Métisse black-indien à l’allure de star de soul, Patrick Robinson dessine désormais les collections de Paco Rabanne. Moins de métal, mais plus de sexe.

Sacs croco, python noir, velours chèvre, bottes Seventies, fourrures protubérantes, cuir gaufré, nuisettes pas nuisibles, faux kimono de soirée et vrais drapés d’élégance : a priori, le prêt-à-porter féminin dessiné par Patrick Robinson pour la collection automne-hiver 2005-2006 de Paco Rabanne, tranche sur le passé rétro-futuriste de la maison franco-espagnole. A l’origine de cette mutation, Robinson, 38 ans, débarqué chez Paco en décembre 2004 après l’éviction de la styliste-maison Rosemary Rodriguez. Si le nouveau  » creative director  » n’est pas vraiment une célébrité en Europe, il a déjà gagné la confiance du marché américain en travaillant notamment chez Perry Ellis et Anne Klein. Il a également créé sa propre ligne au milieu des années 1990 et fait ses armes chez Giorgio Armani entre 1990 et 1994. Pas mal comme CV, mais Robinson a visiblement d’autres ambitions, qu’il montre déjà dans sa seconde collection pour le printemps-été 2006 où des incrustations métalliques minimalistes viennent par exemple relever d’autres matières comme le denim ou le coton. Décontracté, Patrick Robinson ressemble au chanteur Maxwell et répond sans ambages aux questions dans le lobby de chez Rabanne. Juste après sa leçon de français du matin.

Weekend Le Vif/L’Express : Dès vos débuts chez Paco Rabanne, vous avez voulu vous affranchir des modèles que les gens ont en tête lorsqu’ils pensent à cette marque. Pourquoi ?

Patrick Robinson : Ma première collection était réellement en rupture prononcée avec le passé. Elle a été faite avec une idée majeure :  » Comment utiliser cette marque pour fabriquer des vêtements chics ? » La question qui se pose désormais est :  » Comment la faire paraître plus futuriste, plus forte, plus tranchante, plus radicale ? » Je vais donc utiliser des matériaux qui ne sont pas habituellement pratiqués dans la mode, mais qui le sont peut-être dans la fabrication de meubles. On négocie actuellement avec des fabricants de voiture ou des compagnies qui moulent le métal, pour envisager de créer nos accessoires. La prochaine collection va réellement montrer la direction que je veux faire prendre à Paco Rabanne !

Vous utilisez deux mots pour définir votre travail : glamour et arrogance. Personnellement je trouve les vêtements de votre nouvelle collection plus glamour qu’arrogants !

Oui, c’est sans doute plus glamour. Cette marque a une grande connotation sexuelle sous-jacente. Elle est faite pour des femmes  » fortes « . Etre  » arrogant  » signifie être plus provocant.

Quelle est votre définition d’une  » belle femme  » ?

Bon, et bien disons que c’est une femme sexuellement attractive, avec laquelle on a envie de faire l’amour ! C’est quelque chose qui me touche très fort chez les femmes et que je veux exprimer dans la marque.

Vous sélectionnez vous-même les mannequins de vos défilés ?

Oui, généralement. Et je tombe amoureux d’elles ( rires). (Ouvrant son catalogue) Regardez cette fille, vous la verriez dans le coin, vous auriez envie de coucher avec elle, non ? C’est ce que je veux réaliser avec cette marque, habiller des femmes qui ont en elles un fort parfum sexuel qui fait que, lorsqu’elles marchent dans la rue, les hommes et les femmes sont attirés par elles.

Le fameux  » Sexual Healing  » dont parle Marvin Gaye dans sa chanson…

Oui, j’essaie d’être parfaitement honnête dans mes sentiments. Et c’est ce qui m’a attiré dans cette marque : j’ai vu dès le début qu’elle avait quelque chose de très fortement sexuel. J’en ai parlé à Paco – nous n’avons eu que deux véritables conversations depuis que je suis ici – et il a rigolé en disant qu’étant plus jeune, c’est ce qui le faisait aussi avancer. Je ne crois pas que cette marque doive être une sorte de  » métal de l’espace « … Les premiers shows de Paco montraient des femmes noires pratiquement nues sous le métal et quelque chose là-dedans m’a incroyablement séduit.

