Gare, mesdames: cet été, vous pourriez (re)devenir la proie des play-boys. Avec leur jolie gueule, leur belle bagnole, leur bagout, leur bourse bien garnie et leur brillante garde-robe, les  » viveurs  » du XXIe siècle sont très à la mode.

Sourire carnassier, dégaine de fauve dompté, en apparence, par d’impeccables atours, (bon) goût pour les matières raffinées, les méga-motifs et les tons percutants, bronzage à vie jumelé aux indispensables lunettes solaires, pectoraux parfaits (comme le reste d’ailleurs), chevelure luxuriante et, parfois, barbe de deux jours savamment négligée, bijouterie de macho (gourmettes, grosses bagues, précieuse boucle de ceinture, etc.) à l’allure contrôlée, sens de l’accessoire  » qui tue  » comme le foulard de soie noué autour du cou ou la cravate en dentelle très Mick Jagger durant les Swinging Sixties… Les play-boys sont de retour, du moins sur les catwalks de l’été 2001.

Chez Versace, les beaux messieurs font assaut d’élégance flashy, arborant une chemise bariolée à souhait et ouverte jusqu’à l’orée du nombril ou des costumes si chatoyants qu’ils dameraient le pion au plus orgueilleux des paons. Ce souci de ne pas passer inaperçu se remarque également chez Iceberg, Roberto Cavalli, chez Jean Paul Gaultier, Gianfranco Ferré, Yohji Yamamoto, Louis Vuitton par Marc Jacobs, Dolce & Gabbana où les broderies fastueuses épinglent le charmeur du printemps prochain et chez Sonia Rykiel où les coloris vifs, les coupes moulantes et les textures satinées mettent en exergue un joli garçon qui redéfinit les bases de l’éternel masculin.  » En matière de canon de beauté, c’est la même chose que pour les femmes: beaucoup de cheveux, une poitrine avantageuse, un ventre plat et de longues jambes, note le sociologue Jean-Michel Ronse. En d’autres termes, ces « gravures de mode » flirtent plus avec l’androgynie qu’avec l’hyper-masculinité.  » Preuve qu’une fois de plus, les créateurs de lignes masculines jouent sur l’ambiguïté des genres, même s’il s’agit d’illustrer un style vu, de prime abord, comme fortement sexué.

Puisés à l’envi dans le vestiaire des années 1960 et 1970, les blousons courts et zippés à larges bords côtes, pantalons taille basse parachevés par des pattes d’éph’, chemises à  » effets de manches  » c’est-à-dire abondance de dentelle, ruchés, plissés et imprimés particulièrement impressionnants, tee-shirt plus que collants, shorts ajustés ou pantacourts que prolongent une mule ou une élégante sandale de plage, maille fine et luxueuse que l’on croirait sculptée pour un torse d’éphèbe…

Toute cette panoplie évoque, en rafale, le jeune Johnny au début des années 1960, le  » bellissimo ragazzo  » à la Vittorio Gassman, le superbe amerloque sportif et bronzé façon John Kennedy et George Hamilton, le frenchie sexy genre Alain Delon dans  » La Piscine  » et  » Plein Soleil  » ou encore le séducteur aux tempes argentées qui inspire, notamment, la très smart ligne  » Baldessarini  » d’Hugo Boss. Sans oublier les réminiscences longilignes du Jacques Dutronc de  » J’aime les filles  » dont la nonchalance contrôlée à coup de pull à col roulé, foulard de soie et costume plus ou moins étriqué resurgit à travers les créations de Salvatore Ferragamo, Olivier Strelli, Prada, Jean-Charles de Castelbajac, Paul Smith, voire Xavier Delcour qui s’adresse aux dandys du bout de la nuit.  » Les hommes sont devenus des objets sexuels « , affirme Tom Ford qui s’est, lui aussi, inspiré d’un riche play-boy en Aston Martin pour sa collection Gucci hommes de cet été. Quant à Giorgio Armani, il déclarait, à l’issue de ses défilés masculins ( NDLR: sa ligne éponyme et sa ligne bis, Emporio Armani), souhaiter rendre suffisamment sensuel un homme sur le podium pour que les femmes aient envie de coucher avec lui (1).

 » Ce phénomène, enchaîne Jean-Michel Ronse, peut s’expliquer, primo, par une évolution de la consommation en général et secundo, par une évolution de la mode. Le comportement du play-boy, en matière de consommation de produits, montre qu’il cherche à se valoriser, à montrer qu’il a les moyens de s’offrir un costume sur mesure et, donc, à affirmer son statut avec ostentation. L’ostentatoire est inséparable de l’image du play-boy; il veut briller de mille feux et simultanément, il veut qu’on l’aime ou plutôt, qu’on aime le statut social et le standing auxquels il aspire. La mode devient, pour lui, un élément de pression sociale, de différenciation d’avec autrui, qui permet une totale affirmation de soi. « 

