A 28 ans, la petite protégée de David Cronenberg est le nouveau visage du maquillage Giorgio Armani. A l’écran, elle incarne la princesse Elisabeth, pas encore montée sur le trône d’Angleterre, un soir de fin de guerre.

Au cinéma, commencer (très) jeune n’est pas toujours une garantie de succès sur la durée. Certains destins se crashent violemment dans les pages racoleuses de la presse people. D’autres se construisent en douceur, à coups de choix déterminés et de travail acharné. A 28 ans, Sarah Gadon a déjà une sacrée carrière derrière elle. D’abord apprentie danseuse étoile, elle se tourne ensuite vers les plateaux de télévision avant d’être remarquée en 2011 par David Cronenberg, avec qui elle enchaînera trois longs-métrages d’emblée. En pleine promotion du dernier film de Julian Jarrold, A Royal Night Out – montré au dernier Film Fest Gent, il raconte la nuit de folie du V-Day, à Londres, vécue par les princesses Elisabeth et Margaret autorisées à sortir en ville pour fêter la Libération -, dans lequel elle tient le premier rôle, l’actrice canadienne est aussi devenue cette année la nouvelle ambassadrice de Giorgio Armani Beauty. Conviée le 30 avril dernier au défilé tribut des 40 ans de l’empire italien de la mode, elle tenait son rang, au milieu des stars, visiblement ravie d’être de cette fête inoubliable. Pas blasée pour un sou, la jolie blonde au teint de poupée s’est prêtée, tout sourire, au jeu de l’interview.

Vous n’aviez que 10 ans quand vous avez tourné pour la première fois dans un épisode de la série La Femme Nikita. Qu’est-ce qui vous a donné envie, si jeune, de faire ce métier ?

A l’origine, je rêvais d’être danseuse. J’avais 7 ans quand j’ai intégré le programme junior de la National Ballet School of Canada et j’ai participé à l’une de leurs productions de Casse-Noisette. Je me souviens encore de chaque étape du processus créatif et surtout à quel point déjà j’adorais cela : les auditions, les essayages de costumes, les répétitions, même l’attente en coulisses où l’on regarde les autres danseurs sur scène avant d’y grimper soi-même, voir la salle noire de monde et ressentir le sursaut d’énergie que cela génère ! Je suis tombée amoureuse de cette sensation. J’ai tout de suite aimé le caractère collectif de ce travail, le sentiment d’appartenir à une communauté créative lorsqu’on tourne un film ou que l’on monte un spectacle.

Continuez-vous toujours à danser ?

Oui, aussi régulièrement que possible mais certainement pas autant que je le voudrais. Je prends un cours de danse contemporaine dès que l’occasion se présente, j’essaye en tout cas de bouger tous les jours car le mouvement est très important pour moi.

Sur le tournage du film A Royal Night Out, vous avez travaillé avec le chef opérateur belge Christophe Beaucarne. C’était comment ?

Oh ! Christophe, je l’adore ! Dès que j’ai su qu’il serait de l’aventure, je me suis dit :  » Yes !  » J’avais vu ce qu’il avait fait sur le film Coco avant Chanel d’Anne Fontaine et les images étaient tout simplement magnifiques. A Royal Night Out raconte l’histoire des princesses Elisabeth et Margaret qui échappent à la sécurité du palais pour sortir faire la fête incognito avec les Londoniens le soir de la Libération. Ce n’était pas une grosse production mais Christophe a su tirer le maximum des ressources qui étaient à notre disposition. Sa mise en lumière était si douce, si féminine. Je garde un souvenir très agréable de tout le tournage. Très émouvant aussi, car mes grands-parents paternels ont tous les deux combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, elle en tant qu’auxiliaire dans l’aviation, lui dans la British Navy. Je sais qu’ils ont passé cette nuit-là sur Trafalgar Square. C’était très intense de recréer sur place ce petit morceau d’histoire.

Lorsqu’on regarde votre filmographie, vous tournez beaucoup tout en faisant des choix très sélectifs. Qu’est-ce qui vous pousse à dire oui ou non ?

