Il conçoit des demeures de rêve pour une clientèle ultrasélecte et aussi d’éblouissantes boutiques pour les plus grandes griffes de mode… L’architecte new-yorkais Peter Marino affiche un style éclectique, mais toujours percutant. Il a ouvert, en exclusivité à Weekend, les portes de son bureau de Manhattan, un antre hétéroclite où fusionnent architecture et art.

L’emploi du temps de Peter Marino ressemble à la feuille de route d’un avion de ligne, avec escales à New York, Paris, Hongkong et Tokyo. Dans ses bagages, l’ADN des marques de luxe les plus iconiques : Fendi, Armani, Valentino, Chanel, Vuitton, Dior, Donna Karan. Ce poète de l’espace voyageur transporte et traduit chaque griffe en l’adaptant à de nouveaux territoires. Son bureau principal, à New York, est une tour de Babel où se côtoient une quarantaine de nationalités différentes et autant de projets simultanés. Quand il n’est pas en déplacement, ce voltigeur de la matière et du vide surplombe Manhattan du haut des deux plateaux qui accueillent ses collaborateurs, aux 35e et 36e étages d’un gratte-ciel. La salle de réunion est équipée des dernières technologies en matière de vidéoconférence pour assurer la fluidité maximale de ses contacts avec les sièges sociaux de ses clients et les responsables des projets aux quatre coins du globe. Mais même aidé des équipes les plus performantes et usant des meilleures connections digitales et satellitaires, comment Peter Marino a-t-il recours à ce don d’ubiquité, qui lui permet de travailler à cheval sur les continents, les fuseaux horaires, les cultures et les modes ?

Un point de vue, mais pas d’ego

Peter Marino avoue une âme d’éternel free-lance.  » Il a la capacité de changer de vitesse très rapidement « , souligne une de ses collaboratrices. Ce qui explique sans doute que l’architecte jongle avec des projets aussi divers qu’un centre commercial de luxe sur Long Island près de New York et le musée de la porcelaine du Zwinger à Dresde en Allemagne. Au cours de ses vingt-six ans de métier, il a signé des résidences privées et primées comme cette structure de verre qui fait fonction de loft sur les toits de Londres, des projets culturels et commerciaux, des sièges sociaux, des casinos, des spas… Dans les années 1980, un de ses premiers clients n’est autre que le pape du pop art Andy Warhol qui lui confie les plans de sa demeure. L’industriel italien Gianni Agnelli, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé lui passent commandes. Il devient un familier des salons artistiques et de la mode. Certains de ses clients privilégiés le sollicitent pour des projets autant privés que commerciaux. Ainsi, il dessine la résidence et le yacht de Valentino, la demeure privée de Giorgio Armani à Milan et le château dans le Bordelais des Wertheimers, les propriétaires de Chanel.

Son style caméléon séduit à un tel point que l’industrie de la mode ne peut bientôt plus s’en passer. On prête à Peter Marino le don d’aller droit au c£ur de la substantifique moelle des marques avec lesquelles il travaille. Il a été baptisé le  » thérapeute  » de la vente au détail, pour son habileté à comprendre et à valoriser le concept et l’originalité de chaque maison de mode. Son travail de création contribue non seulement à l’embellissement d’un espace mais aussi à renforcer le positionnement d’une marque. Selon le président de Christian Dior Couture, l’architecte new-yorkais comprend mieux que personne l’histoire d’une grande marque et comment la traduire en langage contemporain.  » Peter Marino n’oublie jamais qu’il crée une boutique et non un musée, affirme Sidney Toledano. Il pense constamment en termes de  » clients « ,  » présentation « , et même  » comptoirs « ,  » tiroirs  » et  » rangements « . Sa capacité d’écoute est fantastique. Il a un point de vue, mais pas d’ego, ce qui est rare chez un architecte.  »

S’il se consacre avec passion à l’aménagement des boutiques les plus sélectes du monde, l’architecte américain refuse de se laisser  » classer dans une boîte « . Il admire l’Italien Renzo Piano, le Français Christian de Portzamparc et le tandem suisse Herzog & de Meuron pour leur capacité à  » intriguer et à entretenir l’étonnement « … Mais les architectes avec lesquels ce New-Yorkais de 56 ans se reconnait le plus d’affinités sont les modernistes français Jean-Michel Frank et Pierre Chareau. Son style est éclectique comme le sont ses centres d’intérêt. Mais sa patte se retrouve particulièrement dans l’attention extrême qu’il apporte aux détails et à la sophistication de ses projets haut de gamme. Ses fidèles n’ont pas la réputation de lésiner sur les moyens.  » Mes clients sont éduqués, aisés et voyagent beaucoup « , confie ce  » pro « , internationalement reconnu pour l’important investissement personnel qu’il engage dans ses chantiers.  » Une des raisons pour laquelle nous adorons Peter Marino, assure le propriétaire d’un duplex récemment transformé par ses soins, c’est qu’il est capable de saisir immédiatement la structure de l’endroit, de capter précisément nos besoins et objectifs, et de proposer la solution la plus imaginative pour y répondre.  »

