À grands traits d’encre rapides, l’artiste parisien Gotscho calligraphie ses projets. Qui se transforment en photos décalées, en court-métrages ou en subtiles installations coups de poing. Avec lui, l’art et la mode ne font plus qu’un. Portrait/Portfolio en creux.

« Smoking noir, crâne et dos « . Voici Gotscho (1945, Paris), artiste français basé à Gentilly, en deux traits d’encre noire et auto-description sans dérision. Juste une lueur amusée au fond de l’£il, bleu, pour expliquer ce dessin préparatoire à un projet d’autoportrait photogénique. Il imagine très distinctement le résultat – deux clichés de lui, de dos, qui se chevauchent comme s’il se dédoublait, mais un peu bancal – des moitiés de silhouette qui s’imbriquent mal,  » comme un Picasso, pourtant extrêmement élégant  » ; le fond serait doré à la feuille d’or,  » évidemment « , et, dans l’angle mort, il y aurait un flot de dentelle qui partirait rejoindre une porte-fenêtre, ce seraient des rideaux formant une boucle et dans le coin, lui  » puni « , qui tourne le dos à la pièce  » alors que la fenêtre est ouverte et épanouie « . Tout est là, de ses obsessions, de ses révoltes, de son narcissisme, de l’absence questionnée, de la tristesse rémanente, de l’impossible grâce de durer.

CORPS ACCORDS

Les débuts, puisqu’il en faut bien : ce jour de 1989 quand le galeriste parisien Gilles Dusein (1959-1993) jette un £il sur les dessins de Gotscho. Question :  » Qu’est-ce que c’est ? « , réponse :  » Tu vois bien, c’est une robe capitonnée sur un petit pouf.  » Et de le lui expliquer  » vaguement « , parce qu’il n’a alors pas encore  » intellectualisé  » le projet.  » Je n’ai pas commencé à raconter l’histoire – une femme portait une robe, l’a jetée là, il s’est passé quelque chose entre le pouf et la robe, le capiton s’est mis en marche et puis Rita Hayworth est dans la salle de bains et elle disparaît, on ne sait pas où elle est mais sa robe est toujours sur le pouf… « 

Depuis, son travail sur les parures du corps et les ornementations du décor, ses photos habillées, ses installations décalées, ses mises en scène affranchies des frontières de l’art et de la mode ont été vues, notamment, à la Biennale de Venise, au Musée des Arts asiatiques de Nice, chez Barney’s à New York, au Grand Palais et dans les vitrines de Christian Dior à Paris. Gotscho n’a cessé d’arpenter les mêmes territoires, en jouant les Invisible Jim et les tenants de la perfection. Que son intervention se devine le moins possible, sur des robes qu’il n’a pas créées, des vêtements qu’il n’a pas façonnés, des meubles qu’il n’a pas construits – le mystère et l’insaisissable comme compagnons d’arme. Où sont donc ces corps qui prirent ainsi la fuite ? Il y a douze ans déjà, alors qu’il préparait une expo aux États-Unis, laquelle ne vit jamais le jour, il eut sous les yeux des photos datant de la Seconde Guerre mondiale du Musée du Jeu de Paume transformé en garde-meubles des nazis.  » J’étais confondu, j’ai vu les vêtements, les manteaux de fourrures, les robes du soir, les sacs en alligator, les bijoux ; j’ai vu les meubles précieux, les peintures, les rideaux, les lustres… Tout était là à foison et il n’y avait personne. Il y avait là, peut-être aussi à cause de l’arrière-plan humain et politique, il y avait tout mon vocabulaire, cela m’a sauté à la gueule.  » Le même effet, à regarder ses £uvres en deux dimensions, format magazine. La beauté résiste.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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