J’ai étudié le cinéma à l’université de Toronto, ce qui explique sans doute l’approche assez dogmatique qui peut être la mienne par rapport aux réalisateurs, notamment. C’est toujours ce qui va primer chez moi. C’est pour cela par exemple que j’aime travailler avec David Cronenberg. Contribuer, à ma mesure, à son oeuvre. Faire partie de l’héritage que laissera un jour un cinéaste, c’est une idée qui m’est très chère. A côté de cela, certains projets qu’on me propose me touchent personnellement plus que d’autres, je ne fais bien sûr pas abstraction de la connexion qui peut me relier à un scénario.

Est-ce qu’il y a une  » méthode Cronenberg  » ?

C’est un réalisateur très chirurgical, très porté sur les détails, focalisé sur le script : il n’aime pas travailler à l’impro, il veut que l’on suive exactement ce qui se trouve sur les pages du scénario. Il fait très peu de prises – parfois deux et c’est tout – car il sait déjà précisément pendant le tournage comment il va monter le film. Au début, c’était un peu stressant mais à l’inverse, c’est plutôt réconfortant une fois que l’on sait à quoi s’attendre.

En quoi le fait d’avoir démarré votre carrière à la télévision vous a-t-il aidé lorsque vous êtes passée au cinéma ?

C’était une chance unique pour moi de pouvoir commencer à travailler aussi jeune – Toronto est un haut lieu de production de séries télévisées – et de découvrir toutes les techniques de tournage sur le vif. Cela m’a appris à travailler dur, vite, car en télévision les horaires sont très serrés. On n’a pas non plus toujours le luxe de se chercher, d’explorer plusieurs facettes de son personnage comme on peut le faire au cinéma. Je ne vous apprends rien si je vous dis que l’on ose aussi plus de choses en télévision, les scénaristes ont davantage de pouvoir. Je suis d’ailleurs en train de tourner aux côtés de James Franco dans une toute nouvelle série qui s’appelle 11.22.63 (NDLR : en référence à la date de l’assassinat de Kennedy, qu’un jeune professeur d’anglais capable de remonter le temps va tenter d’empêcher), dont l’écriture est extrêmement vibrante.

On vous a beaucoup vue jusqu’ici dans des films d’époque. C’est un genre qui vous plaît plus particulièrement ?

C’est vrai que j’en ai tourné beaucoup mais je n’irais pas jusqu’à dire que je recherche activement ce genre de films. Toutefois, je sais qu’une de mes forces c’est de pouvoir véritablement me transformer d’un rôle à l’autre, de me perdre dans le temps et dans le personnage.

Est-ce que, enfant déjà, vous aimiez vous déguiser ? Rêviez-vous de porter de jolies robes à crinoline, comme beaucoup de petites filles ?

Sans doute mais je peux vous jurer que dès que j’ai dû porter un corset pendant tout un tournage, tous mes fantasmes de robes de princesse se sont évanouis à jamais ! Dans la vraie vie, à cette époque-là, les femmes ne portaient pas leur corset toute la journée. Je vous assure que c’est sacrément douloureux. Heureusement pour moi, mes deux prochains projets se déroulent dans les années 60-70. C’est une époque que j’ai très envie d’explorer sur le plan esthétique. La mode américaine alors était vraiment cool.

Qu’aimez-vous faire lorsque vous ne travaillez pas ?

Dormir ! (rires)

Mais encore…

Allez voir des films. Je sais que ça peut paraître stupide de dire ça vu que je travaille dans ce domaine mais je n’ai pas tellement le temps d’aller au cinéma, alors que j’adore ça. Les films doivent se regarder dans leur  » milieu naturel « , sur grand écran. A Toronto, le TIFF Bell Lightbox programme régulièrement de grands classiques. J’ai déjà acheté mes tickets pour une projection en 70 mm de 2001, l’Odyssée de l’espace. J’essaye bien sûr de me tenir au courant de ce qui sort mais les anciens films m’inspirent énormément.

Lorsque vous êtes à Cannes par exemple, essayez-vous d’aller voir des films ?

