Fantastique ovni du design, Jaime Hayon laisse les pleins pouvoirs à son imagination débridée. Ses créations oniriques ouvrent la voie d’une nouvelle esthétique, baroque et ludique à la fois. Rencontre exclusive à Londres, où le jeune créateur espagnol vient de s’installer.

Il y avait longtemps qu’on n’avait vu pareil talent secouer aussi facétieusement le cocotier du petit monde du design. A 32 ans à peine, Jaime Hayon s’est tout autorisé : des collections déjà cultes pour quelques grands noms du secteur (comme ArtQuitect, Metalarte ou Piper-Heidsieck) aux installations déjantées dans les galeries prisées des collectionneurs. Le tout, sans se prendre, plus qu’il ne faut, au sérieux. Si le jeune créateur espagnol a choisi de faire ce métier, ce n’est pas pour inscrire son nom au panthéon des designers du xxie siècle. Ce ne sera finalement qu’une conséquence de son irrépressible envie de jouer. Sans cesse, avec les idées. Toutes celles qu’il a consignées dans ses carnets de croquis qui ne le quittent jamais. De se moquer, aussi, des règles établies. De ces faux standards du style qui voudraient qu’une salle de bains soit forcément clinique et les bibelots notoirement ennuyeux.

 » Je n’ai jamais aimé les catégories, souligne Jaime Hayon. Je suis d’ailleurs incapable de répondre à ceux qui me demandent si je suis plus artiste ou graphiste que designer. J’ai toujours dessiné pour le plaisir, tous les jours. Ce n’est pas du travail à la commission, c’est ma passion. Je me vois plutôt comme un  » penseur « , mais attention, mon cerveau est comme un monde un peu fou, rempli de tout ce que je vois, que j’observe. Mes journaux, mes carnets, sont aujourd’hui des outils superintégrés dont je me servirai peut-être un jour. Mais pour faire quoi, je n’en sais rien encore.  »

Difficile, en effet, de détecter le moindre agenda caché dans la tumultueuse trajectoire qui a amené Jaime Hayon du design de figurines Artoyz, ces jouets collectors très prisés des Japonais, à celui de meubles de salle de bains aussi audacieux soient-ils !  » Ce sont des mondes totalement différents, les gens ont parfois du mal à comprendre que j’ai pu ainsi passer d’un univers à l’autre « , poursuit-il, confortablement installé devant un cappuccino crémeux au bar du Sanderson, le célèbre hôtel dessiné par Philippe Starck, en plein c£ur du quartier londonien de Soho, où il nous a donné rendez-vous.  » J’habite juste à côté, justifie-t-il. Et c’est très calme en milieu de journée. Je vous aurais bien invité chez moi, mais il n’y a même pas encore de quoi s’asseoir, je viens juste d’emménager. J’adore cette ville, il s’y passe toujours quelque chose et c’est devenu quasi indispensable de vivre ici si vous voulez vous lancer dans une sérieuse carrière internationale.  »

Elevé en français et en espagnol, à l’aise en anglais comme en italien qu’il parle tout aussi couramment, Jaime Hayon a toujours désiré élargir son horizon.  » Barcelone, c’est une super ville… pour passer des vacances, ajoute-t-il en souriant. Mais c’est très petit finalement. L’Espagne, j’y suis né, j’y ai vécu, c’est clair que le style de vie, les traditions, le goût pour la couleur que l’on trouve là-bas doit se retrouver quelque part dans mon code génétique. Cela peut influencer mon expression artistique mais finalement comme tout ce que j’ai vécu.  »

