H&M, Etam et Zadig & Voltaire se sont invités à la Fashion Week parisienne. Signe d’une certaine démocratisation de la mode ? Ou d’une gigantesque confusion des genres ? Défenseurs et détracteurs prennent position. Tour d’horizon.

Quand H&M décide d’organiser un défilé durant la semaine de la mode de Paris, la marque suédoise ne fait pas les choses à moitié. En mars dernier, l’événement a pris place au musée Rodin. Pour l’occasion, le bureau Betak, producteur des plus gros shows (Dior, Viktor & Rolf, Michael Kors, Diane von Furstenberg, Rodarte…) a reconstitué un luxueux appartement, dans une tente de 1 500 m2, pour accueillir 700 invités du gratin fashion et people. Tous ont vu les plus grands tops du moment (Cara Delevingne, Arizona Muse…) présenter les modèles de l’automne-hiver 13-14, avant de se trémousser lors d’une inoubliable soirée.

Même sens de la démesure pour la ligne de lingerie Etam, dont le sixième défilé a eu lieu, pour la première fois, durant la Fashion Week de la Ville lumière. Devant un parterre de convives triés sur le volet, des filles aux mensurations parfaites ont dévoilé leurs dessous en dentelle, tandis que les chanteuses Lykke Li, Selah Sue, M.I.A., Rita Ora et Lily Allen ont poussé la chansonnette en live, sous la direction artistique de Mark Ronson. Le tout retransmis en live et en 3D dans vingt villes de France, où la marque avait invité ses clientes.

 » La semaine de la mode de Paris est la plus emblématique des Fashion Weeks, justifie-t-on au service communication d’Etam. Une bonne raison de faire parler de notre marque au milieu des grands noms. Notre show est désormais attendu. Il bouscule effectivement les défilés des créateurs, mais l’enthousiasme tant des journalistes que des people et leaders d’opinion nous prouve qu’il y a aussi une place pour les retailers et acteurs de la mode à petits prix. Aujourd’hui, on est capable de porter une veste Chanel avec un top Etam et un pantalon d’une griffe de fast fashion. Pourquoi, dès lors, se priver d’un défilé qui est aussi grandiose que ceux donnés par les maisons de luxe ? Nous sommes également des créateurs de mode et d’émotions !  »

Ce phénomène de marques accessibles qui défilent au même moment que les plus grandes griffes de luxe dépasse largement les frontières de la France. Le label Mango est présent pendant la semaine de la mode de Barcelone, tandis que Desigual fera ses débuts à la Fashion Week de New York, dans quelques semaines. Du côté de Londres, River Island a dévoilé, en février dernier, sa collection capsule imaginée par la chanteuse Rihanna.  » Il me semble que l’arrivée de ces griffes est influencée par le relatif succès des défilés TopShop à Londres, qui ont assis une image de marque très pointue à l’enseigne britannique, estime Loïc Prigent, réalisateur de documentaires de mode et fin observateur du milieu. Ses défilés sont assez aiguisés et pointus. Ils sont crédibles auprès des rédactrices, même si le label n’essaie pas de jouer la carte du luxe, mais bien celle de la mode.  »

Cette présence de nouveaux acteurs dans le calendrier des Fashion Weeks fait évidemment grincer des dents dans le secteur.  » Utiliser la Haute couture ou la semaine de la mode pour faire de l’image, sans avoir le message qui convient à la presse alors présente, me paraît être du temps perdu « , considère Didier Grumbach, président de la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode (lire par ailleurs). Plus posé, Loïc Prigent ne tient pas à rejeter en vrac ces défilés :  » Il y a de la place pour tout le monde sur le calendrier parisien, toutes les maisons, tous les points de vue, tous les fous. Mais les contraintes des marques bon marché ne sont pas celles des maisons de luxe. Ce n’est pas la même clientèle, la même problématique, la même image.  » Pour le réalisateur, une enseigne grand public à petits prix qui se lance dans l’organisation d’un défilé face à des mastodontes du haut de gamme, c’est une bonne idée sur papier, et ce d’autant plus que ces marques ont un budget communication quasi infini et des ressources inépuisables.  » Mais, dans la réalité, si ces griffes possèdent un carnet de chèques, elles n’ont pas forcément l’alchimie, c’est-à-dire le studio, l’ADN et l’état d’esprit très particulier qui permettent l’élaboration d’une collection et de ce « moment défilé ». Un show n’est pas qu’un événement à organiser. C’est aussi le reflet d’une vision de la mode radicale. Et là, cela engage une réflexion à long terme.  »

