Le 8 août 2008 s’ouvriront à Pékin les xxixes Olympiades. Pour cet événement exceptionnel, la ville fait preuve d’une créativité des plus réjouissantes. Gratte-ciel, immeubles dédiés au luxe, musées, théâtres, opéra sortent de terre par miracle sous la baguette des plus grands architectes européens. Cette déferlante moderniste ne peut cependant annihiler le passé prestigieux de cette grande cité impériale.

Pékin élargit ses avenues et rase, quartier par quartier, ses anciennes demeures. Un challenge que vit ses 15 millions d’habitants enserrés par six périphériques concentriques. Tours de bureaux gigantesques, grands centres commerciaux et quartiers d’affaires titanesques voient ainsi le jour. Le vieux Pékin disparaît un peu plus chaque jour : en 2008, il ne subsistera plus que 30 % de l’ancienne cité…

Longtemps en léthargie architecturale après le vide de la Révolution culturelle, la ville est désormais envahie par une pollution croissante et s’emballe avec des tours de verre à la verticalité futuriste, là où avant il n’y avait que de modestes bâtiments.

Millionnaires chinois, hongkongais ou taïwanais veulent désormais investir dans l’immobilier de la capitale qui connaît le plus grand lifting de son histoire entre le remodelage du centre et la construction des infrastructures sportives pour les JO. Quand les caméras du monde entier seront présentes le 8 août 2008, Pékin offrira l’image d’une capitale moderne, audacieuse, traversée par une dizaine de lignes de métro et de voies rapides dédiées à l’automobile. A côté du Central Business District (CBD), futur Manhattan pékinois, va s’adosser la nouvelle citadelle des riches, le  » Soho Xiandaicheng « , la ville moderne de Soho, conçue par un entrepreneur immobilier, Pan Shiyi avec sa femme Zhang Xin. Tous deux surfent sur la vague  » passeport pour le rêve  » de happy few, ces jeunes cadres de banque et de sociétés étrangères qui adorent les grandes marques et habitent des immeubles d’habitations hyperluxueux aux lignes graphiques, aux formes épurées habillées de matières futuristes.

L’Europe en Chine

Dans ce  » Far East  » architectural, les habitants réclament du jamais-vu. Pour urbaniser Pékin, les grandes signatures de l’architecture européenne sont d’ailleurs au rendez-vous. Ainsi le Néerlandais Rem Koolhaas qui a imaginé un édifice étonnant, futur siège de la télé nationale chinoise CCTV, mi-tour, mi-arche qui offrira 750 000 m2 aux services de la chaîne dans le Central Business District (CBD) ou encore les Suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron qui ont presque achevé le grand stade olympique de 91 000 places, nid d’oiseau géant dans le nord de la ville. Le Français Paul Andreu, l’inventeur d’Aéroports de Paris, peaufine quant à lui, le Grand Théâtre national à 500 m de l’immense place Tiananmen, où trône toujours le mythique portrait de Mao. A côté de l’Assemblée nationale (le Palais du Peuple), face à la Cité interdite, il pourra accueillir jusqu’à 6 000 spectateurs sous un dôme de verre et de titane de 218 m de diamètre et d’une hauteur de 46 m. Le toit comporte un plafond de bois, à l’exception de la partie centrale qui filtre la lumière. Les foyers des salles de spectacle se trouvent en hauteur, sous le plafond du dôme, avec une vue superbe sur la Cité interdite. La première est destinée à l’opéra, la deuxième au théâtre et la troisième aux concerts.  » Ce sera un lieu de passage comme Beaubourg à Paris, une agora culturelle, avec des salles d’exposition, des restaurants, des promenades « , affirme Paul Andreu.

Autre star française, l’ingénieur-architecte Jean-Marie Duthilleul, patron de l’AREP (le bureau d’études urbaines et architecturales de la SNCF, la compagnie des chemins de fer française) qui a conçu le Musée de la capitale ( » Shoudu « ),  » le  » musée historique de la ville qui a ouvert ses portes en 2006 sur Chang’an, la principale avenue de Pékin. Il a aussi doté le quartier d’affaires de Xizhimen, en bordure du deuxième périphérique, de trois arches de verre d’une hauteur de 100 m. Des tours futuristes, en forme d’ogives. Avec une partie gares routières et ferroviaire, station de métro, centres commerciaux et bureaux. Design et modernisme doivent parfois composer avec la science des géomanciens qui captent les bonnes vibrations liées au vent et à l’eau.

Entre passé et futur

Cet urbanisme ultramoderne saura-t-il propulser Pékin au sein des grandes cités futuristes ?  » Peut-être grâce à des complexes artistiques comme Dashanzi ( NDLR : la grande montagne) situé à proximité de l’aéroport et qui lui donne un vernis bohème, une laque d’insolence créatrice dans le domaine de l’art « , tente d’expliquer le peintre Feng Zhenjie, tête d’affiche de cette friche culturelle.