Après des études de designer industriel suivies à l’Istituto Europeo di Design à Madrid, complétées d’un passage à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs, à Paris, où enseigne alors Philippe Starck, il rejoint la Fabrica, le centre de recherches en communication de Benetton, à Trévise. Trois mois plus tard, le photographe italien Oliviero Toscani, alors en charge du centre, le nomme directeur de la section design. Il a tout juste 22 ans.  » J’ai eu la chance de passer sept ans dans cet espace d’expérimentation incroyable, c’est là que je me suis construit, confie Jaime Hayon. En parallèle, j’ai pu commencer mes premières installations, à Londres.  » En 2003, la galerie David Gill accueille  » Mediterranean Digital Baroque « , son premier show. Un extraordinaire rassemblement de cactus en céramique entourés d’oiseaux délicats dont la valeur des objets exposés a décuplé en moins de trois années pour atteindre dans certains cas les 30 000 euros…

 » Cela m’amuse aujourd’hui lorsque l’on fait le rapprochement entre l’art et le design, ajoute le créateur. Je ne pense pas que ce soit une tendance. Cette proximité a toujours existé. Mais c’est plus facile à faire admettre aujourd’hui car il existe désormais un véritable marché. C’est presque plus intéressant pour un jeune débutant d’investir dans ses propres créations que dans une maison ! Quand j’ai créé mes premiers cactus, on me prenait pour un dingue. Car ils ne sont évidemment pas du tout fonctionnels ! Longtemps, j’ai dû me battre pour être ce que je suis, pour imposer mon style, très « freestyle ». Je me sens juste un peu mieux compris aujourd’hui.  »

Qu’il travaille en solo ou pour l’industrie, sa démarche est toujours la même.  » A l’école, on vous apprend la marche à suivre : le public a besoin de quelque chose, l’industrie le lui fabrique et le designer conçoit ce que veut le client. Ce n’est pas mon genre de design, insiste Jaime Hayon. Prenez une chaise par exemple, il n’y a pas plus étudié, plus fonctionnel que cela, les meilleures existent déjà ! La fonction seule ne suffit pas. Bien sûr, il faut que ça marche. Mais le rôle du designer, ce pour quoi on le paie, c’est pour proposer une nouvelle vision, pour offrir de la passion, des sensations, de l’émotion, de la beauté. Surprendre aussi.  »

Son buffet modulable conçu pour la collection Showtime du fabricant espagnol Bd en est un parfait exemple.  » Tout le monde s’y retrouve, s’enthousiasme Jaime Hayon. Moi, je voulais créer ce meuble incroyable, bleu laqué, de six mètres de longueur, avec des pieds de tous les styles, Art déco, Louis XV, moderniste… Et il existe ! C’est un produit typiquement contemporain : c’est une idée, une parmi d’autres. Je ne dis pas que c’est la seule, c’est une proposition que vous pouvez adapter à votre guise. Ce meuble est entièrement modulable : vous pouvez choisir la couleur, la longueur et le genre de pieds que vous voulez. Quand je regarde les carnets de commandes, je vous assure que c’est vraiment très partagé, les gens customisent ce buffet à leur guise. Il y a ceux qui achètent le modèle Jaime et puis le type qui veut un simple bloc blanc sur quatre pieds classiques. Et moi, je suis comblé : j’ai réussi à faire adopter mon idée un peu folle à une entreprise qui s’y retrouve en termes d’image et qui laisse aussi le choix au client.  »

Une liberté que le créateur cherche pour lui aussi à conserver, à tout prix. En trois ans à peine, le nombre de ses commanditaires a plus que quintuplé. Et les envies de s’essayer à d’autres exercices de style comme la mode, l’aménagement d’intérieur et même la gastronomie ne manquent pas. Mais notre insatiable expérimentateur s’oblige à résister aux sollicitations.  » Je refuse des projets tous les jours, reconnaît-il. Car je ne suis pas le genre de type qui peut se contenter de faire un dessin et de découvrir comme tout le monde le résultat sur le stand au salon du meuble de Milan. J’ai besoin de mettre mon grain de sel à toutes les étapes de la conception, même le plan de communication. Je veux aussi garder du temps pour mes projets personnels. Là, il n’y a pas d’intermédiaires. Vous touchez à l’essence même de la profession : passion, création, émotion.  » Eternelle quête de sensations, qui fait courir Jaime aux quatre coins du monde…

Isabelle Willot

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