A quoi ressemble un créateur prometteur qui a tenu ses promesses ? A Julien David. Auréolé de son Grand Prix de l’Andam 2012, il construit sa marque avec sérieux, professionnalisme et ce petit quelque chose en plus qui fait de lui un talent d’aujourd’hui. Conversation avec un trentenaire qui aime se mettre en danger.

C’est un dimanche de mars, le surlendemain de son défilé parisien, entre les portants de sa collection automne-hiver dans son showroom du Marais, Julien David, vêtu en Julien David, c’est son habitude, reçoit les acheteurs – ici, on parle japonais, anglais, italien, français. Il a un pedigree particulier, ce créateur trentenaire : formé à New York à la Parsons The New School for Design, passé par les studios de Narciso Rodriguez et de Ralph Lauren, parti à Tokyo parce qu’il avait envie de changer d’air, il lance sa collection à son nom et  » made in Japan  » en 2008, défile à Paris pour la première fois en 2011, gagne le Grand Prix de l’Andam (lire par ailleurs) en 2012, cumule les lignes Femme et Homme l’année suivante, collabore désormais avec Quiksilver et vit à Londres, il était temps de bouger. Julien David est entré dans un nouveau cycle de vie, ça lui va plutôt bien.

Comment vous sentez-vous au surlendemain de votre défilé parisien à l’Oratoire du Louvre ?

Je suis content… Je ne le suis pas nécessairement, mais là, cela s’est bien passé, il ne s’agit pas tellement de la collection en elle-même mais de tout ce qui se décide en dernière minute, quelques jours avant le défilé – le casting, les cheveux, le maquillage, la musique et tous ces ultimes détails. Le matin même, on a modifié la scénographie, le podium avait des extensions sur les côtés, mais quand on est arrivés dans l’espace, on s’est rendu compte que ce n’était pas nécessaire, au contraire, on les a enlevées pour que ce soit très simple, très pur. Ce sont des petites décisions comme celles-là, mises bout à bout dans les deux jours avant le show, qui font que je suis satisfait, plus que d’habitude, d’autant que je ne peux pas les planifier. Les pièces, par contre, on travaille dessus depuis deux ou trois mois, je peux décider de tout, j’en ai le temps, ce n’est pas une performance, cela a été préparé alors que le reste, non – le mauvais ordre des looks, les mauvais accessoires, les mauvaises combinaisons, les mauvaises coiffures… c’est toujours délicat et stressant parce que cela peut nuire à la perception.

Etes-vous seul maître à bord pour prendre ces décisions-là ?

Pour les derniers préparatifs, depuis deux ans et demi, je travaille en tandem avec Beth Fenton ; elle est styliste, anglaise, basée à New York et elle a de l’expérience. Elle a vu plus de shows que moi, elle collabore avec différentes maisons. C’est bien d’avoir un avis et un peu d’objectivité.

Quelle silhouette résume votre saison ?

Les six premiers looks. En réalité, il y a deux mois, quand je réfléchissais à la collection, j’avais déjà décidé d’ouvrir le défilé avec ces silhouettes-là et cela n’a pas bougé. Souvent, quand c’est ainsi, cela veut dire que ce sont les fondations. Ce côté vraiment militaire dans le boutonnage et dans la matière, ce matelassage brodé, on dirait un peu une armure, cela reflète bien l’esprit de cet automne-hiver.

La tendance streetwear qui vous caractérisait est moins présente…

C’est vrai, j’ai travaillé le streetwear haut de gamme durant quatre années, je l’ai peaufiné et j’ai l’impression que je suis arrivé à mes fins. Sans pour autant faire table rase et passer à autre chose, on trouve toujours des détails et peut-être un côté un peu urbain, mais voilà, c’est plus discret que d’autres saisons.

En amont, comment débutez-vous une collection ?

J’essaie de ne pas avoir de règle définie, pour le moment, j’aborde le travail différemment à chaque saison. Il est arrivé que je fasse quarante dessins et que ce soit la base de la collection, mais cette fois-ci, ce n’était pas le cas. J’ai d’abord attendu, j’ai été assez patient avant de me lancer, comme je faisais beaucoup de choses en même temps, avec la pré-collection, l’Homme et ma collaboration avec Quiksilver, je me suis d’abord  » débarrassé  » de ces projets et, fin décembre, quand j’ai vraiment eu tout fini, j’ai commencé à réfléchir en détail à cette collection Femme. Je suis parti en vacances trois jours à Berlin, j’ai visité la Fondation de Helmut Newton, et j’y ai vu quelques images qui m’ont inspiré, notamment des mannequins habillés de combinaisons, de manteaux de fourrure avec de très grands cols et des chapkas, en train de faire des mouvements de combat ou des saluts militaires, cela a participé à mon point de départ. Souvent, je prends des thèmes assez  » standards « , un thème un peu nautique, par exemple, c’était il y a trois saisons, avec des marinières, des vestes de matelot. Mais je le fais à ma façon. Je pense qu’il est plus important d’avoir un point de départ très simple et de le creuser que d’avoir des inspirations super complexes et d’arriver finalement avec un produit qui ne dit pas grand-chose.