C’est presque impossible car votre job pendant les festivals est de faire la promo du film dont vous êtes à l’affiche. Les gens ne s’en rendent pas compte mais il n’y a rien de plus désagréable que d’assister à une projection en robe longue ! Les soirs de première, vous êtes tellement  » habillée « , ce ne sont pas du tout des vêtements conçus pour rester assis pendant plusieurs heures.

Aviez-vous la moindre idée de ce qui vous attendait lorsque vous vous êtes lancée dans cette carrière à 10 ans ?

Absolument pas. Je ne m’imaginais sûrement pas en train de faire ce que je fais en ce moment. Comme j’ai commencé très jeune, j’ai réalisé très tôt que ce ne serait pas facile et que cela allait demander énormément de travail. Mon but a toujours été de réussir à vivre de ma passion. De trouver du boulot comme actrice. Et ce n’est pas près de changer. Ce qui m’arrive à la marge, comme cette collaboration avec Giorgio Armani Beauty, c’est génial. Je me rends compte que j’ai beaucoup de chance car cela reste une industrie extrêmement compétitive. Les rejets, les refus resteront toujours difficiles à encaisser. Des moments comme cette soirée d’anniversaire aident à passer au-dessus des désagréments.

Justement, quelle a été votre réaction lorsque l’on vous a proposé de devenir le visage de Giorgio Armani Beauty ?

J’étais à la fois en état de choc et au paradis ! J’ai toujours été une grande fan de la marque, à la ville comme à l’écran. Quand on pense qu’en plus c’est en self-made-man qu’il a créé cet empire incroyable ! Toute cette expérience me semble d’autant plus surréaliste que mes grands-parents maternels étaient d’origine italienne. Lorsque je suis à Milan, comme aujourd’hui, je me sens proche d’eux, même s’ils ont disparu. Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que cela leur ferait de savoir que je suis le visage d’une grande maison italienne.

Quel est le produit de maquillage dont vous ne pourriez jamais vous passer ?

Je ne peux en citer qu’un ? Ce n’est pas possible ! Mais le truc qui a vraiment révolutionné la façon dont je me maquille moi-même tous les jours, c’est le kit Eye & Brow Maestro : Linda Cantello (NDLR : la make-up artist de la marque) m’a appris à l’utiliser sur mes yeux bien sûr mais il me sert aussi de liner et même de blush pour faire du contouring ! Ce produit peut tout faire, c’est le compagnon idéal lorsque l’on voyage. Ajoutez-lui un rouge à lèvres Lip Lacquer et vous n’avez plus besoin de rien d’autre. On pense souvent qu’il faut porter une ombre à paupières pour accentuer le regard mais les pigments de ces rouges sont tellement magiques qu’ils peuvent à eux seuls faire ressortir la couleur de vos yeux.

Mettez-vous du temps à vous libérer de vos personnages ?

Cela dépend. C’est plus facile lorsque j’ai le sentiment d’avoir beaucoup donné pendant le tournage et d’être prête à passer à autre chose. C’est toujours un peu triste mais sur chacun des projets sur lesquels j’ai eu la chance de travailler, je me suis fait une foule d’amis que je sais que je continuerai à voir même quand je serai partie sur un autre set. Un film, c’est comme un petit village. Il ne faut pas oublier les équipes qui bossent dans l’ombre, en postproduction notamment. Comme actrice, je suis ambassadrice du film, je parle à la presse mais je ne suis qu’un petit rouage dans une machinerie énorme. C’est un gigantesque effort collaboratif.

Avez-vous du mal à vous voir à l’écran ?

J’aime en tout cas découvrir le produit fini car si j’ai choisi d’y participer, c’est parce que j’aimais l’histoire, le réalisateur. C’est toutefois plus simple pour moi de poser un regard objectif sur ma performance quand je ne me ressemble pas, quand j’ai l’air très différente à l’écran de celle que je suis dans la vie. Alors, je ne me vois plus  » moi  » mais bel et bien le personnage que j’essaye d’incarner. Du mieux possible, j’espère…

PAR ISABELLE WILLOT

 » Une de mes forces, c’est de pouvoir véritablement me transformer d’un rôle à l’autre. « 

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