Envahie de touristes à l’heure d’été, la Costa Blanca cache des lieux qui ont préservé un peu de calme et beaucoup de charme. Hors-saison, on peut même s’y sentir hors du temps.

C’est dans l’étrange ville de Benidorm, lieu phare de la côte sud-est espagnole, que le printemps nous accueille. La réputation du lieu donne le vertige : plages bondées, immeubles repoussants ou vie nocturne agitée. Si beaucoup de Belges adorent y poser leurs valises ou y savourer leur retraite, très peu osent lui attribuer de la grâce. L’argument est évidemment ailleurs : la générosité du soleil, qui enveloppe les terrasses de la station presque douze mois sur douze. Intransigeant sur ses habitudes, il accompagne nos premiers pas à travers les rues tièdes d’une ville bien décidée à faire de l’ombre à nos préjugés. Quelques minutes suffisent pour être happé par des gratte-ciel tous plus hauts les uns que les autres, véritables piliers de ce territoire valencien. Les maisons ou les villas n’ont pas leur place ici : elles ont été priées de gagner les collines alentour. Seule règne la loi de l’élévation. Certains surnomment d’ailleurs la ville BeniYork, et c’est vrai qu’on a un peu l’impression de faire connaissance avec le cousin balnéaire de Manhattan. A une différence près : les gens d’ici ne parlent pas de business, mais bien de tapas, de paella ou de cerveza. Ils discutent de ces boutiques où ils iront en fin de journée ou de ce pub anglais où ils étaient hier soir. Les buildings ? Les habitués ne s’y attardent même plus.  » Ce sont eux qui font la particularité de Benidorm. Néanmoins, les vacanciers ne viennent pas pour les admirer, mais pour les habiter « , nous confie une dame en balade. Oui, mais qui donc les a laissés pousser ? L’histoire, tout simplement. Dans les années 50, le maire a décidé de n’imposer aucune règle aux architectes en matière de hauteur ou de style. Objectif : faire de sa cité l’une des destinations les plus touristiques de la Méditerranée. Un pari osé, mais gagnant : le lieu est devenu le fief de nombreux Allemands, Britanniques, Néerlandais, Russes et Belges, qui y ont acheté des appartements à des prix plus qu’honnêtes. Aujourd’hui, Benidorm abrite environ 80 % de propriétaires… étrangers.

Curieusement, ces hôtes en béton s’apprivoisent assez facilement. Plus espacés qu’ils en ont l’air, moins suffocants qu’ils pourraient l’être, ils ne servent finalement que de relais entre les vrais atouts de la ville. Un microclimat jalousé par toute l’Espagne, d’abord. Un long croissant de sable, aussi, qui s’étire sur six kilomètres entre les quartiers du Levante et du Poniente. Une vieille ville surnommée El Castillo, encore, animée par des commerces colorés ou de petits restos aux arômes de poisson grillé, postés à deux pas de la digue. Et puis cette digue, justement, que l’on peut parcourir à pied ou à vélo, à l’ombre des palmiers, en gardant un oeil inévitable sur le gros rocher baignant au large : l’Illa de Benidorm. Un îlot sauvage sur lequel bronzent les goélands et les cactus, et où une poignée de familles, jadis, tenta de fuir pour échapper à une épidémie de choléra. En se retournant, c’est une oeuvre tout aussi emblématique de la ville qui captive les regards : l’Edificio Intempo. Avec un toit culminant à 200 mètres, cet immeuble en forme de M (en hommage aux attentats de… Madrid, en 2004) est le plus haut de Benidorm. Une sorte de testament du boom de l’immobilier espagnol : imaginé avant la crise comme le plus grand building résidentiel d’Europe, il n’est achevé qu’à 95 %. Sur la Toile, on a même voulu lui couper les pattes : une insistante rumeur s’est répandue selon laquelle les architectes avaient oublié d’y inclure des ascenseurs. Un bruit que les autorités touristiques de Benidorm ont mis plusieurs mois à faire taire…

LUMINEUSE ALTEA

Plus loin encore, les yeux ne manquent pas le spectacle des montagnes qui, entourant toute la ville, étonnent aussi bien par leur stature que par l’élégance de leurs arêtes. Si la Costa Blanca attire les foules grâce à l’éclat de ses plages, elle offre aussi des reliefs capables de séduire les voyageurs un tantinet plus aventureux. Les aficionados de Benidorm auraient tort de ne pas en profiter. Passés les voiliers, les terrains de golf ou les parcs animaliers (dont le célèbre Terra Mitica), c’est un vrai havre de nature qui se déploie. La montagne s’entête jusqu’à 1 000 mètres, offrant de nombreux chemins de randonnée qui traversent des parcs naturels aux décors magnifiques. La beauté aride de ces paysages, parfois aux allures de western, sous le soleil, se révèle une éloquente invitation à l’évasion. Une échappée incontournable à travers la Méditerranée, la vraie, et ces petites routes qui ne savent pas elles-mêmes où elles mènent, bordées par des orangers et des oliviers qui leur servent néanmoins de repères…