Construisez-vous d’abord une silhouette, une ligne ou travaillez-vous plutôt les matières ?

Encore une fois, cela dépend. Ici, j’ai commencé avec la matière, j’avais fait un test de matelassage, du camouflage surligné, dans une sorte de coton brossé, double face et japonais – depuis le début, tous mes tissus et la fabrication sont japonais. On a débuté avec des petits tests sur des vestes, c’était délicat, car ce qui est normal et simple, comme une emmanchure ou des rebords de poches, devenait très, très compliqué avec ce tissu trop épais. On a donc dû trouver des subterfuges…

A regarder vos collections depuis le début, y voyez-vous une ligne de conduite ?

Oui, j’aime les mêmes choses mais j’essaie de me séparer un peu de ce qui est  » facile  » pour mon goût… Avant de commencer mon projet, j’étais en charge du tailoring chez Ralph Lauren à New York, j’ai toujours aimé faire des manteaux et des vestes. Mais cette saison, il y a plus de robes que d’habitude, je n’en fais pas souvent, j’essaie de conquérir des catégories qui me sont moins familières.

Comme une petite mise en danger ?

Oui, c’est ça. La première fois, vous n’arrivez peut-être pas à réaliser complètement comme il le faudrait et la fois d’après, vous avez appris et vous construisez de saison en saison. Les modèles que vous voyez là, ce sont de nouvelles formes et idées bien sûr, mais c’est également l’apprentissage des collections antérieures et en cela, il y a une continuité dans mon travail. Je pense être à un stade dans mon projet où je découvre encore mais j’ai aussi un attirail que je peux utiliser pour le futur, qui s’agrandit au fur et à mesure et qui enrichit ma marque. C’est pour cela que j’ai de plus en plus de liberté : je peux réaliser les choses plus rapidement, avec la confiance des gens.

Comment vous est venue l’envie de vous exprimer à travers le vêtement ?

J’ai commencé par le design graphique, à New York, à la fin des années 90. Je m’étais formé seul, j’utilisais Photoshop quand j’avais 14 ans, j’aimais l’illustration et le dessin assisté sur ordinateur. Je suis parti aux Etats-Unis tout de suite après le bac, en 1998, j’avais 19 ans, j’étais intrigué par New York, j’avais envie de découvrir cette ville et de suivre une formation sur un logiciel de graphisme qui n’existait alors pas en France. Je devais y rester trois mois et puis on m’a commandé un petit projet de branding, et puis un autre… Au bout de deux ans et demi, j’ai eu un peu l’impression de tourner en rond, j’avais envie de 3D, j’ai donc suivi des cours à la Parsons The New School for Design, en product design, interior design et fashion design. Je suis ensuite entré comme stagiaire chez Narciso Rodriguez, à la Femme et au bout de six mois, il m’a embauché pour être son  » direct design assistant « , on était alors en 2002. Narciso a un atelier de couture sur place, c’est assez rare à New York, avec six couturières, un tailleur, un dressmaker, et c’est ce qui m’a plu. J’y ai vraiment appris à faire des vêtements. Après trois ans, j’ai été engagé chez Ralph Lauren, pour le label qui défile, Woman’s Collection et le département du tailoring. Au bout d’un an et demi, je me suis dit que ce serait pas mal de s’exposer à une autre culture, cela faisait presque huit ans que j’étais aux Etats-Unis, or, j’avais un jour fait une très courte escale à Tokyo et j’avais été impressionné, j’y suis parti pour un an, c’était en 2006.

Avec l’envie de lancer votre marque ?

