Les intérieurs du siècle nouveau font la nique aux tons éteints et aux lignes strictes des années 1990. Au menu: couleurs éclatantes et rondeurs sensuelles tout droit sorties des années pop.

Depuis l’été 2000, les catwalks de Paris, Milan et New York sont envahis par des créatures filiformes arborant des tenues subtilement inspirées des années 1960. Du coup, tant les ados que leurs parents (re)découvrent avec enthousiasme ces vêtements bigarrés que n’auraient pas reniés les plus grands stylistes des années pop tels que Mary Quant, Roberto Cavalli, André Courrèges, Paco Rabanne ou encore Pierre Cardin. Ce vent de folie douce souffle également sur nos intérieurs. Le rouge, l’orange, le vert vif et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel donnent désormais le ton. Les fameux fauteuils Sacco de Zanotta, les armoires en plastique signées Kartell, les tapis à longs poils et même les papiers peints à motifs psychédéliques font leur grand retour dans les showrooms des magasins de meubles et de design.

 » La couleur est une réponse simple à un besoin profond d’être en décalage avec les rythmes difficiles et le sérieux que nous impose la vie active, explique Bénédicte Vermerie du bureau de style Nelli Rodi (1). Aujourd’hui, on constate une forte attirance pour ce qui peut égayer le quotidien, la couleur entre d’ailleurs beaucoup plus dans la maison et y met de la bonne humeur.  » Une philosophie de la décoration que partageaient déjà les plus grands designers de la génération pop. Dès le début des années 1960, ils commencent à dessiner des objets ludiques aux coloris survitaminés destinés à être produits en masse. Parallèlement, cette période voit l’avènement du vieillissement programmé des biens de consommation. On acquiert désormais ses meubles comme on s’achèterait une simple paire de chaussures et on n’hésite pas à s’en défaire pour les remplacer, sans remords, par d’autres, plus tendances.

Le fauteuil Blow, conçu en 1967 par Jonathan De Pas, Donato D’Urbino, Paolo Lomazzi et Carla Scolari pour Zanotta, constitue un exemple marquant de cette véritable culture de l’éphémère. Il s’agit du premier siège gonflable à pénétrer dans les intérieurs des mordus de design. Aussi vite gonflé que dégonflé, il se déplace sans peine et s’installe tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Une véritable révolution qui marque le déclin des meubles lourds et encombrants que l’on garde pour la vie. Etonnamment, malgré l’effet rebond et le contact plutôt crissant de l’enveloppe en plastique, les sièges gonflables actuels, très inspirés de Blow, se vendent comme des petits pains. « Remis en production en 1999, Blow a toujours une longueur d’avance sur ses concurrents, précise Natasha Mis, administrateur d’Artiscope, l’agent Zanotta pour la Belgique. A l’origine, ce fauteuil gonflable a en effet été conçu pour être utilisé dans une piscine et sa partie inférieure, composée de deux voiles de polychlorure de vinyle, capture l’eau afin d’assurer la stabilité du siège. « 

Si les décennies passées constituent une source d’inspiration inépuisable pour les designers actuels, les pièces originales des grands créateurs des années 1960 continuent à remporter un franc succès. Chez B&B Italia, par exemple, on réédite la série de sièges Up dessinés par Gaetano Pesce en 1969. Résolument novateurs pour l’époque, ces fauteuils et canapés entièrement réalisés en mousse de polyuréthane se passent de structure rigide et leur installation vire au véritable  » happening « . En effet, les sièges Up sont compressés avant d’être conditionnés sous vide dans une enveloppe en vinyle. Il suffit de l’ouvrir pour que l’air pénètre dans les bulles de polyuréthane et que le fauteuil se déploie.  » Malheureusement, en 1973, nous avons dû interrompre la production des modèles Up, explique Fiorella Villa, l’attachée de presse de B&B Italia à Milan. En effet, la législation en vigueur en matière de préservation de l’environnement interdisait l’utilisation du fréon permettant au polyuréthane de se gonfler d’air lorsqu’on le sort de son emballage. Actuellement, à la demande du public, nous rééditons ces sièges sous le nom de Up 2000 mais ils sont livrés grandeur nature. Nos ingénieurs planchent néanmoins sur la mise au point d’une nouvelle formule chimique afin de reproduire le fameux effet blow-up.  »

Autre grand nom du design des années 1960, le Français Pierre Paulin est en passe de devenir l’idole des adeptes de la branchitude mobilière. L’année passée, le géant du meuble Habitat n’a pas hésité à rééditer Amphis, son canapé modulable qui évoque les formes sensuelles et ondoyantes d’un serpent. Le succès de son fauteuil Langue, tout en courbes tendues de tissu uni ou à motifs psychédéliques, ne s’est jamais démenti au cours du temps et la demande est d’ailleurs en hausse constante. « Certains fauteuils dessinés par Pierre Paulin sont devenus de véritables classiques du design, confirme Monique Beaumont, Marketing Director chez Artifort, la société néerlandaise qui diffuse les créations de Pierre Paulin dans le monde entier. Depuis deux ans, nous constatons cependant un net regain d’intérêt pour les modèles aux formes rondes et sculpturales recouverts de tissus aux couleurs franches. En outre, comme de nombreuses personnes s’adressent à nous pour regarnir les sièges qu’ils ont acquis dans les années 1960, nous avons remis en production certains modèles tombés dans l’oubli. « 

Le Danois Werner Panton, autre pape de l’extravagance typiquement sixties, fait également partie de ces créateurs qui rencontrent les faveurs des quinquas nostalgiques et des jeunes avides d’originalité. Sa chaise PA 100, en forme de S, a été le premier siège monocoque en fibre de verre à être produit en grande série. Depuis 1968, date de sa commercialisation, et jusqu’à nos jours, sa production n’a jamais été interrompue. Elle a cependant connu les phases successives de l’évolution du plastique et se décline actuellement en polypropylène teinté dans la masse.

Du côté des accessoires, la fantaisie n’est pas en reste non plus. Les éclairages halogènes à la lumière crue et aveuglante, qui ont fait les beaux jours des années 1980 et 1990, cèdent la place aux bonnes vieilles ampoules à incandescence solidement vissées dans le soquet des lampes millésimées 1960. Proche de la sculpture, le lampadaire Arco d’Achille et Pier Giacomo Castiglioni connaît à nouveau un franc succès. Composé d’un socle en marbre rectangulaire, d’une tige en acier inoxydable et d’un abat-jour en aluminium en forme de casque, il permet d’éclairer une salle à manger ou un coin salon sans devoir installer de lustre ou de suspension. Très prisée également, la petite lampe de table Eclipse, dessinée en 1965 par Vico Magistretti, fait référence à la conquête de l’espace. Elle doit son nom à sa forme sphérique et à son hémisphère intérieur pivotant qui permet d’occulter l’ampoule en fonction de la quantité de lumière que l’on souhaite diffuser.

Si une grande partie de ces véritables chefs-d’oeuvre de la  » pop generation  » sont toujours édités, certains objets ont malheureusement disparu du catalogue des fabricants. En effet, tout le monde ne souhaite pas se plonger dans la douce nostalgie des années 1960. Les véritables passionnés, eux, écument les boutiques d’antiquité à la recherche d’objets cultes comme le cendrier Spyros d’Eleanore Feduzzi Riva (1969) ou la lampe KD 27 de Joe Colombo qui évoque les formes d’une soucoupe volante (1967). Eh oui, revivre la folie des sixties implique aussi une bonne dose de patience et d’investigation.

(1) Fashion Daily News du 5 janvier 2001.

Serge Lvoff.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content