A 32 ans, Ozark Henry se positionne désormais comme l’une des valeurs sûres de la scène musicale belge. Pour Weekend Le Vif/L’Express, le chanteur polymorphe a accepté de jouer au mannequin d’un jour et de se confier en toute simplicité.

Ozark Henry, de son vrai nom Piet Goddaer, est la bonne surprise de ce début d’année 2002. Avec ses 15 000 exemplaires vendus sur notre territoire, son troisième album intitulé  » Birthmarks  » (Sony Music) révèle une certaine disposition à l’écriture de chansons pop délicatement subtiles et superbement soutenues par une voix posée sur le fil de l’intimité.

A 32 ans, cet auteur-compositeur-interprète originaire de Courtrai est désormais promis, semble-t-il, à un grand avenir musical. Les critiques spécialisés sont d’ailleurs unanimes : le talent d’Ozark Henry va au moins le propulser sur l’avant-scène européenne dans les deux ans à venir (et plus si affinités avec le public nord-américain). Doué et plutôt atypique, l’artiste a gentiment accepté, pour Weekend Le Vif/L’Express, de mettre sa carrière de chanteur entre parenthèses l’espace d’une journée, histoire de poser gracieusement sous les feux de la mode ( voir pages 78 à 83) et de répondre à nos questions en toute décontraction.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi avez-vous accepté notre défi de poser pour des photos de mode?

Ozark Henry : D’une part, la mode m’intéresse vraiment et, d’autre part, je pense que cela fait partie de ma discipline. Il faut être ouvert à ce genre d’expérience. En plus, il y avait l’opportunité de travailler avec un bon photographe, ce qui est tout de même important. Je dois vous dire aussi que j’ai participé à des défilés de mode lorsque j’avais 17 ans pour des étudiants d’une académie de mode à Gand. Bon, je ne pense pas que le fait de poser puisse avoir une influence sur mon travail, mais on ne sait jamais…

Que pensez-vous des vêtements choisis par notre styliste?

Très bien! Ils correspondent vraiment à ma personnalité. J’ai d’ailleurs gardé un costume pour moi! Encore une fois, j’aime vraiment les vêtements. Je m’intéresse à la mode et parfois au parcours de certains créateurs parce je suis curieux de voir comment ils font pour se renouveler. Il y a là un vrai parallélisme à faire avec la musique. En musique comme en mode, on a déjà un peu touché à tous les extrêmes. Ce qui est difficile, c’est d’avoir un nouveau regard, une autre perspective. Je ne pense pas que l’on puisse révolutionner la mode ou la musique, mais on peut les réinterpréter. Aujourdhui, pour se renouveler, il faut chercher dans les détails et les subtilités.

Dans l’industrie musicale actuelle, l’image de l’artiste n’est-elle pas devenue finalement aussi importante que le disque qu’il doit défendre?

Parfois, le look est même plus important que la musique! Il y a de nombreux exemples de chanteurs dont le disque est franchement nul et qui réussissent sans problème parce que leur look est très bien calculé. On sent que le produit est d’ailleurs pensé de cette façon : la musique ne représente finalement qu’une toute petite partie du tout, alors que cela devrait être l’inverse! Et c’est vraiment dommage pour la musique en général. C’est une dérive qui est manifeste, parce qu’entre un bon musicien qui n’a pas pas de look et un musicien qui est un peu moins bon mais qui a un chouette look, on va être tenté de prendre le deuxième! Moi, je ne suis pas du tout dans cet esprit-là, mais je sais que cela existe. Et c’est pour cette raison que, sur scène, j’essaie de porter des vêtements plutôt neutres. Bien sûr, j’essaie de bien m’habiller, mais je ne veux pas que mes vêtements attirent trop l’attention. Je ne suis pas très show-business et je veux croire que la musique écrit encore son histoire elle-même. Trouver la musique plus importante que l’individu a un côté très noble. J’y crois encore.

Votre père, Norbert Goddaer, est un grand compositeur classique. Pensez-vous que votre passion pour la musique soit forcément héréditaire?