A quelques pas du Grand Théâtre, les touristes peuvent toujours assister très tôt au lever du drapeau national sur la place Tiananmen avant d’aller visiter la Cité interdite où palais, temples, pavillons, salles de cérémonies et bibliothèques couvrent une superficie d’une dizaine d’hectares. Le meilleur point de vue pour admirer la Cité, est sans nul doute  » Jing Shan « , la colline du Charbon, érigée avec les terres des douves. Autre curiosité, le temple du Ciel (Tiantan), 3 km plus au sud, où au printemps l’empereur quittait ses palais, traversait la place pour se rendre à la  » Salle des Prières pour les bonnes récoltes « , édifice rond surmonté de tuiles bleues et dont la charpente en bois est assemblée sans le moindre clou. Le parc qui entoure le temple est l’un des meilleurs endroits à Pékin pour rencontrer les adeptes du tai-chi, les fanas de cerf-volant ou encore les calligraphes.

Outre ces sites purement touristiques, le charme de Pékin réside également dans les maisons traditionnelles en briques rouges qui s’étirent le long des  » hutong « , lacis de ruelles étroites et enchevêtrement de cours. Beaucoup sont marquées de l’idéogramme  » tchai  » ( » à démolir « ) peint en blanc. C’est toute l’identité du vieux Pékin avec ses petits métiers et sa vie de quartier qui disparaît ici. Bientôt, les ménagères qui étendent leur linge, les vieux qui jouent au mah-jong ou encore les livreurs qui transportent sur la plate-forme de leur tricycle des briques de charbon ne seront plus que des souvenirs. Tout autant que les maisons d’un seul niveau ouvrant sur une cour carrée, calme et tranquille, les siheyuan,  » cour à 4 côtés « , toujours plantée d’arbres porteurs de fruits rouges : jujubiers, grenadiers, pommiers, plaqueminiers (qui donnent les kaki). Caractéristiques de l’architecture traditionnelle des dynasties Ming et Qing, les siheyuan hébergeaient une seule famille, souvent des hauts fonctionnaires. En 1949, quand la République populaire de Chine fut créée, les autorités laissèrent les prolétaires s’entasser dans les villas. Et chacun construisit de façon anarchique son logis dans les belles cours carrées, partageant désormais robinet et toilettes dans la rue. Un parfum qui permet de repérer de loin les hutongs surpeuplés…

Le futur n’en finit pas de se heurter à l’Histoire, se dit-on en marchant dans l’avenue Wangfujing, les Champs-Elysées pékinois. Cette rue piétonne longue de 810 m et large de 12 m, pavée de granit rouge et noir, est bordée de chaque côté de boutiques et de centres commerciaux géants. Une belle réplique aux autres quartiers de shopping que sont Jianguomen ou Xidan. Dans les années 1940 se bousculaient ici pousse-pousse, marchands ambulants, herboristes, devins et jongleurs. De tout temps, antre de la gastronomie  » bizarre « , on peut encore y savourer des brochettes de cocons de vers à soie, de grillons, d’étoiles de mer ou de petits scorpions grillés.

A quoi rêve aujourd’hui le Pékinois moyen dans sa ville grise, noyée dans le smog, piquetée de rouge (lanternes de papier, murs, portes de la Cité interdite) et de vert de ses parcs ? En vêtement de sports, Monsieur Li Tang Shi, professeur de philosophie confucianiste à la retraite, vient tous les matins depuis dix ans, dans le parc de Beihai,  » le lac du Nord « . Regard au loin, il déroule le lent rituel des figures du tai-chi . Avec ses 2 000 yuans de retraite par mois (environ 195 euros), il se dit heureux. Heureux de faire partie de cette classe moyenne qui voit la Chine revenir au centre du monde. Un peu plus loin, huit femmes, le visage souriant, font virevolter des éventails en tissu rouge :  » C’est une danse qu’on pratiquait au nord du fleuve Jaune quand on plantait le riz, explique Xiao Zhong la chef de groupe, qui était ouvrière dans un atelier de chaussures, une petite femme au visage énergique. On fait de l’exercice dans la bonne humeur : des danses surtout et on chante… Nous nous réunissons dans les parcs, car là règne la tranquillité comme autrefois quand la vie était plus calme. Notre vie s’améliore chaque année. Non, je n’ai pas été rééduquée puisque j’étais ouvrière… J’aime le président Mao, il vit toujours dans mon c£ur. « 

Michèle Lasseur Photos : Sylvain Grandadam

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