Figure culte de la planète mode, la Parisienne nourrit copieusement l’imaginaire des créateurs. Image d’Épinal, Arlésienne ou héritière bien réelle d’un sens particulier du chic à la française ? Décryptage.

C’est une ritournelle comme on les aime dans le milieu, un vieux tube qu’on continue de désirer comme si c’était la première fois qu’il nous surprenait les écoutilles. À l’instar de l’indéfectible petite robe noire, d’année en année,  » la Parisienne  » signe son éternel retour sur les podiums et dans l’imagerie fashion. Et peut-être plus encore ces dernières saisons. On l’a vue, notamment, dans la pub pour Miss Dior Chérie, signée Sofia Coppola : un joli c£ur pétillant de santé, petite cousine de B.B. enfourchant son vélo à pignon simple dans les rues d’une Paname cristallisée, tout en fontaines et couleurs Ladurée. Au même printemps, lors des présentations des collections pour l’hiver 09-10, Marc Jacobs consacrait chez Louis Vuitton quelques-unes des plus illustres représentantes de la titi classe premium à la faveur d’un défilé en forme d’hommage à Marie Sezsnec, mannequin fétiche de Christian Lacroix, Loulou de la Falaise, muse d’YSL, ainsi qu’aux inspiratrices de Karl L., Victoire de Castellane et Inès de la Fressange (lire aussi son portrait en pages 56 et 57).  » Elles sont très drôles, très féminines, un petit peu excentriques et complètement parisiennes « , confiait, au Journal du Dimanche, le directeur artistique de la marque au Monogramme. D’après Virginie Mouzat, chroniqueuse mode au Figaro, le printemps-été qui arrive sera, lui aussi, complètement parisien. Dans un article intitulé  » La Parisienne, enfin !  » paru pendant la dernière Fashion Week, elle l’affirme, sur la base des défilés Chanel et Yves Saint Laurent :  » Il ne s’agit pas d’un mythe, la Parisienne existe bien.  » Elle serait même  » furieusement d’actualité « . Arguments de la journaliste : Inès de la Fressange, encore elle, retrouve le catwalk de la maison de la rue Cambon,  » relax, ultracool reine de l’élégance  » en même temps qu’elle signe un vade-mecum pratique de la Parisienne pure laine chez Flammarion. Quant à Stefano Pilati, directeur artistique d’YSL, il remet enfin en selle la belle des bords de Seine, lui adresse  » une ode « , associant blouse paysanne,  » austérité froide  » et  » fabuleuse élégance « . Une maîtrise savante de l’hybridation des codes, un chic décontracté, qui seraient du reste caractéristiques du genre selon Marc Lambron, écrivain normalien alluré, auteur d’une féroce Théorie du Chiffon sur l’impitoyable empire modeux :  » Une Parisienne sait mélanger le chandail de cycliste et les escarpins de velours, le côté petit matelot et le côté grande Mademoiselle, la gouaille et le pincé  » (1).

SUR LES PODIUMS – PAR-DELÀ LE CLICHÉ

Mythe ou réalité, cet art vanté et présumé d’accommoder sa dégaine avec équilibre percole encore et toujours dans l’esprit des étrangers. En 2010, Ann Morrison, correspondante du New York Times à Paris, se fendait d’un commentaire carrément extasié sur la première religion de la capitale de la mode : le style. Une ville où, selon elle,  » garder une belle allure est aussi naturel que nouer son foulard ou évoluer en talons aiguilles sur des pavés. La beauté est une tradition qui se transmet de génération en génération « . Même son de cloche de la part de Mark Tungate, auteur britannique spécialisé dans le lifestyle (2) :  » La première fois que j’ai débarqué à Paris, où je vis maintenant depuis plusieurs années, j’ai tout de suite remarqué que les femmes se sapaient différemment des Londoniennes. J’ai trouvé cela très agréable, j’en ai d’ailleurs épousé une. Les Parisiennes ont un vrai truc, elles ont un sens des volumes et des coupes, une sophistication dans le détail, qu’on ne retrouve pas en Angleterre où les femmes sont plus excentriques et n’hésitent pas à montrer leur chair même si elles affichent quelques rondeurs en trop.  »

Des mots, des mots, rien que des mots ? En plein, selon Jean-Philippe Delhomme, illustrateur de longue date des m£urs de la Ville lumière (lire aussi en pages 102 à 105) :  » La Parisienne est une fiction forgée hors des frontières de France, seuls les Américains ou les Japonais pensent qu’elle existe. Il y a bien des filles un peu plus originales que d’autres, mais de là à dégager un style général…, non. On est conditionné par des clichés, mais dans la réalité, est-ce que cela existe vraiment, je n’en suis pas certain.  » On nous aurait menti ? La mode, cette gorgone vorace de fictions se repaîtrait-elle d’une Arlésienne créée de toutes pièces pour faire tourner la machine à désir ? Florence Müller, historienne de la mode et commissaire d’exposition – on lui doit entre autres l’expo consacrée à YSL au Petit Palais – éclaire le débat à la lueur du passé.  » La fameuse élégance parisienne est une image d’Épinal mais c’est aussi une réalité dont les racines plongent dans l’histoire. Du XIXe siècle jusqu’à l’âge d’or de la couture, les rues sont peuplées de trottins. Ces jeunes femmes travaillent dans les nombreux métiers de la mode. Elles livrent fourniture et marchandise aux clientes fortunées. Malgré leur peu de moyens, elles s’habillent avec recherche. La réputation de la Parisienne, jolie et habillée avec goût, dépasse les classes sociales. C’est encore le cas aujourd’hui, je le remarque dans la rue et dans le métro, il y a une attention forte au look même s’il est labellisé H&M. Les Parisiennes naissent dans un chaudron stylé, elles évoluent sans cesse dans un climat où le paraître reste très important. Car Paris est un théâtre, et pas seulement d’un point de vue architectural.  »