On pourrait dire que c’est dans les gènes, mais je ne pense pas que le fait d’avoir eu un père compositeur ait été déterminant. D’abord, la musique classique ne m’intéressait pas et, ensuite, je n’ai jamais abordé son métier de compositeur comme une vraie profession. Mon père était souvent à la maison et je n’ai donc jamais considéré que la musique puisse offrir une véritable carrière. Je l’ai plutôt toujours abordée comme un hobby. D’ailleurs, après mes humanités, je me suis inscrit à l’Université de Gand en criminologie et en philologie germanique. J’ai suivi avec succès deux candidatures en même temps, mais j’ai vite été rattrapé par le service militaire. Comme je n’étais pas en règle avec les papiers de report de sursis, j’ai été obligé d’arrêter momentanément mes études et j’ai finalement choisi l’option du service civil plutôt que celle du service militaire. Je me suis retrouvé pendant deux ans dans un théâtre à Courtrai. Je ne voyais pas très bien ce que je pouvais faire, mais je me suis intéressé un peu à tout : la scénographie, les lumières, le son… Après un an, j’ai commencé à faire de la musique pour certaines pièces : je suis devenu petit à petit le compositeur maison…

Mais n’avez-vous jamais eu envie de reprendre vos études?

A la fin de mon service civil, j’aurais bien continué mes études, mais j’étais arrivé dans un monde que je ne connaissais pas et qui me plaisait vraiment. J’y suis encore resté cinq ans. Et puis, tout d’un coup, une cassette démo que j’avais faite pour le théâtre s’est retrouvée sur le bureau d’un type d’une maison de disques. Le bouche-à-oreille s’est mis en place. Je suis devenu Ozark Henry, j’ai fait un premier album et j’ai tout doucement arrêté le théâtre.

On dit aujourd’hui de vous que vous êtes le chanteur belge le plus prometteur de la décennie 2000. Partagez-vous cet avis?

On dit ça ( rires)? C’est chouette! C’est gentil. Moi, je crois à la réalité des choses. Je vois bien qu’il y a un potentiel et qu’il existe un tas d’éléments qui peuvent influencer un résultat. Les contacts que j’ai sont, en effet, très prometteurs. Mais bon, rien n’est jamais joué davance. Il y a surtout toute une équipe qui y croit et moi aussi je suis aussi motivé. On va donc voir. Pour le moment, on se limite au Benelux. Ensuite, le disque sortira en France, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Allemagne, où les premiers échos sont favorables. L’année 2002 sera consacrée à la promotion et à une série de concerts. Tous les éléments semblent bien en place…

Vos chansons sont plutôt positives, ce qui est plutôt rare dans le paysage musical actuel…

Oui, elles sont positives, mais avec un certain sens des réalités. Il y a du vécu et même si elles cultivent parfois l’innocence de l’enfance, elles ne sont pas naïves. Il y a donc, je pense, un bon équilibre entre le vécu et la nostalgie de l’enfance avec, globalement, un regard positif. Je suis quelqu’un d’optimiste.

Cette nostalgie de l’enfance vous manque-t-elle personnellement?

Ce qui me manque parfois, c’est l’innocence de ne pas savoir. Quand on est adulte, on pense qu’on sait tout et on finit par ne plus apprécier ce qui est beau. On perd le côté magique. En ce qui me concerne, la vie était un rêve quand j’étais petit. La réalité était tout autre, mais ce n’est pas une raison non plus pour s’isoler complètement du monde lorsque l’on grandit. Il faut donc accepter de devenir adulte et ne pas être complètement naïf, mais il faut garder tout de même cette innocence de l’enfance. En fait, je pense vraiment qu’il faut trouver une espèce d’équilibre entre ces deux mondes.

La musique vous aide-t-elle à préserver un peu de cette enfance disparue?

Tout ce qui est artistique le permet. La musique comme la mode. Quand on crée quelque chose, cela veut dire que, quelque part, on doit créer un rêve. Quelque chose qui aide à s’échapper de la réalité mais dans un sens positif.

