Certains jugent ses projets grandiloquents, d’autres en admirent les prouesses techniques et l’audace esthétique sans précédent. Alors que la dernière oeuvre de Frank Ghery, le vaisseau de verre de la Fondation Louis Vuitton, s’ouvre à Paris, le centre Pompidou rend hommage à cette figure majeure de l’architecture contemporaine.

S’il est un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est bien celui-ci : jamais la capitale française n’avait vu se dresser sur son territoire une construction aussi gigantesque que la Fondation Louis Vuitton, qui s’ouvre officiellement ce 27 octobre, à l’orée du bois de Boulogne, à l’ouest de Paris. Ce  » nuage  » de verre, comme l’appelle Frank Gehry, aurait coûté 113 millions d’euros – montant non confirmé par la griffe. Il a été commandé par Bernard Arnault, CEO du groupe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), l’homme le plus riche de France dont la fortune a été évaluée à plus de 23 milliards d’euros par le magazine Forbes. Le projet, qui a mis de nombreuses années à se concrétiser, servira d’écrin à la collection d’art de ce fleuron du luxe. Il regroupe onze salles d’expositions et une autre dédiée aux concerts, un restaurant, une librairie et trois terrasses avec vues exceptionnelles sur la Ville lumière.

Alors que Tod’s contribue à la restauration du Colisée à Rome, que Fendi fait de même pour la fontaine de Trevi et que Ferragamo soutient la Galerie des offices à Florence, Louis Vuitton se devait de montrer également son attachement à la culture et à sa valorisation. La construction de la Fondation a d’ailleurs été annoncée en 2006, juste après la tentative de François Pinault, CEO de PPR et grand rival d’Arnault, d’ériger de son côté un centre d’art en bord de Seine.  » J’espère que grâce à cela, le public comprendra mieux notre groupe « , déclarait Bernard Arnault au New York Times lors d’un entretien où il justifiait son refus de dévoiler le budget :  » Qu’importent les chiffres, on parle ici d’un rêve. Disons simplement que cette sculpture a coûté très cher.  »

D’UN SIÈCLE À L’AUTRE

Outre sa fonction première de musée, la Fondation pourrait aussi redynamiser tout un pan de territoire de la capitale française en devenant un point d’intérêt aussi important, pour le tourisme de l’architecture, que le Guggenheim de Bilbao, sans doute le projet le plus célèbre de Frank Gehry. A côté des retombées positives pour Louis Vuitton en termes d’image, l’investissement de LVMH acquerrait ainsi une dimension supplémentaire, celle de cadeau à la ville.

D’aucuns voient d’ailleurs dans cette nouvelle réalisation une version de verre du chef-d’oeuvre ancré dans la mégapole basque, aux lignes déconstruites si caractéristiques. Ces mêmes lignes qui, dans les années 70, à l’époque du post-modernisme triomphant, avaient permis à l’architecte de libérer son art des diktats formels en en proposant une tout autre conception. Un parti pris audacieux que ne traduit pas nécessairement l’intérieur des édifices érigés par ce visionnaire, la dimension sculpturale ne s’y prolongeant pas toujours. Ainsi, pour la Fondation Louis Vuitton, trois boîtes blanches se dressent-elles entre les ailes de ce qui peut être comparé à un cygne. Ces volumes opaques, entourés de plaques de verres faisant office de toits et façades, répondent tout simplement aux exigences muséales, qui impliquent des murs immaculés non vitrés permettant l’accrochage.

Flamboyant, asymétrique et démonstratif, le style de Gehry, largement présenté et commenté dans une grande rétrospective au Centre Pompidou, à Paris (lire par ailleurs), incarne un courant remis en question par une partie des stentors de l’architecture contemporaine actuelle, qui souhaitent redonner plus d’importance au contenu des musées qu’à leur enveloppe. D’aucuns ne se gênent pas pour critiquer ouvertement les projets de l’Américano-Canadien, le musée de Bilbao en tête… Quelques acharnés en sont même venus à éditer des tee-shirts barrés de l’inscription  » Fuck Frank Gehry « , dont le principal intéressé possède d’ailleurs un exemplaire dans sa garde-robe.

Pour autant, ce dernier ne s’excuse pas de son approche controversée.  » Nous sommes devenus trop timorés, et les directeurs de musée ou les commissaires d’exposition un peu trop paresseux, assène-t-il. Du moment qu’ils ne doivent pas réfléchir…  » L’architecte va même plus loin dans le Times :  » 98 % de ce que le reste du monde bâtit ne vaut rien. Pourquoi les gens protestent-ils contre un projet de construction un peu singulier alors qu’ils acceptent cette laideur dans les villes ?  »

Ne manquant pas de répartie et ayant traversé la seconde moitié du XXe siècle puis plongé dans le nouveau millénaire en gardant le cap, Frank Gehry, 85 ans, n’a plus besoin de prouver à quiconque la qualité de ses projets. Depuis sa propre maison – réalisée dans les seventies et dans laquelle on retrouve déjà un mélange de matériaux et une grande imbrication des espaces – jusqu’à ses dernières réalisations teintées de futurisme, ses bâtiments parlent d’eux-mêmes. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

Alors qu’au début de l’année, à Londres, était inaugurée l’ancienne centrale électrique Battersea Power Station, complètement réaménagée par l’architecte, le nouveau siège de Facebook en Californie doit suivre en 2015. Et, deux ans plus tard, un Guggenheim deux fois plus grand que celui de Bilbao devrait être érigé à Abu Dhabi. Ghery, starchitecte par excellence ?  » Une expression stupide, que les journalistes ont inventée pour m’en accabler ensuite « , répond-il avec ironie.

La Fondation Louis Vuitton sera ouverte définitivement au grand public le 27 octobre, après trois journées portes ouvertes les 24, 25 et 26 octobre, au cours desquelles le bâtiment pourra être visité gratuitement sur réservation. www.fondationlouisvuitton.fr

PAR VEERLE HELSEN

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