Retour au pays qui a vu naître le mythe du safari, de Karen Blixen à Peter Beard, avec un circuit qui réinvente l’art d’explorer la savane.

Loin des parcs ultrafréquentés de Masai Mara ou d’Amboseli, où la densité d’animaux rivalise souvent avec celle des jeeps, cap sur trois réserves confidentielles qui cultivent l’art du safari à l’ancienne, à quelques heures de route au nord de Nairobi.

LA PLUS CHIC : LEWA

Terrain de jeux de la famille royale britannique et sanctuaire réputé pour la protection des rhinocéros, la réserve de Lewa est classée depuis juin 2013 au patrimoine mondial par l’Unesco. C’est ici que le prince William a demandé la main de Kate, honorant l’amitié de longue date qui liait sa mère, la princesse Diana, à la famille royale locale, les Craig. Visage buriné à la Harrison Ford et uniforme kaki, Ian Craig incarnerait à merveille l’aventurier des savanes dans A la poursuite des chasseurs de rhinocéros. Pour l’heure, il arpente d’un pas élastique les allées de sa Lewa Foundation, où des lodges à toit de chaume abritent le QG de haut vol de 300 spécialistes – universitaires kenyans formés dans les public schools britanniques y croisent des rangers, mais aussi une centaine de gardes en treillis. Depuis 1984, cette réserve privée fait figure de pionnière pour avoir compris que la protection des animaux doit aussi bénéficier aux humains, créant des écoles et des lodges, finançant des dispensaires et des projets d’irrigation.  » Les rhinocéros sont un catalyseur pour la protection de l’environnement, parce qu’ils ont une valeur esthétique, et qu’ils constituent une espèce  » parapluie  » à l’ombre de laquelle vivent tous les autres animaux de la réserve « , explique Geoffrey Chege, responsable de la conservation à la Lewa Foundation. Actuellement, 132 rhinos arpentent ce territoire de 35 hectares au pied du mont Kenya, surveillés jour et nuit comme des VIP pour déjouer les menaces des braconniers. Trois jeunes orphelins que des nounous commando gardent comme des enfants croisent notre route. Le temps de leur tapoter l’échine, et nous voilà partis vers les grands espaces qui s’ouvrent sous le ciel. Commence alors une traversée biblique où des tableaux surgissent comme autant de miracles. Des zèbres de Grévy, aux oreilles rondes de Mickey, nous regardent passer, tandis qu’un groupe d’impalas cabriole derrière eux. Plus loin, ce sont deux éléphants, puis six, puis dix qui descendent vers un lac, rejoignant un immense troupeau de buffles. Les photographes sont au paradis, car dans cette réserve depuis longtemps protégée par des clôtures, les animaux ne détalent pas à l’approche de la Jeep. Même les rhinocéros, d’ordinaire plutôt farouches, batifolent sur les collines proches, tout près de la maison de Ian Craig, tapie comme une grotte entre terre et ciel.

LA PLUS ARTY : SEGERA RETREAT

Sur le plateau de Laikipia, au coeur du domaine de Segera Retreat. Ce vaste ranch, qui compte 3 000 têtes de bétail et que visitent aussi girafes et gazelles, abrite huit villas disséminées dans de magnifiques jardins tropicaux depuis avril 2013. Toit de chaume et antiquités des quatre coins du monde, fauteuils club et lustres à pampilles, baldaquins et malles de grand voyageur : ces cottages chics sont l’oeuvre de Jochen Zeitz, philanthrope d’origine allemande et multicollectionneur – de belles voitures (une Rolls décapotable dort dans un hangar vitré), de photos et de lettres rares (demandez à voir celles de Karen Blixen !), et surtout d’art contemporain africain, dont une centaine d’oeuvres émaillent les jardins et les anciennes écuries. En février dernier, les a rejoint le fameux avion biplace qu’immortalisa le tournage d’Out of Africa, le film de Sydney Pollack. Segera Retreat est sans doute le seul lodge du Kenya où l’on peut admirer une statue de bronze signée Nandipha Mntambo (héritière spirituelle sud-africaine de Rodin) en partageant un gin tonic avec un galeriste du Cap, tandis que les springboks batifolent dans la savane au soleil couchant. Ce lieu hédoniste abrite aussi la très sérieuse Zeitz Foundation. Créée en 2011, celle-ci a lancé une vingtaine de projets de développement durable dont le but dépasse largement la lutte contre la déforestation ou la protection des espèces sauvages.  » C’est le développement global de la région qui nous intéresse, indique Liz Rihoy, directrice du projet. On ne peut pas envisager de protéger les lions ou de lutter contre le braconnage sur un territoire où les êtres humains ne savent pas lire ou vivent dans une misère noire.  » Dans le village voisin, se construit un internat qui permettra aux filles de poursuivre leur scolarité après l’école primaire de Uaso Nyiro, un autre fleuron. Construit il y a plus de deux ans, ce bâtiment révolutionnaire a reçu, en 2013, du prestigieux US Green Building Council, le prix de l’école la plus verte du monde. Ses 600 mètres carrés de toiture alimentent un vaste réservoir qui stocke environ 1 500 litres d’eau de pluie, créant une véritable oasis dans cette région semi-désertique.

LA PLUS ROMANESQUE : SHABA

 » Sawa sawa ?  » demande le guide. Oui,  » sawa  » mieux à présent que la troupe d’éléphanteaux qui avait surgi comme par enchantement, guidée par une matriarche nerveuse, vient de s’évanouir dans la forêt.  » Vous avez remarqué ? On ne les entend pas. Pas même un craquement de branche sur le sol. C’est parce qu’ils courent sur la pointe des pieds, qu’ils ont très charnus.  » Ce détail mignon mis à part, ces pachydermes constituent un danger redoutable, surtout quand ils se promènent avec leurs petits. Saison des amours oblige, les hôtes de ces bois qui croisent la Jeep ce matin-là semblent tout droit sortis d’un livre d’images : derrière papa et maman autruche se dandinent trois poussins, deux oryx mâles rejouent la scène de Bambi en frottant leurs cornes dans une lutte pour gagner un troupeau de femelles et, partout, les oiseaux multicolores qui font ressembler la savane à une gigantesque volière virevoltent à l’assaut de leur nid. Cette aube ordinaire dans la réserve de Shaba prend fin au bord de la rivière Ewaso Ng’iro, où une table dressée pour le petit déjeuner permet de goûter au panorama cinématographique. Certaines scènes d’Out of Africa ont été tournées ici, au bord de ce ruban rouge qui creuse les berges de sable et de roches blondes, ourlées d’étonnants palmiers. Ce paysage abrite une authentique légende, celle de Joy Adamson, auteur de Born Free, le récit de la réintroduction d’Elsa la lionne dans la savane, dont l’adaptation au cinéma a raflé la mise aux Oscars en 1967. En son hommage, un seul et unique lodge, Joy’s Camp, a été créé au milieu des 24 000 hectares de savane. Réservez la tente n° 7, installée à l’endroit précis où campait la pasionaria des fauves, et savourez le soir qui tombe sur la terrasse, sous l’oeil curieux des calaos et des dik-diks, les mini-antilopes…

PAR NATHALIE CHAHINE

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