Avant d’entrer en studio pour votre dernier album, il paraît que vous aviez écrit près d’une centaine de chansons!

Oui, effectivement. Mais, pour moi, cela n’a rien d’exceptionnel. J’écris beaucoup et c’est ma manière de travailler. Je me vois un peu comme un dessinateur de BD qui multiplie les idées. Certaines personnes peuvent mettre beaucoup de temps sur une chanson. Elles écrivent, elles jettent le projet dans un coin, elles le reprennent, puis elles travaillent dessus pendant des semaines. Moi, je ne fonctionne pas comme ça. Je travaille rapidement, généralement d’un seul jet et j’aime ou je n’aime pas le résultat. La plupart des mélodies des chansons que j’ai composées ont été faites en cinq minutes. Je n’y peux rien, je travaille comme ça! Et l’écriture des paroles va presque aussi vite, mais il peut se passer parfois de longues semaines avant que je ne décide de coller enfin du texte sur une mélodie. En revanche, le choix définitif des chansons est plus difficile. En prenant dix chansons ou dix autres sur la centaine existante, je sais d’office que je peux faire un tout autre album, peut-être moins bien, peut-être mieux…

Vous avez donc aujourd’hui de la matière pour faire facilement neuf autres albums!

Même plus! Pour l’instant, j’ai dû enregistrer une quarantaine de chansons sur les disques que j’ai déjà faits, mais je dois en avoir écrit au total presque 600. Donc, je ne vais jamais arriver à tout enregistrer! Et puis, je continue à écrire encore parce que j’aime ça. Pour moi, ce n’est absolument pas une corvée ni même un devoir, c’est vraiment un plaisir. Mais je ne pense pas nécessairement à un nouvel album dans l’immédiat parce que j’aime bien travailler à la dernière minute. J’ai besoin d’un dead-line pour créer.

Il paraît aussi que vous ne vous débrouillez pas mal du tout en peinture…

Quand je faisais mon service civil au théâtre, j’essayais de gagner ma vie avec les toiles que je peignais à l’époque. Et je dois dire que je la gagnais plutôt bien. Mais là aussi, je travaillais dans l’urgence. La galerie qui exposait mes oeuvres me mettait généralement la pression trois semaines avant le vernissage. Elle me prêtait un atelier et je restais là jour et nuit pour travailler à fond. Je dois avouer que cela marchait très bien. Lors de certains vernissages, tout partait en un soir et je me disais :  » Mais non, ce n’est pas possible! « , alors que j’avais déjà augmenté mes prix! Je pense que l’exposition qui a le moins bien marché est celle où les tableaux se sont vendus en trois jours. Et finalement, j’ai décidé d’arrêter parce que, quelque part, cela me rendait malheureux. Je n’avais plus aucune toile pour moi! Quand vous faites de la musique, une chanson vous appartient pour toujours, même si vous l’offrez au public. Avec la peinture, ce n’est pas la même chose : dès qu’un tableau est vendu, il ne vous appartient plus. Alors, vous allez me dire que l’on peut toujours garder une photo de la peinture en question, mais cela n’a rien de comparable. Une photo ne vit pas de la même façon que le tableau qu’elle représente. Bon, je reviendrai peut-être à la peinture un jour. Mais comme je n’ai pas beaucoup le temps pour le moment et que, surtout, j’aime ce que je fais en musique, je n’y pense pas encore.

Et si vous perdiez définitivement la voix, referiez-vous de la peinture?

Si demain je perdais la voix, je pense que j’écrirais pour quelqu’un d’autre, pour une autre voix. D’ailleurs, je vais commencer à produire d’autres artistes. Des projets intéressants dont je ne peux pas malheureusment parler pour l’instant…

Quel est le son qui vous procure, en définitive, le plus de plaisir?

Le silence. Mais le vrai silence est difficile à trouver.

Ozark Henry,  » Birthmarks « , Sony Music.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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