Il est une star des fourneaux. Nimbé de ses 3 étoiles Michelin, Peter Goossens s’impose aujourd’hui comme le numéro 1 en Belgique, tous guides confondus. Le chef du Hof Van Cleve, à Kruishoutem, retrace pour Weekend sa fabuleuse ascension au firmament de la gastronomie… et livre deux de ses meilleures recettes.

(*) L’édition 2005 du Michelin Benelux avait été retirée de la vente, le 28 janvier, suite à l’attribution d’un Bib gourmand à un restaurant pas encore ouvert au moment du bouclage du guide. La nouvelle mouture est sortie le 17 mars dernier.

Pour le monde de la gastronomie, la sortie du Guide Rouge Michelin et sa distribution d’étoiles constituent un événement de premier plan. Du côté des chefs, l’attente est vécue comme la proclamation des résultats d’un concours, avec son lot de promus et de déçus. Pour les uns comme pour les autres, les conséquences sont importantes. Une nouvelle étoile, un macaron de plus et la clientèle change, évolue, devient plus exigeante.

Cette expérience, Peter Goossens, le chef du Hof Van Cleve, à Kruishoutem, l’a vécue à trois reprises déjà, puisqu’il vient de monter sur la plus haute marche du podium, entrant, le 24 janvier dernier (*), dans ce cercle très fermé des 3-étoiles qui compte aujourd’hui moins de cinquante restaurants en Europe. Cette reconnaissance n’a guère surpris les experts de la chose culinaire. En effet, avec deux étoiles, le Hof van Cleve accueillait déjà un public très sélect de gourmets. Les habitants de la Riemegemstraat ne comptent d’ailleurs plus le nombre d’hélicoptères qui viennent se poser sur la prairie voisine, débarquant dans les herbes hautes quelque gourmet excentrique et nanti.

Cette troisième étoile, Peter y travaille depuis le jour où il a entamé sa formation à l’école hôtelière ter Duinen à Coxyde. Ce choix n’a pas eu d’emblée l’assentiment de ses parents. Pourtant, ceux-ci ont, par leur art de vivre, largement contribué à sa vocation. Maman tenait boutique dans la petite ville de Zottegem. Papa plaçait des barrières de sécurité le long des routes. Parmi ses clients, il comptait aussi le circuit de Francorchamps dans sa grande époque. Peter évoque avec un réel bonheur ces étés passés dans cette atmosphère si particulière des Grands Prix et de leurs essais. De là, sa passion pour les voitures bien dessinées, qu’elles soient BMW, Range Rover, ou Aston Martin, de loin sa préférée.

Les Goossens ont toujours pratiqué le bien-manger.  » Nous avions un grand potager et une basse-cour nombreuse, se souvient Peter. Mon père peut aujourd’hui encore faire un détour de quelques dizaines de kilomètres pour aller chercher ici le meilleur beurre, là le meilleur agneau. Pour son métier, il voyageait souvent en Allemagne et, chemin faisant, il ramenait un pain qu’il trouvait meilleur que tous les autres.  » Cette exigence se retrouve dans l’éducation des enfants. Son choix opéré pour la cuisine, Peter est prié de se former aussi sur le tas en travaillant le week-end dans des restaurants de la région.  » Je rentrais tôt le vendredi après-midi, poursuit-il. Mes devoirs à peine terminés, mon père me conduisait au restaurant. Et il venait lui-même me rechercher après le service. On remettait cela le samedi et parfois le dimanche.  »

Ses études achevées, Peter part à Paris. On le retrouve d’abord au Pré Catelan, où il avait fait un stage en dernière année scolaire. En trois mois, il séduit et se retrouve engagé au sein de la brigade dès son diplôme obtenu. Il accepte le poste de pâtissier et peut ainsi suivre les cours de l’école Lenôtre, référence suprême en la matière pour l’époque.  » J’y ai appris la précision, indispensable dans ce métier, souligne-t-il. Comme les petits Belges ont une réputation de travailleur, j’ai un temps fait deux services. Le matin au Pré Catelan et l’après-midi au Pavillon de l’Elysée, qui appartenaient au même groupe.  » Près de quatre années parisiennes s’écoulent avant que Peter ne revienne dans ses Ardennes flamandes. Il est engagé comme chef dans un restaurant étoilé de l’époque, le Yzerberghoeve :  » Le propriétaire avait deux enseignes. Il avait débuté à quelques centaines de mètres de là, au Hof Van Cleve, une ancienne ferme restaurée. Un temps, il a gardé l’établissement où il servait une cuisine de brasserie. Un jour, j’ai appris qu’il vendait en consultant les annonces immobilières du journal local.  »