Jean-Michel Ronse pointe encore l’évolution radicale du rapport homme-femme:  » La femme veut qu’on lui reconnaisse les mêmes droits qu’à l’homme mais, à présent et au-delà du combat féministe, elle veut aussi qu’on la reconnaisse en tant que personne sexuée et séduisante. Elle éprouve à nouveau le besoin de plaire, de montrer qu’elle est jolie, d’affirmer sa féminité. Face à ces revendications, l’homme va un tantinet se féminiser au travers de vêtements plus colorés, plus voyants et dans lesquels il se sent bien, qualité et raffinement des matières obligent. Bref, il va d’abord se plaire à lui-même avant de chercher à plaire au beau sexe. « 

Plaire afin de se plaire… telle est la vocation, narcissique en diable, du play-boy défini, par le dictionnaire, comme  » un (jeune) homme élégant, riche, séducteur et menant une vie oisive et facile « . La traduction française de  » play-boy « ,  » viveur « , est d’ailleurs éloquente. En digne descendant de Casanova, le play-boy est un jouisseur effréné, adepte du  » carpe diem amoureux « , séducteur sans scrupule et qui place ses émotions tantôt dans sa culotte et tantôt dans son carnet de chèques. Bref, il adore consommer et brûler très très vite ce qu’il a adoré; nanas, voitures de luxe, vêtements siglés, villas avec piscine et tout ce qui  » en jette « .

Jamais rassasié, cet affamé du beau sexe collectionne les jolies filles plutôt que les femmes riches qu’il laisse à son jeune  » collègue « , le gigolo. Car le play-boy a rarement la goutte de lait au menton: il s’agit d’un homme mûr, entre la quarantaine et la soixantaine séduisante, et qui parvient à conserver son savoir-vivre tout en sachant manier et ramage et plumage. Savoir-vivre, certes mais pas savoir-aimer: bel oiseau volage, le play-boy garde mieux le lit que le nid. Et quand il veut se fixer, l’aventure tourne court la plupart du temps. Regardez Gunther Sachs et Brigitte Bardot, Marcello Mastroianni et Catherine Deneuve, Alain Delon et Mireille Darc, Caroline de Monaco et Philippe Junot – sans parler de Stéphanie et de son plaisant poissonnier -, Richard Gere et Cindy Crawford… Les compagnes de ces sémillants personnages étaient exceptionnelles et, pourtant, aucune des unions précitées n’a tenu la route.

Idem avec la jeune génération des (trop) jolis garçons: Leonardo DiCaprio et Gwyneth Paltrow? Patatras. Et si la ravissante top model Gisèle Bündchen, dernière conquête en date du beau Leo, vante la gentillesse, la douceur et l’intelligence de celui-ci, Dieu seul sait combien de temps encore la colombe roucoulera sur le même ton. Brad Pitt et Jennifer Aniston? Y a de l’eau dans le gaz. Marcus Schenkenberg et Pamela Anderson? Ils font semblant de se désirer à travers une vitre dans la très hot campagne de pub du label italien Iceberg mais, en réalité, Pam a envoyé paître son Apollon des podiums. Même James Bond, prince des play-boys et spécialiste de redressement des situations quasi désespérées, n’arrive pas à tirer son épingle du jeu. Tenez, la seule fois où l’agent 007 est vraiment épris d’une charmante, Diana Riggs dans  » Au Service secret de sa Majesté  » pour être précis, celle-ci se fait dessouder à la fin de l’épisode.

Dur dur d’être un homme couvert de femmes? Bah, il existe bien pire comme situation. D’ailleurs, le reste de la gent masculine pratique davantage la jalousie que la compassion à l’égard des play-boys. Jacques Brel ne voulait-il pas, dans sa chanson  » Jacky « ,  » être une heure, une heure seulement, beau et con à la fois « ? Et lorsque Jacques Dutronc se gausse de leur carrure d’athlète dans  » Les Play-Boys « , il avoue cependant, dans ses récentes  » Pensées et répliques  » (2), n’avoir jamais su rester le chéri d’une seule dame.

Le play-boy a beau susciter le sourire, la raillerie ou l’énervement, il a quand même subjugué des générations de femmes et, sous certains angles de marketing, il continue à le faire. Témoin la blonde craquante de la pub Martini prête, pour un regard de  » killer  » sous lunettes noires, à laisser choir le richissime papy qui l’entretient, et même à perdre sa robe en tricot sous laquelle, de toute manière, elle était déjà nue et offerte. Témoin, encore, les sages secrétaires du clip  » Coca-Cola Light  » qui n’hésiteraient pas à tromper mari ou compagnon pour la plastique irréprochable et le dédain rieur d’un livreur de limonades… Fantasmes télévisuels, certes, mais cadre parfait pour un homme qui adore faire son cinéma.

(1) in:  » Le Figaro  » du 22 janvier 2001.

(2)  » Pensées et répliques « , par Jacques Dutronc, éditions du Cherche-Midi.

Marianne Hublet

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