Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Durant tout l’été, Le Vif Weekend a zoomé sur de grands photographes et leur vision de la femme. La série s’achève avec l’Américain Peter Beard qui mêle dans ses tableaux de chasse africains filles fatales et animaux poseurs. Pour fabriquer des images, à divers titres, profondément métissées.

La fille aux yeux de biche flirte avec un éléphant. Elle, c’est Isabeli Fontana, délicieux mannequin brésilien ; lui, on ne connaît pas son nom mais il semble grand et fort. Elle est maquillée ; lui garde ses yeux au naturel. Ils n’ont pas forcément le même âge mais leur étreinte ne choque pas. De fait, cette élégance  » relâchée  » crée une nouvelle sorte de biotope visuel, une fusion inédite entre collages et photographie classique : Peter Beard adore la rencontre des espèces façon La belle et la bête. Ses créations s’y épanouissent . Comme si une image unique ne suffisait pas, il borde ici la principale de six miniatures. Six autres points de vue qui rappellent les photogrammes, ceux qui multipliés par vingt-quatre, donnent une seconde de cinéma. Mais la texture, le flou approximatif, les teintes, en font aussi des cartes postales qui pourraient être envoyées de loin, d’Afrique par exemple. Plus précisément du Botswana où Beard a pris cette photo et d’autres, pour le calendrier Pirelli 2009 (1).

Tout cela correspond à l’éducation de ce beau gosse, né en 1938 dans une riche famille new-yorkaise. Dès le départ, ce gamin privilégié met le voyage en besace, passe du temps en Alabama – il y croise des alligators, un bout d’Afrique déjà – et puis dans les contreforts chic de Bayberry Point, communauté aisée de Long Island créée par le fils d’un magnat du sucre. Beard apprend vite que la chimie de l’univers tient aux mélanges contraires : il consigne ses songes dans un journal intime et débute dans la photo dès l’âge de 12 ans. Il décroche un prix, après avoir photographié son chien un oiseau dans la gueule. L’oiseau est empaillé mais seuls le chien et Peter le saventà Après avoir fugacement étudié la médecine à Yale, le jeune Beard opte pour l’Histoire de l’Art et connaît ses premières émotions pour les enluminures, les icônes et les triptyques. Toutes choses qui lui souffleront plus tard le goût des images recomposées, collages dandy aux pièces hétérogènes.

Beard n’a pas attendu le calendrier Pirelli et sa réflexion sur  » l’épuisement des ressources en Afrique « pour exposer les blessures d’un monde dégradé. Il voyage une première fois sur le continent noir durant l’été 1955, guidé par l’arrière petit-fils de Darwinà Plusieurs semaines de l’Afrique du Sud au Kenya, où plus tard, il achètera la propriété voisine de Karen Blixen, mythique auteur d’ Out of Africa. Entre-temps, il découvre une faune et une flore dans un état brut, d’avant le tourisme de masse. Désormais, l’Afrique est dans son sang et il ne cessera plus de la visiter, de la photographier, de l’aimer. Assez vite pourtant, Peter Beard y voit les premières blessures de la chasse sauvage et du trafic d’ivoire, pour lui, autant d’indices de la couardise humaine. Début des sixties, il travaille au Parc National de Tsavo au Kenya : il y photographie et documente la mort de plus de 35 000 éléphants et de 5000 rhinocéros noirs.

En 1963, premier shooting pour Vogue. Le jeune homme d’alors, sorte d’aristocrate semblant sorti d’une nouvelle inédite de Fitzgerald, tutoie et engendre le succès : mode, rock stars, nature, il avale tout dans un bestiaire d’images follement chic où le guerrier Masaï a la même valeur tonique que Mick Jagger. A la fois chroniqueur animalier et mondain, il photographie Iman, Madame Bowie, prend pied dans l’intimité de Francis Bacon ou Truman Capote. Son intuition en fait un prototype de photographe durable avant la lettre. Son audace qui consiste à juxtaposer, dans une seule ambition esthétique, collages, découpages, images, peintures et légendes, est devenue sa marque de fabrique. Et cela, en mode comme ailleurs, s’avère strictement indémodable.

(1) www.pirellical.com

A lire, à voir, le splendide Peter Beard, éd. Taschen.

Philippe Cornet

 » Peter Beard adore la rencontre des espèces façon La belle et la bête. « 

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