Devenu propriétaire en 1987, Peter accepte de signer un contrat de non-concurrence. Pendant cinq ans, lui qui rêve déjà d’étoiles, il ne pourra faire de l’ombre au Yzerberghoeve et, en aucun cas, se lancer dans la cuisine gastronomique. Il prend son mal en patience et exécute une bonne cuisine bourgeoise. L’année 1992 marque la vraie naissance du Hof van Cleve. Immédiatement les critiques applaudissent. La première étoile arrive début 1994 et la deuxième quatre ans plus tard. L’an dernier, Gault et Millau lui attribue un inestimable 19,5/20. Cette année, outre la troisième étoile, le guide Henry Lemaire lui attribue 5 couronnes, ce qui le place au sommet de la pyramide gastronomique belge, devançant d’un coup le Comme chez Soi bruxellois et le Karmeliet brugeois, les deux autres 3-étoiles du moment. Notons aussi que Peter est le cadet de ses pairs et que cette jeunesse se retrouve dans son équipe, une douzaine de jeunes cuisiniers de 23 ans d’âge moyen.

C’est en pénétrant dans le petit bureau que Peter s’est aménagé sous les combles de l’ancienne ferme qu’on commence à comprendre les secrets de sa réussite. Tout y est méticuleusement ordonné, net et sans bavure. Le même principe s’applique à la cuisine. Pour fêter sa troisième étoile, Peter s’est offert quelques pièces choisies de mobilier contemporain, des chaises Eames et des classeurs de bureau signés d’un de ses designers préférés, Jules Wabbes. Bien rangés dans la bibliothèque, s’empilent les meilleurs guides du vin de la planète. Car, tous les grands dégustateurs vous le confirmeront, cet homme a aussi un palais et une mémoire hors normes des crus et de leurs millésimes. Sa cave éclectique, avec plus de 1 200 références, témoigne de ses choix très pointus.

La cuisine de Peter Goossens est généreusement savoureuse et riche en goûts. Elle n’est jamais contenue. Mais surtout elle est double. Ce chef surdoué offre le plus grand raffinement, la plus belle fraîcheur. Mais il est aussi masculin, puissant dans les plats qui en appellent au terroir. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un de ses menus, intitulé  » Fraîcheur de la nature « , est sous-titré  » Tradition et innovation « . Pour ne donner qu’un exemple de cette dualité gourmande, il suffit de voir comment sa dernière carte traite de deux manières la coquille Saint-Jacques. Elle est proposée sous la forme d’un tartare avec filet de b£uf (en carpaccio), mozzarella, crabe royal et gelée au soja. Quant à la noix de Saint-Jacques poêlée, elle est accompagnée de salsifis nappés de fromage fondu, d’une purée de topinambour et truffes et saucée de coulis de homard.

Si aucune des techniques contemporaines n’échappe à la vigilance de Peter (il fait, entre autres, partie de ceux qui proposent un £uf délicatement cuit à 62 °C), la tradition (breughélienne !) se marque dans des détails qu’il soigne avec une rare attention. Son chariot de fromages, par exemple, est à se damner. Quant à ses mignardises û truffes au chocolat, guimauves, macarons de Paris, beignets… û, elles sont servies en abondance, à la bonne franquette, dans des bols, par ailleurs très élégants. Peter caresse parfois l’idée de proposer ces recettes bourgeoises qu’il exécutait à ses débuts au Hof van Cleve, comme ces bonnes gaufres au lait cuites à la minute. En guise de mise en bouche, en exclusivité, il livre à Weekend le secret de deux d’entre elles, dont ses incomparables bouchées à la reine.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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