Vous êtes né à Memphis qui n’est pas exactement la capitale mondiale de la mode. Memphis, c’est plutôt Elvis ?

Oui, mais Elvis a engendré beaucoup de mode et continue à le faire. Memphis est une ville fantastique même si mes souvenirs du lieu sont assez estompés. J’en suis parti à l’âge de 2 ans et je n’y suis revenu qu’une seule fois pour le travail. C’est une ville qui transpire la musique, qui a ce fabuleux parfum rock’n’roll et country du sud.

Vos parents étaient-ils impliqués dans la mode ?

Non, mon père était médecin et ma mère était mère ! Une sorte de famille américaine moyenne classique. Mes premières traces de la mode viennent de Los Angeles où j’ai grandi, particulièrement celles des Noirs des Seventies. Les Blacks ont toujours mis le grappin sur la mode, beaucoup plus que n’importe quelle autre culture. Regardez la façon dont les hommes noirs se préoccupent de leur coiffure. Moi-même, je portais des chaussures à talons impressionnantes, et je m’étais fait pousser une coupe afro énorme, avec une casquette balancée sur le côté, genre  » J’suis au sommet, mec !  » ( rires).

Vos racines sont mélangées, non ?

Oui, ma mère est cherokee et mon père est noir. D’où cette merveilleuse peau de couleur légère (…) et ces yeux étroits. J’ai grandi dans une culture mélangée, ce qui m’a certainement amené à accepter tout le monde. Une chose très utile dans la vie.

La mode a-t-elle toujours été votre option de vie numéro une ?

Non, mais j’ai toujours été attiré par le côté visuel des choses sans très bien savoir si je voulais être décorateur d’intérieur, imaginer des meubles ou devenir architecte. Puis je suis tombé amoureux des vêtements et de l’idée que ce sont eux qui peuvent vous métamorphoser en quelque chose d’autre. Quand j’étais à l’université, j’ai imaginé ma première collection de fringues, des pantalons très larges remontant très haut avec des bretelles. Mon grand-père m’a envoyé une collection de costumes parce que je n’avais pas les moyens d’acheter des tissus : je les ai donc transformés dans ce qui représentait pour moi la mode masculine. J’ai expérimenté beaucoup de modes. J’ai eu les cheveux très longs, puis rasés ! J’ai voulu inclure le hip-hop dans ma mode et être aussi très rock’n’roll. J’aimais Led Zep, AC/DC et puis aussi Marvin Gaye, Earth, Wind & Fire, Prince ou encore Michael Jackson période  » Off the Wall « .

Arriver à Paris il y a sept mois représentait-il une sorte de  » rêve devenant réalité  » ?

J’avais fait des choses aux Etats-Unis, mais ceci constitue un pari beaucoup plus audacieux, plus risqué aussi. J’aurais pu rester en Amérique, avoir beaucoup de succès là-bas et gagner deux ou trois fois plus d’argent qu’ici, devenant  » filthy rich  » en cinq ans, avec des stock options ! Mais je voulais me placer davantage sur la scène internationale. Et créer une collection plus large, ce que l’Europe permet davantage que l’Amérique. Ce job a été phénoménal pour cela : en sept mois, on a emmené la société vers de nouvelles perspectives.

La mode, est-ce plutôt Paris ou plutôt New York ?

Vous savez qu’il y a plusieurs capitales de la mode : Paris bien sûr, mais New York a également ses points forts, notamment celui d’accepter de plus jeunes créateurs. Milan gère l’héritage de quelques maisons très importantes et Paris a toujours été l’endroit qui dessine le futur, la nouveauté, qui accepte davantage de choses ! La mode est devenue un jeu international : aucune maison française ne l’est plus totalement et c’est la même chose en Italie ou aux Etats-Unis. Cette société en particulier est une compagnie espagnole ( NDLR : Puig, également propriétaire de Nina Ricci), je suis américain et c’est une marque française. Ici, 50 % des gens sont français, les autres sont italiens, belges, suisses, britanniques, américains, japonais : il y a maintenant un internationalisme de la mode, une globalisation, on ne pense plus du tout en termes de nationalité !

