La photographe Bettina Rheims et l’écrivain Serge Bramly reviennent sur le devant de la Seine avec Rose, c’est Paris, ouvrage mystérieux, doublé d’un long-métrage en DVD. Au final, un portrait allégorique d’une Ville lumière, côté trouble. Éclairage.

Depuis Chambre Close, série cul(te) sur le thème du voyeurisme, qui inaugure, au début des années 90 la collaboration entre Bettina Rheims et l’écrivain Serge Bramly, la photographe amie des stars (Madonna, Monica, Vanessaà) travaille régulièrement avec celui qui est aussi le père de son fils. On se souviendra de I.N.R. I., relecture trash et hyperréaliste de la vie du Christ ; elle fit son petit scandale, taxée de blasphématoire par les uns, de vulgaire par les autres. Puis il y aura Shanghai, aussi, en 2003, radioscopie sociétale de la ville chinoise à travers les femmes qui la peuplent. Sept ans après, revoici le binôme à l’£uvre avec un objet créatif hybride et difficilement identifiable. Rose, c’est Paris, ça s’appelle, en référence à Rrose Sélavy – avec deux r, oui – un des pseudos que s’était donné Marcel Duchamp. L’inventeur du ready-made figure en effet au casting des fantômes planant au-dessus de cet album en forme d’hommage au Paris de la Belle époque, celui des surréalistes à l’audace radicale et flamboyante.

Pour mieux comprendre les ressorts de cette somme mystérieuse de 200 photographies en noir et blanc, doublée d’un long-métrage, le premier réalisé par Serge Bramly, nous avons pris rendez-vous avec les auteurs. C’était il y a quinze jours, dans l’atelier de Bettina, en plein quartier du Marais, à Paris. Une rencontre nécessaire, ne fût-ce que pourà feuilleter cet ouvrage imposant, rare et précieux (lire encadré). Et puis, pour saisir toute la complexité et les différents niveaux de lecture de cette  » hydre à plusieurs têtes « , dixit une Bettina Rheims pas peu fière de son dernier-né, une petite visite s’imposait. Décryptage, à quelques jours de l’ouverture de l’exposition de la série à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, du 8 avril 11 juillet prochain (*).

La genèse

Bettina Rheims :  » Quand nous sommes revenus de ce voyage magnifique à Shanghai qui a débouché sur notre livre précédent, nous avions vraiment envie de nous évader encore ensemble et de monter un autre projet. Puis nous nous sommes dit que voyager autour de notre chambre, ce n’était pas si mal. Moins exotique, mais tout aussi curieux.  » D’où cette plongée dans un Paris méconnu, qui, du toit du Palais de Justice, au dôme de l’Observatoire (xive arrondissement) en passant par un appartement Art nouveau découvert par hasard à Montmartre, donne de la Ville lumière une image inédite, du moins inattendue. Une déco suffisamment intrigante pour que fonctionne l’allégorie du Paris fantasmé par les auteurs : celui de l’entre-deux-guerres, l’âge d’or du surréalisme, une époque dont le duo semble nostalgique, sans même l’avoir vécu. Serge Bramly :  » Pour employer une expression bien française, c’est le moment où Paris était selon moi à son top. Certains endroits vivent leur pic dans l’histoire de l’humanité. Florence et les Médicis, par exemple. De même, il y a Paris et le foisonnement artistique de la Belle époque, Stravinsky, Eisenstein, Man Rayà « 

Le récit

Pour mettre au point l’univers des photographies,  » on fait d’abord des listes de mots, explique Bettina Rheims. Ces mots, par association, font parfois des étincelles et débouchent sur des idées d’images. Certaines sont viables, on les habille, leur donne chair « . Construit comme un énorme cadavre exquis, donc, sur le mode de l’écriture automatique chère aux disciples de Breton, Rose, c’est Paris n’est malgré tout pas (totalement) opaque. Du DVD réalisé par Serge Bramly, à partir d’images volées durant les séances de shooting, ressort une tentative de narration. Style ? Quelque part entre le jeu Cluedo et Fantomâs. C’est une histoire de s£urs jumelles, prénommées B et R. Où B (Bettina ?) prétend que Rose (Rheims ?), a été kidnappée. Au fil de l’histoire, on suit la quête mélancolique et désespérée de B à la recherche de son double. Certains chapitres illustrent ses hypothèses fantasmatiques, les hallucinations : elle imagine sa s£ur strip-teaseuse à Pigalle, enrôlée dans un réseau terroriste, séquestrée par un vieil homme libidineuxà Comme si le trouble dû à la gémellité de l’héroïne ne suffisait pas à brouiller les pistes, Bramly et Rheims se sont amusés à mettre en image ses angoisses, ses cauchemars et ses fantasmes en l’incarnant sous les traits d’autres actricesà Entre déguisements, dédoublement de personnalité et multiplication des strates de lecture, on finit par se perdre complètement dans cet inquiétant labyrinthe à l’esthétique de film noir.

Le casting

Dans le rôle des s£urs jumelles, on retrouve une danseuse et comédienne belge. Connue dans le milieu avant-gardiste bruxellois (elle a dansé pour la Need Company), Inge Van Bruystegem correspondait parfaitement à  » cette sorte d’Alice au pays des merveilles, naïve et provocante, à la fois brillante et innocente  » que recherchait le duo. à l’affiche du casting figure une jolie brochette de célébrités,  » qui ont fait ça bénévolement, ce sont des amis  » : Monica Bellucci, Naomi Campbell, Charlotte Ramplingà Au générique également, de nombreux proches et membres de la famille qui seront les seuls à comprendre les  » nombreux passages autobiographiques  » laissés comme des indices par les deux auteurs, dévoilés masqués en quelque sorte et visiblement joueurs sur ce coup-là.

(*) Bibliothèque nationale de France, salle Richelieu, 58, rue de Richelieu, à 75002 Paris. www.bnf.fr

Par Baudouin Galler

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