La petite ville d’Albir est une première escale qui, à quelques kilomètres à peine de Benidorm, se révèle déjà nettement moins remuante que sa voisine. Ici, les habitations ne dépassent pas quatre étages. Dispersées à flanc de collines, elles offrent toutes un panorama bleu azur sur l’eau. La baie attire des touristes qui exigent à la fois le calme, les bons mets et les siestes sur le sable chaud. On s’y promène sans but ou on s’y adonne à quelques sports nautiques, comme le font les Madrilènes qui adorent venir y séjourner durant le week-end… La sérénité printanière est le moment idéal pour s’aventurer encore un peu plus loin. Ce n’est d’ailleurs qu’en arrivant à Altea que la  » côte blanche  » va commencer à nous livrer ses charmes les plus authentiques. Il faut cette fois larguer la mer pour aller profiter du point le plus élevé de la localité : son vieux centre, ses ruelles pavées et ses maisonnettes blanches. Autrefois entouré de remparts (il en reste quelques souvenirs ici ou là), ce joli décor devient particulièrement apaisant lorsqu’on atteint la place principale, où la superbe église de Notre-Dame de Consolation, couverte de deux coupoles bleues, nous supplie de faire une petite pause sous un parasol. On obéit, avant de partir à la rencontre des peintres et des artisans qui, un peu partout dans la cité, peaufinent à la fois leurs oeuvres et la réputation d’Altea…

DE PORTS EN VILLES

En poursuivant notre route vers le nord, on passe notamment par Calpe, dont l’imposant rocher d’Ifach, à dompter à pied si le vent l’autorise, profite de ses 332 mètres d’altitude pour offrir un tableau de couleurs inouï sur la Méditerranée. Puis on arrive à Xabia (en valencien), alias Javea (en castillan), autre étape indispensable de cette excursion ibérique décidément surprenante. Le port et ses maisons aux toits de chaume nous attendent. On se faufile dans des rues étroites où passent quelques pêcheurs, avant de tomber nez à nez avec un monument qui semble avoir perdu son chemin : l’église Santa Maria de Loreto, construction avant-gardiste bâtie dans les années 60, dont la forme de coque de bateau flotte au-dessus d’un quartier aussi petit que déroutant. Plus haut, loin des plages de galets, la ville se transforme carrément en coup de coeur. Le centre historique ne cache pas son passé médiéval, dont le caractère se ressent aussi bien dans les portails arqués, les balcons en fer forgé, les portes en bois lourd et, surtout, les habitations façonnées avec la Pierre de Tosca, une roche sablonneuse qui provient du littoral en contrebas. Sans aucun doute l’un des trésors les mieux gardés de la Costa Blanca qui, en plus de séduire instantanément, peut aussi servir de prélude à une visite du parc naturel du Montgo et ses onze moulins à vent disséminés dans une végétation luxuriante. Mieux : on peut partir de Xabia pour parcourir  » la route des quinze miradors « , qui serpente sur 25 kilomètres de côte et livre des points de vue tout simplement somptueux sur la mer, les caps, les pins ou les petites criques enfouies dans les falaises…

Encore plus au nord, se trouve Dénia, également à deux pas du Montgo et ligne de départ idéale vers de très beaux sentiers pédestres ou cyclistes. Là encore, il faut accepter de tourner le dos aux plages pour prendre le pouls d’une Costa Blanca ni tape-à-l’oeil, ni prévisible, et grimper sur les hauteur, une fois de plus, afin de gagner la forteresse qui garde la ville. Bâti entre le XIe et le XIIe siècle, ce château a traversé les époques agitées de l’Espagne et de ses conquérants. Ses ruines servent aujourd’hui de balade, mais aussi de lieu de fêtes durant les mois chauds. Egalement connu pour son passionnant musée du Jouet – dont les pièces les plus anciennes datent de 1904 -, Dénia insiste pour embarquer ses voyageurs hors du temps. Dans le quartier des pêcheurs, les fruits de mer s’invitent sur les tables de petites terrasses ombragées. Les façades bleues, vertes ou jaunes servent de toiles de fond. Au loin, quelques bateaux s’en vont voir les Baléares, qui se trouvent à moins de trois heures de vagues. Nous, on préfère flâner encore un peu ici. On sent que le printemps, la sangria, le soleil et les montagnes ont encore deux ou trois choses à nous dire…

PAR NICOLAS BALMET

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