Parlez-vous beaucoup de mode avec votre femme, Virginia Smith, par ailleurs Fashion Director chez  » Vogue « …

Non, je ne discute pas vraiment de Paco Rabanne avec ma femme. Si on le faisait, on ne parlerait plus que de mode tout le temps ! Dans notre vie personnelle, on a tellement d’autres choses : notre fils, nos deux nouvelles maisons à Paris et à la campagne new-yorkaise en plus de notre domicile à Manhattan. On débat davantage de la décoration que du reste, même si ma femme a une sorte de  » sentiment de type victorien  » assez prononcé en matière de mode et que cela pourrait faire l’objet de nombreuses discussions.

Retournez-vous à New York toutes les semaines ?

Oui, je pars généralement le vendredi soir et je reviens le dimanche ou le lundi. C’est important de faire ces allers-retours parce que je pense qu’il n’y a que deux choses dans la vie : être amoureux de quelqu’un et vouloir acquérir de la connaissance. C’est marrant de faire de l’argent, mais ce n’est pas un but en soi… Venir à Paris consistait à explorer quelque chose de nouveau et à acquérir davantage de connaissance.

Pourquoi la mode est-elle importante ? Quel est son sens profond ?

Je crois que c’est  » la peau de l’animal « . On s’habille tous et c’est donc l’expression de soi-même. La mode, c’est bien plus que des vêtements, c’est aussi les cheveux, le fait de prendre un bain, les jouets dans votre sac, la voiture que vous conduisez…

Pourtant, pour 90 % des gens dans le monde, peut-être 95 %, la mode n’est pas importante.

Je crois que la mode est partout. Elle est l’expression d’une acceptation de soi ou de la non-acceptation par les autres. Tout le monde le pense, y compris les gens qui déclarent ne pas être intéressés par la mode et qui s’habillent donc en conséquence. La mode a fait son crossover, elle est partout : depuis les designers qui dessinent les voitures aux stars du sport ou de la télévision.

Quelle est la place des valeurs dans la mode ?

Ce ne sont pas nécessairement des valeurs que vous emmenez à la banque mais celles qui expriment ce que vous êtes. C’est d’ailleurs plus une expression qu’une valeur. La valeur est un mot presque trop grand pour la mode !

Où achetez-vous vos vêtements ?

Partout. J’ai recommencé à acheter  » Comme des garçons  » cette saison. Quand j’aime quelque chose, je deviens un peu obsédé. Ces pantalons par exemple, j’en ai acheté quatre ou cinq paires, et j’adore le tee-shirt que je porte, j’en ai acheté deux. C’est une marque américaine de sous-vêtements d’abord populaire chez les gays, puis adoptée par tous les hommes….

Pourquoi y a-t-il autant de gays dans la mode ?

Parce qu’ils sont plus expressifs : ils n’ont pas peur de montrer leurs sentiments intérieurs. Ce qui peut être différent chez les hétéros…

Votre femme s’habille-t-elle en Patrick Robinson ?

Elle est une grande adepte du shopping ( rires) mais elle doit acheter trois ou quatre de mes vêtements chaque saison. Elle est éditrice, elle fait donc un grand travail de sélection. De la dernière collection, elle a dû acheter une fourrure et deux ou trois robes !

Vous lui faites une réduction ?

Vous savez, j’ai droit à quelques pièces qui ne me vont pas particulièrement bien, donc…

Dans les années 1990, vous avez eu votre propre collection de prêt-à-porter qui n’a pas eu le succès que vous escomptiez. Sans doute parce que vous n’aviez pas trouvé le partenaire en business.

Oui, c’est vrai. Il faut deux personnes pour assurer le succès d’une compagnie. Regardez Pierre Bergé et Yves Saint Laurent. Il n’y a pas de designer d’importance sans businessman, et je n’en ai jamais rencontré avec lequel cela fonctionnait parfaitement ! Avoir le design ou le business seul ne suffit pas pour réussir. Je pense vraiment que la personne avec laquelle je travaille ici, Mario Grauso, est la personne qui me convient ! On peut se parler, voir qu’on emprunte la même route. J’ai un contrat pour trois ans, je saurai alors…

Philippe Cornet

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