L’art superstar

Pour expliquer son travail, Peter Marino parle  » d’une progression de l’historicisme « . Il doit cette vision à un de ses professeurs de l’Université de Cornell, Collin Rowe, qui lui a appris à analyser  » une église baroque à partir de références modernes « . Ce qu’il illustre brillamment dans la boutique Chanel de la rue Cambon à Paris où scintille un portrait de Mademoiselle réalisé à partir de poussière de diamants récupérée chez un polisseur. Au Palazzo du couturier italien Fendi de Rome, inauguré en mai 2005 après une vaste rénovation, Peter Marino a conservé les détails du palais romain pour les intégrer à sa décoration d’intérieur. Ainsi, de larges blocs de pierre pavent l’entrée faisant la jonction entre l’extérieur et l’intérieur. De minces plaques de travertin, un marbre généralement réservé pour le sol, sont coupées selon des lignes ondulantes évoquant les imposantes colonnes des temples romains.

Celui qui rêvait de devenir peintre appréciera d’autant plus que certains lui attribuent, ni plus ni moins, l’initiative d’avoir redéfini l’expérience du luxe moderne et d’élever le shopping au rang d’art. L’art joue d’ailleurs un rôle toujours grandissant dans ses créations. Désormais, en effet, Peter Marino fait appel au talent d’artistes contemporains pour enrichir les sensations vécues dans les boutiques qu’il réalise.  » L’art fait partie du service, martèle la porte-parole de Peter Marino. Ses clients lui font confiance comme architecte mais aussi comme collectionneur.  »

A Hongkong, le mégastore Chanel sur cinq niveaux, terminé fin 2005, concrétise la fusion ultime de l’art et du commerce. Les boules de verre de Murano de Jean-Michel Othoniel jouant les suspensions à partir du plafond évoquent les colliers de perles chers à Coco Chanel. La présence immobile de sculptures d’animaux de François-Xavier Lalanne, comme un cerf dans le département de la joaillerie, confère une vertu apaisante à la chasse à l’objet rare. L’édifice est animé par des images surdimensionnées de Michal Rovner projetées de nuit sur la façade du bâtiment constituée de panneaux illuminés par des diodes électroluminescentes (LED).

L’autre temple Chanel, dans le quartier de Ginza à Tokyo, au Japon, est, de l’aveu de Peter Marino,  » une £uvre majeure, le sommet de ma carrière « . La façade de 10 étages recouverte en fibre optique est une réminiscence du fameux tweed, le tissu de prédilection de Coco Chanel. L’architecte puise également délibérément dans l’héritage du malletier Louis Vuitton pour ses enseignes de Paris, New York et Hongkong. Au plafond et sur les vitrines, il dessine au laser le damier de la marque, et décline ce même symbole en un entrelacs de métal pour le salon VIP Joaillerie sur les Champs-Elysées. Pour le vaisseau amiral parisien de Louis Vuitton, inauguré en 2005, le célèbre artiste américain James Turrell et l’Italienne Vanessa Beecroft ont conçu des installations fondées sur des concepts transversaux à la mode, à l’art et à l’architecture.

Même si la finalité de ces différents projets est avant tout commerciale, cela ne les empêche pas d’être tous uniques.  » Quand Peter Marino crée pour Vuitton, Dior ou Fendi, le résultat n’est jamais le même, car il se teste continuellement « , s’enthousiasme Sidney Toledano. Comme les artistes qu’il commandite, le  » maestro  » aime modifier l’espace de son regard, avec sa pensée. L’art est un véhicule supplémentaire pour réaliser sa vision. Dans sa ville natale, New York, ses bureaux sont l’incarnation de cette quête de la transformation. Du palier à la cafétéria en passant par les cages d’escalier, l’espace ressemble à une galerie d’art en mouvement perpétuel. Gravures, peintures, photographies colonisent les murs. Ailleurs, sculptures, objets, porcelaines, céramiques reposent sur les rebords de fenêtres. Antiquités et meubles design, certains de Peter Marino lui-même, y sont en transit. Dans cet incroyable cabinet de curiosités, tous ces objets attendent que l’architecte multidimensionnel ne leur désigne une destination finale, proche ou lointaine.

Elodie Perrodil

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