CARRÉ VIP – PORTRAIT-ROBOT

Le monde est complexe, toutes les généralités ont bien entendu leurs exceptions mais, toujours selon Florence Müller, on peut dessiner les contours de l’animal à l’aide de quelques dénominateurs communs. A contrario des autres icônes de l’élégance internationale, d’abord :  » La Milanaise affiche une richesse artisanale et qualitative très visible, elle ose le vison et l’or aussi. La New-Yorkaise est plus pragmatique, elle s’habille « en fonction ». De son travail, d’un cocktail, d’un dîner entre amis, on le voit très bien dans la série Sex and the City. À Paris, c’est plus brouillé. Les Françaises ont toujours peur d’en faire trop. Elles évitent à la fois l’excentricité à la britannique, le chic ostensible à l’italienne et la fonctionnalité un peu trop « portable » des marques américaines, car s’habiller doit rester ludique. Vu qu’elles ont toujours peur d’en faire trop, elles travaillent sur la normalité, c’est subtil.  »

Dans son hilarant pamphlet Dessine-moi un Parisien (3), Olivier Magny raille avec à-propos cette manière de considérer la sobriété comme un gage de respectabilité esthétique. Il écrit dans un chapitre sur le noir :  » Au-delà de ses qualités à dissimuler les rondeurs (supposées), le noir est aussi un formidable outil de socialisation à Paris : en noir on ne se fait pas remarquer.  » Géraldine Dormoy, web-journaliste à L’Express Styles et pionnière des blogs fashion avec www.cafemode.fr, le confirme, la Parisienne d’aujourd’hui  » joue de la discrétion, c’est la reine de l’under-dressing « . D’après la blogueuse, fine observatrice de la rue, le mythe d’une belle de jour gantée, soigneusement maquillée, parfaitement coiffée, n’existe pas ou plus,  » c’est un pur fantasme, un souvenir « , dit-elle. En revanche, même si Paris n’est pas une bulle et se fait contaminer partout dans le monde par les looks jeunes (gothiques, hip-hop, emo, alter…), une esthétique bien marquée se dégage encore :  » Le look de la nana type est feutré, de bon goût, peu risqué, analyse Géraldine Dormoy. Il est signé Isabel Marant, Vanessa Bruno, Sandro, Maje, The Kooples, Comptoir des cotonniers, toutes ces marques milieu de gamme qui permettent à la Parisienne lambda d’être plus pointue que l’Anglaise moyenne.  » Une armure trompe-l’£il, distinguée dans l’indistinction, faussement négligée, doublée d’une arrogance dissimulée et dopée à l’ironie – car la Parisienne se sent supérieure, c’est historique.  » Autrefois, les Parisiennes se devaient d’endoctriner leurs amies de province en termes de style « , précise Florence Müller.

Le portrait est posé. Au rang des célébrités, on citera Inès de la Fressange, passée maîtresse dans l’art d’hybrider ses origines BCBG avec des touches rock’n’roll, Charlotte Gainsbourg, mixant le  » relâché  » et l’esprit créateur façon Balenciaga et toute la ribambelle d’actrices à la Mélanie Laurent, Clémence Poésy, Anna Mouglalis. Des filles  » avec une authenticité qui plaît aux magazines américains habitués aux beautés formatées, remarque Géraldine Dormoy. Elles alimentent l’idée de la Parisienne en étant bien réelles… « . Cette notion de fraîcheur aux antipodes du bling et du Botox expliquerait par ailleurs le succès actuel de l’image de la Parisienne auprès des créateurs. Surtout en temps de crise.  » C’est un sujet de ressourcement pour les stylistes, décrypte Florence Müller. Ces dernières saisons, on remarque que beaucoup d’entre eux se recentrent sur la femme au lieu de concevoir leur collection pour le podium. La Parisienne est un excellent modèle pour les créateurs puisqu’ils peuvent bâtir une collection vendable, sobrement créative et pétillante à la fois.  » Métaphore parfaite de la mode, la Parisienne fait vendre et rêver. Ça c’est une réalité.

(1)  » Femmes capitales « , par Marc Lambron, in Paris comme vous ne l’avez jamais vue (Le Point-Grand Angle), mai 2010.

(2) Le Monde de la mode, par Mark Tungate, éditions Dunod.

(3) Dessine-moi un Parisien, par Olivier Magny, éditions 10-18.

PAR BAUDOUIN GALLER

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