Les jeunes pères ont de la chance. Beaucoup de chance. Indéniablement, ils disposent d’un avantage énorme sur les papas des anciennes générations. Ceux qui ont grandi avant les années 1980 me comprendront. Car il y a trente ans à peine, les pères ne possédaient pas toutes ces armes technologiques qui semblent si banales aujourd’hui. Pas de téléphones portables, pas d’appareils photo numériques, pas de caméras digitales. Bien sûr, quelques privilégiés avaient un matériel super-8 avec de rares traces cinématographiques de leur progéniture en vacances, mais la diffusion de ces images précieuses relevait d’un véritable cérémonial plutôt lourd et fastidieux. Bref, à cette époque, la grande majorité des pères était désarmée. Technologiquement désarmés. Et lorsque éclatait, à l’âge critique, la fameuse crise d’adolescence de leurs chers petits, ils étaient incapables de leur montrer quoi que ce soit (à l’exception de quelques photos désuètes, cela va de soi). Ils hurlaient ou s’éloignaient alors en pensant :  » Ah si seulement ces sales gosses savaient tout ce qu’on a fait pour eux !  » Classique. Gadgétisés à l’extrême à un prix relativement démocratique, les pères d’aujourd’hui disposent, en revanche, de cet atout considérable : au moindre esclandre, ils peuvent ressortir facilement une pléthore d’images et de petits films numériques, histoire de rappeler à leur progéniture la patience et le dévouement qu’ils ont dû souvent exercer au cours des années passées. L’ado en question refuse de les voir ? Pas de stress : le père prend le détour de la grande Toile mondiale pour envoyer le message à l’intéressé sur son adresse e-mail ou, pourquoi pas, sur son GSM dernier cri. Plus fort : le papa actuel peut même stocker ses souvenirs lointains sur le disque dur de l’ordinateur familial. Photos, premiers mots, chansons, spectacles, films… Toute la vie de l’enfant est désormais à portée d’écran, répertoriée de manière chronologique et/ou thématique ! Encore plus fort : à l’avenir, les futurs pères pourront même comparer leur existence passée avec la vie de leur fils par pixels interposés. Du style :  » Ecoute le groupe que j’adorais à 15 ans, regarde les filles que j’aimais à l’école et savoure un peu tout ce qu’on a fait ensemble quand tu étais gamin « . Tout ça en deux clics de souris. Grâce à ces nouvelles encyclopédies de vie personnelle disponibles sur ordinateur, le rapport père-enfant pourrait donc prendre une dimension plus complice. Bombardé par une foule d’images et de sons témoins d’une période oubliée, l’ado pourrait faire preuve d’indulgence et de compassion û rêvons un peu û à l’égard de ses vieux. De même, le père pourrait aussi garder, via ces armes de construction massives, un lien permanent avec son fils ou sa fille. Grâce à ces drôles de tentacules technologiques, il dépasserait enfin le stade du papa lointain ou même du papa poule (trop envahissant) pour devenir un vrai  » papa poulpe « , toujours à l’affût de l’info à stocker. C’était mieux avant ? Certes, les boîtes à chaussures remplies de vieilles photos jaunies ont toujours un charme bien palpable, mais à choisir, je préfère l’ordinateur truffé de souvenirs audiovisuels que l’on peut aisément ressusciter  » en direct « . Pour la transmission de l’émotion et la paix des familles.

Frédéric Brébant

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