Barbara Witkowska Journaliste

Il y est né. Il y aura, désormais, son musée, Museo Picasso Malaga. Ce magnifique projet est l’aboutissement d' » une histoire d’amour  » entre la ville, le peintre de génie, Christine Ruiz Picasso, sa belle-fille et Bernard Ruiz Picasso, son petit-fils.

Dédale d’adorables ruelles, enchevêtrement de façades fleuries et pleines de charme, la vieille ville de Malaga se livre par la rue San Agustin, pomponnée, fraîchement remise à neuf. Les façades ont été repeintes, les balcons en fer bichonnés, les trottoirs lustrés. C’est là que s’affiche une splendide bâtisse en pierres blondes, flanquée d’une porte monumentale : le palais du XVIe siècle des comtes Buenavista, subtilement lifté, exhibe au grand jour ses admirables éléments architectoniques de la Renaissance et du style mudéjar. Cet écrin exceptionnel abritera désormais le Musée Picasso Malaga (MPM), une collection d’£uvres unique au monde, inconnue du grand public, fruit du don généreux de Christine et Bernard Ruiz Picasso, belle-fille et petit-fils du peintre. Inauguré en grande pompe, le 27 octobre dernier, par le roi Juan Carlos et la reine Sophie, ce musée est la concrétisation d’un travail bien long, de la volonté conjointe du public et du privé et d’une grande  » histoire d’amour « . Car si, à l’origine, l’idée était simple et évidente, la mise en place, elle, fut nettement plus complexe et laborieuse

Fils de Maria Picasso Lopez et de José Ruiz Blasco, professeur de dessin à l’école des Beaux-Arts, Pablo naît à Malaga le 25 octobre 1881. Il y passe les dix premières années de son enfance, avant de suivre la famille à Barcelone, puis à La Corogne. Sa ville natale le verra encore quatre fois, lors de séjours éclairs, dont le dernier remonte au 28 janvier 1901. Plus tard, Pablo Picasso (il a adopté définitivement le nom de sa mère, le jugeant plus original) s’établira définitivement en France. Malaga demeure pourtant très chère à son c£ur. Le peintre commence même à caresser le projet d’un musée. Il est prêt à lui offrir ses £uvres. En 1954, son premier fils Paulo (le seul fils  » légitime « ) effectue, en  » éclaireur « , un voyage à Malaga, en compagnie de sa seconde femme Christine.  » A l’époque, le projet n’a pas pu aboutir, car le général Franco considérait l’£uvre de mon beau-père comme dégénérée « , souligne Christine Ruiz Picasso, lors de la conférence de presse qui s’est tenue avant l’ouverture du Musée. Pablo Picasso s’éteint le 8 avril 1973, son fils Paulo disparaît dix-huit mois plus tard. Christine Ruiz Picasso se sent alors  » doublement impliquée  » dans la concrétisation du projet de ce musée qui tenait tellement à c£ur tant au père et qu’au fils.

Dans les années 1990, sous son impulsion, deux importantes expositions sont organisées à Malaga. En 1992,  » Picasso Classico  » dévoile, pour la première fois, des £uvres détenues par les membres de la famille. En 1994, Christine Ruiz Picasso puise dans sa collection personnelle pour mettre sur pied l’exposition Picasso. Premier regard.  » Il y avait une telle joie populaire, une telle ferveur, lors de ces deux expositions, que je me suis sentie obligée d’honorer la mémoire pour mon beau-père dans cette ville « , note-t-elle. A partir de ce moment-là, l’idée d’une présence concrète de l’£uvre de Picasso à Malaga put être réellement envisagée. D’autant plus que Christine reçut le soutien inconditionnel de son fils Bernard, et de la Junta de Andalucia (le gouvernement d’Andalousie), enthousiasmée par le projet. Elle mettra à disposition, pour commencer, un espace prestigieux, digne d’une vraie donation : le palais Buenavista, déclaré monument national, admirablement situé au c£ur du centre historique de Malaga. Un écrin idéal pour l’£uvre de Picasso.

Rapidement, les nombreuses salles du palais se révèlent largement insuffisantes pour accueillir le grand nombre d’£uvres : 204 peintures à l’huile, ainsi que de nombreux dessins, sculptures, gravures et céramiques. Sans oublier toutes les installations, aujourd’hui incontournables dans tout musée moderne : salles d’expositions temporaires, bibliothèque, service de documentation, auditorium, centre éducatif, atelier de restauration, enfin, librairie et boutique. Il a donc fallu prévoir des agrandissements. L’ensemble du projet (rénovation du palais et les extensions) a été confié à l’architecte américain Richard Gluckman, auteur, notamment du Musée Guggenheim à New York. Gluckman connaît bien Malaga et… l’£uvre de Picasso. C’est en effet lui qui a été chargé de la rénovation du palais épiscopal où s’est tenue, en 1992, l’exposition  » Picasso Classico « . Son intervention actuelle est admirable et exemplaire. Gluckman a imaginé une architecture simple et discrète, symétrique et géométrique, inspirée du… cubisme. La symbiose entre la partie historique et les structures contemporaines est fluide, remarquablement réussie. L’architecte a respecté la demande de Christine Ruiz Picasso de ne pas se montrer  » flamboyant « , ne pas étouffer l’£uvre de Picasso et de la faire vivre au contraire. Les espaces intérieurs, purs, lisses et judicieusement éclairés, mettent admirablement en valeur les accrochages aériens et limpides. Dans les nouvelles constructions, la lumière naturelle est tamisée par une toile high-tech utilisée aux Etats-Unis dans la construction des bateaux. Le système de climatisation, silencieux, est parfaitement occulté, pour ne pas distraire l’attention des visiteurs. Les travaux d’agrandissement ont permis aussi d’endiguer la dégradation de la trame urbaine médiévale et ont permis de découvrir, dans les sous-sols du palais Buenavista d’importants vestiges phéniciens et mauresques. Conservés et judicieusement intégrés à l’édifice, ils font également partie de la visite.

La collection

Douze salles du palais Buenavista accueillent la collection permanente du musée. Les tableaux racontent admirablement les différentes pério-des et techniques de Picasso. Les £uvres inconnues du grand public proviennent de collections privées quasi jamais exposées. On admire  » Femme à la mantille « , une huile sur toile datant de 1894. Picasso n’a que 13 ans ! Quelques beaux exemples des périodes bleue et rose préfigurent un mouvement qui va révolutionner la peinture : le cubisme. La perspective,  » inventée  » à la Renaissance, vole en éclats. Picasso invente un nouvel espace, paradoxal, où s’entrechoquent instruments de musique, objets, bouteilles et figures humaines. Après la parenthèse cubiste, Picasso revient à des langages plus traditionnels. On assiste alors au défilé de toutes les femmes qu’il a aimées. Il y a de splendides huiles, dessins et bronzes de Fernande Olivier, Olga Kokhlova, Marie-Thérèse Walter, Dora Maar, Françoise Gilot et Jacqueline Roque. C’est, en quelque sorte, le  » musée de la famille « , réunissant des £uvres qui ont toujours appartenu à ses membres et qui illustrent parfaitement la définition de l’art, telle que le peintre l’a livrée un jour à l’un de ses amis les plus proches, le poète Paul Eluard :  » L’art ne consiste pas à « représenter » le monde mais à établir avec lui un étroit dialogue où l’artiste et le monde finissent par ne faire qu’un.  »

Barbara Witkowska

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