Pour la première fois, le guide GaultMillau a coté un snack pita anversois. Coup de pub ? Pas seulement. L’entrée du fast-food dans la cour des tables nappées illustre la montée en grade de ce cousin honteux de la gastronomie tradi.

Le poulet et le shoarma bronzent sur les tournebroches, il est 11 heures, le temps de faire griller quelques tomates et oignons, d’enfiler la kefta d’agneau sur les piques en acier, le Finjan sera plein comme un £uf. Depuis que le guide GaultMillau a récompensé d’un 13/20 ce snack pita du sud d’Anvers, la clientèle d’habitués (déjà très nombreuse et comptant une belle brochette de BV’s, dont Guy Verhofstadt) a vu débarquer une foule de curieux, étonnés par cette distinction inédite pour un fast-food.  » Nous avons été les premiers surpris, raconte Sean, le fils du propriétaire, Josef Chacham, un juif irakien installé ici depuis dix-huit ans. Nous ne connaissions même pas l’existence de ce guide, mon père était très ému.  »  » Et très fier, renchérit Sim Hemo, associé de Chacham. Car je pense que c’est mérité. Nous avons toujours essayé de faire la différence en proposant des produits extra-frais, nous préparons et épiçons nous-mêmes notre viande, le ready-made ne passe pas la porte, ici, tout est fait maison.  » Jusque dans les sauces, plus-value évidente de l’établissement. Hormis les classiques cocktail et aïoli – home-made aussi – on peut en effet napper généreusement son petit pain et ses grillades de sauce coriandre au citron ou encore d’un mélange secret d’oignons aux épices des Milles et Une Nuits.

Ce n’est pas tout.  » Meer dan een pita « , dit le slogan du resto. Et de fait, la petite équipe très bigarrée du Finjan, incluant, outre le patron, un Iranien, un Égyptien, deux Marocains et deux Israéliens offre aux papilles un survol gourmand, de l’Afrique du Nord aux confins persans, à la faveur de préparations végétariennes épatantes : houmous saupoudré de za’atar, tahina, babaganouche, falafels… Cherry on the kefta : une sélection de vins de la Terre promise.  » Bien sûr, le cliché du bar à pita, vite assimilé à la junk food peut choquer les gourmets, défend Philippe Limbourg, directeur de GaultMillaut Belgique, mais même si l’on retrouve le décorum et la logique du resto rapide, le Finjan est plus qu’un simple snack. Chez GaultMillau, on essaie d’être précurseur par rapport à l’évolution de la gastronomie. Anvers est une métropole avec une mixité culturelle très forte. On ne peut pas nier qu’il existe autre chose que la grande cuisine française et que cet autre chose peut être qualitatif. Cette adresse en est la preuve. On a jugé sur l’assiette, notre premier critère, bien avant le cadre, et je peux vous dire que certains chefs pourraient venir faire un stage ici pour apprendre à cuire correctement une viande.  » Des chefs, précisément, il en vient. Ce serait d’ailleurs par ce canal que l’inspecteur du guide aurait eu vent de cette taverne d’Ali Baba.  » Vu qu’on est ouvert très tard, 4 heures, en semaine, 5 heures, le week-end, pas mal de chefs anversois viennent manger ici après leur service « , confirme Sim Hemo.

Par-delà cette petite révolution dans le monde de la critique gastronomique, c’est précisément grâce aux chefs, et pas les plus petits, que la nourriture traditionnelle de fast-food est à nouveau prise en considération. Suite aux différentes crises sanitaires de la fin des années 90 et parallèlement aux ravages de la malbouffe sur la santé publique, une série de grands noms de la gastronomie s’emparent depuis quelques années des codes et des mets phares de la junk food en leur administrant un sursaut qualitatif. Une manière de prendre en marche le train de la restauration rapide, en plein boom, et de s’offrir une image doucement provoc’ dans un monde jugé parfois ronronnant. À Paris, c’est aujourd’hui du dernier chic, même (surtout ?) chez les fashionistas, de s’enfiler un gros steak haché juteux entre deux buns parfaitement grillés. Pour vivre cette petite aventure canaille, on peut par exemple s’attabler dans un des deux snacks de luxe de Guy Martin (Grand Véfour) mais la plupart des lieux à la mode mettent aujourd’hui leur burger à la carte. Une façon de cultiver son hédonisme – rien de tel pour faire genre, surtout si l’on n’accuse aucun embonpoint – tout en restant intraitable sur la traçabilité du produit.

Ce phénomène s’inscrit en droite ligne de la tendance à succès du fast-good, sur laquelle l’hyper-chef espagnol Ferran Adrià a bâti une chaîne éponyme en 2006. En collaboration avec les hôtels NH, il a déjà ouvert deux enseignes à Madrid et une à Santiago du Chili, trois autres devraient voir le jour à Barcelone, Valence et Palma de Majorque. Le principe ? Vous le connaissez, c’est le même que la chaîne Exki – avant-gardiste, pour le coup, puisqu’elle est active depuis dix ans. La boîte belge vient d’ailleurs d’être élue entreprise de l’année 2010 par Ernst & Young, BNP Paribas, et le journal financier L’Écho, après que leurs patrons ont été élus managers de l’année par le magazine Trends Tendances en 2009.

La restauration rapide n’est donc définitivement plus synonyme d’acides gras saturés et de sucres pas très raffinés. Les parangons consacrés de la junk food ont bien senti le vent tourner. À cet égard, la stratégie marketing de Quick est édifiante : ici aussi, le burger s’upgrade. Après le cheeseburger bio, en France, c’est en effet un hamburger au foie gras de canard qui a été récemment mis en vente sous le label  » édition limitée « . Brouillage des codes généralisé.

PAR BAUDOUIN GALLER

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