Plutôt dans l’idée de me rapprocher de la création au Japon, mais je me suis rendu compte qu’il fallait parler japonais. J’ai commencé à l’apprendre, cela a pris pas mal de temps. Et très vite, j’ai découvert qu’il y avait un grand savoir-faire dans le tissage et particulièrement dans la soie. J’ai décidé de mettre sur pied mon propre projet, je me suis dit que peut être en mélangeant certaines références de la culture street et des éléments classiques du luxe, cela pouvait donner un produit intéressant. C’est ce que j’ai fait avec le foulard en soie, icône classique d’une maison de luxe, un peu vieillotte, vieux jeu même, mais avec des graphiques d’une culture street. J’ai fait une première petite collection, une vingtaine de pièces dans de très beaux matériaux… Je ne savais pas encore exactement ce que j’avais envie de dire et cela me donnait un peu de temps et une porte d’entrée auprès des revendeurs. J’ai vu que je pouvais arriver à faire quelque chose qui avait une légitimité, qui pouvait côtoyer des grandes marques sans être ridicule. Je voulais surtout éviter un  » produit de jeune créateur pas fini « , c’est pour cette raison que j’y suis allé progressivement. Au début, je vendais principalement à l’étranger, pas au Japon, où je fabriquais pourtant, alors que c’est un marché énorme, mais c’était comme ça. Puis j’ai été distribué chez Colette à Paris, Barneys à New York et dans des boutiques de référence en Asie, les Japonais ont commencé à s’y intéresser, et cela s’est développé rapidement, et plus facilement, parce que j’étais sur place.

En 2012, vous gagnez le Grand Prix de l’Andam, cela change tout ?

C’était un vrai boost. C’était aussi le bon moment, j’avais déjà fait trois défilés à Paris. Et c’était beaucoup d’argent pour nous à ce moment-là. J’ai bénéficié d’une belle exposition médiatique, on a donc pu signer de nouveaux contrats, avoir de nouveaux clients, travailler avec de nouvelles usines. J’ai par ailleurs pu déménager dans un plus grand bureau à Tokyo où l’on a ouvert notre première boutique – et ça, pour une marque, c’est très important.

Qu’avez-vous compris grâce à cette enseigne que vous ne sachiez déjà ?

D’abord, vous rencontrez les gens en direct, vous connaissez alors leur âge, leur budget, ce qu’ils recherchent et vous comprenez aussi comment certains vêtements, bien que très conceptuels, peuvent être achetés s’ils sont à un certain prix. D’avoir votre propre point de vente, cela permet d’apprendre ce genre de choses. Cela ne se verra ensuite peut-être pas au défilé mais dans la structure de la collection et dans le développement des saisons, oui.

Après l’Andam, vous lancez votre collection Homme, la suite logique ?

C’est vraiment ce prix qui m’a permis de le faire. Pourtant ce n’était pas très commun de commencer et de réaliser rapidement deux collections, Femme et Homme, mais j’en avais envie d’autant qu’au Japon, le marché masculin est grand. En plus, même si je n’avais pas de formation en la matière, cela me semblait accessible et pas si compliqué. Je pensais également que cela m’aiderait pour ma collection féminine : c’est vrai que pour les matières, tout ce que vous apprenez d’un côté, vous pouvez aussi l’utiliser de l’autre. Et pour la marque, cela donne une vision globale : vous habillez un couple… Cela s’est révélé être une bonne décision commerciale, cela nous a permis de nous développer, de trouver de nouveaux points de vente. On a grandi petit à petit. Désormais, à Tokyo, nous sommes une équipe de huit et de deux à Londres, où je m’installe.

Votre parcours et votre travail font de vous un créateur à part, le ressentez-vous comme tel ?

J’aime l’idée de ne pas être associé à un endroit en particulier et que mon expérience personnelle, qui est  » internationale « , soit reflétée dans mon travail, cela m’est propre. Je crois, c’est vrai, que je suis le seul créateur français basé à Tokyo, qui fabrique au Japon, qui monte à Paris pendant la semaine de la mode et a des points de vente un peu partout. On vit à une époque où les gens ont accès à toute l’information qu’ils veulent et cette idée de marque associée à un pays est un peu dépassée…

Contrairement à d’autres, vous n’additionnez pas les stars au premier rang lors de vos défilés, ce n’est donc pas un passage obligé ?

Non, la preuve ! On n’a jamais courtisé les stars. Si le public a envie d’acheter votre produit et qu’il y a une cohérence entre vos idées, votre prix, votre positionnement, votre image, je pense que votre projet peut fonctionner et que vous n’avez pas besoin d’être sur tous les abribus de Paris ou porté par toutes les starlettes.

Vous utilisez souvent le mot  » projet « , c’est révélateur…

Créer une marque, cela dépend de tant de choses, il y a tellement d’interlocuteurs… Je trouve que le mot  » projet  » résume bien la situation, la mode, cela doit se faire à plusieurs, pas au singulier, mais au pluriel.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » Cette idée de marque associée à un pays est un peu dépassée… « 

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