantes. Une ou plusieurs boules de Pyrex (soufflées par un artisan bruxellois) se baladent sur de fines tiges en or. Parfois, une perle se balance à l’extérieur. Ou encore, des spirales voluptueuses, enrichies de pierres fines et de perles, s’enroulent sur des tiges en or pour former un ravissant collier. Arachnéen, tout en transparence, il se pose en douceur sur le décolleté et laisse apparaître la peau. La  » Cage  » est… une mini-cage. Réalisée en or, elle est fixe et abrite une perle qui bouge en liberté. En version argent, la cage est souple. Comme un grigri, elle se laisse manipuler et plier dans tous les sens. Ailleurs, les fines tiges d’or s’agrémentent d’onyx mat, découpé en ellipses. La courbe, très féminine, est présente dans la plupart des créations. Chaque pièce est façonnée dans les règles de l’art, à l’ancienne. Sophie Heymans défend farouchement l’artisanat. Pour nous faire partager sa passion, elle organise même des visites guidées de son atelier.

Variations sur la goutte

Stylisées, les initiales de Caroline Swolfs, forment une goutte. Celle-ci est devenue la marque de fabrique de la créatrice et se décline à l’infini. En version la plus récente, elle forme la  » goutte de c£ur « . Trois gouttes, judicieusement mariées, forment un c£ur. Le dessin est subtil : certains y voient une feuille ! Plusieurs modèles appellent la couleur, comme la ligne Colores où des bagues et boucles d’oreille, toujours en forme de goutte, s’agrémentent d’une améthyste ou d’une citrine. Les pierres sont rondes, en cabochon, ou facettées, pour mieux accrocher et renvoyer la lumière. Parfois, la goutte devient paresseuse, s’étire, s’allonge, ondule, serpente, se fait féerique ou interrogative. Bohème, elle se blottit à l’intérieur des boucles d’oreille créoles. Plus précieuse, elle se veut éternelle, notamment dans cette bague  » qui ne se termine jamais  » et qui est très souvent demandée comme bague de fiançailles.

Les métamorphoses qu’une forme toute simple peut subir sont innombrables et l’imagination de Caroline Swolfs paraît sans limites. Pourtant, elle est venue relativement tard à la création. Diplômée d’une école de commerce, elle a travaillé dans le marketing et dans une agence de pub. A 27 ans, elle lâche tout, titillée par une envie irrésistible de changer de vie. Pourquoi pas le bijou ?  » Petite, je voulais travailler plus tard dans le bijou, mais plutôt dans la vente « , confie-t-elle. Alors, elle s’inscrit dans une Académie d’art,  » pour voir « . Le coup de foudre pour la matière, le métal est immédiat. L’heure est donc venue à aborder les choses sérieusement. Pendant quatre ans, Caroline suit une formation aux Arts et Métiers, en cours de jour et du soir, car elle veut maîtriser toutes les ficelles du métier d’orfèvre et de bijoutier.  » Quand on découvre sa vocation sur le tard, on sait très précisément ce qu’on veut. On est motivé, on apprend plus vite. On ne se cherche plus, car on a trouvé.  »

Des bijoux intemporels

Depuis quatre ans, Caroline Swolfs est donc bijoutier à plein temps, chez elle. Dans son atelier, elle travaille à son rythme. Le concept est clair et net : pas de pièces uniques, mais des idées de collections en petites séries, au design simple, discret et intemporel, doté d’une délicate recherche graphique de forme. Ses bijoux sont distribués dans toute la Belgique, souvent dans des galeries ou chez d’autres créateurs (comme Sophie Heymans, par exemple), car il y a une manière de présenter et mettre en valeur le bijou contemporain. Une femme comblée ? Oui.  » J’ai trouvé ma voie, s’enthousiasme-t-elle. Dans mon atelier, je me pose. Quand tout va très vite, l’idée de créer des bijoux intemporels est très rassurante. C’est un luxe que je peux m’offrir. Ce qui me rassure, aussi, c’est le fait que je pourrai faire ce métier toute ma vie, car il n’y a pas de fin.  »

Carnet d’adresses en page 167.

Barbara Witkowska

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