Après avoir ouvert deux boutiques emblématiques et un restaurant, Ralph Lauren devient mécène de la restauration de l’amphithéâtre d’honneur du palais des Etudes, au coeur des beaux-arts, également à Paris. Un amour de la capitale française qu’il ne dément pas, en compagnie de Nicolas Bourriaud, directeur de cette école légendaire.

Paris, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?

Ralph Lauren : Au début, Paris était pour moi un lieu romantique que je regardais dans des films, lorsque j’étais jeune. Et puis, il y a près de quarante ans, j’y suis venu avec un ami. Nous nous sommes promenés dans les rues, j’avais du mal à réaliser que j’étais réellement là. Je suis allé à l’Arc de triomphe, et je l’ai touché pour être sûr que c’était bien réel ! Après tout ce temps, la ville n’est plus un rêve. C’est une vraie part de moi.

Deux boutiques, un restaurant, une expo de voitures aux Arts décoratifs… Vous êtes devenu un Américain à Paris ?

Ralph Lauren : Je ne sais pas si j’aurais pu danser comme Gene Kelly le fit dans ce merveilleux film, mais j’aime l’idée qu’on puisse penser de moi que j’en suis un. Je ne fais pas semblant d’être français, je suis juste heureux de partager un certain état d’esprit et une façon de vivre à l’américaine, à travers mes collections, ou un bon hamburger-frites dans mon restaurant.

Quel est le point de départ de ce mécénat concernant l’Ecole des beaux-arts ?

Nicolas Bourriaud : C’est arrivé de manière naturelle. Il y avait de la part de monsieur Ralph Lauren un désir très fort de s’implanter à Paris, soit, mais aussi de s’y investir plus personnellement. L’Ecole des beaux-arts est une institution symbolique et majeure de Saint-Germain-des-Prés. Elle incarne un esprit de notre capitale : l’école telle que vous la voyez aujourd’hui existe depuis plus de deux siècles. L’amphithéâtre d’honneur, perle d’architecture construite en 1840, a été peu rénové depuis. Il s’agit de le consolider dans ses infrastructures, mais également de l’équiper en domotique aux standards de ce siècle.

Ralph Lauren : Je connaissais la réputation de l’école, et j’étais curieux de la visiter, surtout depuis que nous sommes voisins dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Quand j’y suis allé, j’ai tout de suite aimé ce que j’ai vu. J’ai pu aussi apprécier la passion qui anime tous ces gens, ce désir de vouloir préserver cet endroit dans le respect de la plus pure tradition. Cela m’a donné envie de soutenir leurs efforts, en m’engageant dans la restauration de l’amphithéâtre d’honneur et dans la modernisation des équipements.

La marque Ralph Lauren a toujours manifesté de l’intérêt pour la jeunesse, notamment dans sa communication. Est-ce aujourd’hui l’occasion de soutenir l’enseignement artistique ?

Ralph Lauren : Je suis père de deux garçons et d’une fille. Je me suis toujours senti très concerné par leur avenir et, par extension, par celui des jeunes générations. Donc, oui, mon engagement auprès de l’Ecole des beaux-arts est aussi un engagement auprès de ses étudiants en art, ceux d’aujourd’hui, et ceux à venir. Concrètement, cet échange franco-américain prendra la forme de nouveaux cours sur l’art et la mode.

Nicolas Bourriaud : Nous évoquons effectivement la possibilité de créer des programmes post-master hyperspécialisés en liant une discipline comme la mode ou le design aux enjeux de l’art contemporain. De proposer aussi des conférences prestigieuses et des rencontres, notamment avec des artistes américains.

Avec Internet, cette jeunesse n’a plus vraiment de frontières aujourd’hui…

Nicolas Bourriaud : Oui, elle s’affranchit de nombreuses barrières, et n’hésite pas à établir facilement des ponts, autant avec l’art que la mode, par exemple. Ces activités produisent des signes de l’époque. La mode est un art de l’air du temps et ses antennes sont probablement les plus sensibles et les plus à l’écoute des bouleversements de notre monde. L’art influence la mode dans ses contenus et ses formes tandis que la mode inspire l’art dans ses protocoles et dans sa sociabilité. Beaucoup d’artistes aujourd’hui travaillent en ayant incorporé certaines de ses notions : les vernissages sont des événements qui tiennent souvent du défilé de haute couture, tandis que les artistes produisent des objets ou des signes qui relèvent davantage du prêt-à-porter.

Le château de Versailles a été en grande partie restauré grâce à des fonds américains. Est-ce pour cette nation encore jeune un moyen de s’approprier une partie de la grande Histoire, celle de la France, bien plus vieille ?

Ralph Lauren : Les Américains ont toujours fait partie de l’histoire de France et d’Europe, et vice-versa. J’adore lire les histoires de Thomas Jefferson lorsqu’il vivait à Paris, de voir à quel point il a été inspiré par sa culture. Cela lui a pris des mois pour voyager et arriver jusqu’à Paris. De nos jours, nous ne sommes qu’à quelques heures d’avion. Notre monde est devenu de plus en plus petit. Il est de notre devoir de préserver sa richesse culturelle pour les générations futures.

Vos vêtements et vos collections parlent d’héritage et d’un certain style de vie. Ce mécénat avec les beaux-arts convoque aussi l’idée de protéger un patrimoine…

Ralph Lauren : J’aime les choses qui ont une histoire. Les objets qui ont été portés, altérés par le temps – les vieilles voitures, un jeans rapiécé ou un chapeau de cow-boy… Ils expriment une beauté qui vient non seulement de leur fonctionnalité, mais aussi d’une certaine intégrité. L’Ecole des beaux-arts fait partie de l’histoire culturelle vivante de la France. Fondée en 1796, elle continue à enseigner et inspire toujours les artistes.

Nicolas Bourriaud : Je crois que nous n’avons jamais été autant en contact avec l’Histoire. Regardez ce que vous lisez, ce que vous regardez sur Internet : le passé est proche. Pourtant, la distance entre le signal et ce que nous recevons – une peinture du XVIe siècle par exemple – est parfois immense. Un peu comme si nous observions une constellation avec des étoiles mortes, mais toujours visibles pour nous. L’époque est caractérisée par cette sensation-là : on vit dans une  » hétérochronie « , un mélange permanent de temporalités…

Quels films et artistes français appréciez-vous le plus?

Ralph Lauren :Un homme et une femme de Claude Lelouch. Ce film contient tout ce que j’aime – une extraordinaire histoire d’amour et une sublime voiture. Question art, j’aime tous les impressionnistes. Et, dans un autre style, j’adore Matisse.

Nicolas Bourriaud : Midnight in Paris ! Grâce à notre connaissance visuelle aiguë, il y a complémentarité des univers : on peut rêver des montagnes du Colorado sous l’Arc de triomphe, et inversement. Voilà notre époque.

PAR FABRICE PAINEAU

 » La mode est un art de l’air du temps et ses antennes sont probablement les plus sensibles et les plus à l’écoute des bouleversements de notre monde.  »

 » Notre monde est devenu de plus en plus petit. Il est de notre devoir de préserver sa richesse culturelle pour les générations futures.  »

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