MONTRER PATTE BLANCHE

N’importe qui peut choisir de présenter sa nouvelle collection durant la Fashion Week de Paris, mais peu d’élus ont néanmoins la chance d’être adoubés, en intégrant le calendrier officiel des défilés. Pour ce faire, il faut rentrer une candidature auprès de la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode. En général, l’association reçoit une dizaine de demandes pour un ou deux nouveaux invités, seulement. Parmi les critères étudiés, elle analyse le répertoire du créateur ou de la marque concernée, qui se doit d’être spécifique et singulier. L’intérêt de la presse et des acheteurs est aussi pris en compte.

S’il y a peu de chance pour qu’H&M et Etam décident un jour de soumettre un tel dossier, ce n’est pas le cas du label Zadig & Voltaire. Celui dont le premier défilé a pris place dans le calendrier Off de la semaine de la mode, en mars dernier, espère cette fois faire partie de la sélection officielle, dès le mois de septembre.  » Le niveau est haut, mais notre griffe a inventé un style, une allure rock-chic, revendique Cécilia Bönström, directrice artistique. Nous avons un ADN qui n’appartient qu’à nous. Nous avons évolué vers une authenticité et une maturité. Nous racontons désormais une nouvelle histoire. De ce point de vue, défiler nous permet de confirmer notre statut de maison de mode française. Le show nous donne une visibilité internationale, très importante pour notre développement.  »

Monter en gamme pour Zadig & Voltaire, surprendre sa clientèle et rendre hommage à son équipe de style, chez H&M (lire par ailleurs), faire parler de la marque, du côté d’Etam : les raisons sont multiples, quand il s’agit de justifier sa présence durant la Fashion Week.  » Ces marques essaient avant tout de se différencier de la concurrence, considère Donald Potard, fondateur d’Agent de Luxe, agence de conseil pour les entreprises et les créateurs. Elles vendent des produits accessibles, mais, tel l’oiseau qui se pare des plumes du paon, elles empruntent des caractéristiques du luxe, afin d’offrir à leurs clients du rêve.  » Pour le consultant, cette stratégie est à la fois bonne et mauvaise. Bonne, pour le buzz que les marques suscitent. Mauvaise, car énormément de défilés sont organisés durant les périodes de collections.  » Or, ces enseignes sont de gros annonceurs publicitaires et ont un pouvoir énorme sur la presse, qui se fait un devoir d’assister à leurs événements et les relayer.  »

Par ailleurs, il ne faudrait pas que les enseignes de fast fashion tirent la semaine de la mode vers le bas.  » Ce qu’elles ont à montrer n’est généralement pas extraordinaire, poursuit Donald Potard. Finalement, elles n’ont pas besoin de défiler pour vendre. Si c’est uniquement pour faire parler d’elles, pourquoi dès lors ne pas le faire de façon généreuse ? Elles pourraient en profiter pour aider de jeunes créateurs.  » Les possibilités sont nombreuses : prêter un endroit où défiler à des talents prometteurs, leur proposer de montrer leur collection en préambule à leur show…

CONFUSION DES GENRES

Il suffit de regarder en arrière pour constater que ce n’est pas la première fois que les acteurs de la mode à petits prix flirtent avec le monde du luxe. Ils lancent des collections capsule avec de célèbres créateurs (Karl Lagerfeld, Stella McCartney…), travaillent avec d’illustres photographes et mannequins en vogue… Mais les labels haut de gamme tentent, eux aussi, de brouiller les pistes. Historiquement, cela a commencé en France, dans les années 50, avec le début du prêt-à-porter, qui a permis la production en série de vêtements et plus seulement de pièces sur mesure. Est ensuite venu le temps des lignes Bis, plus accessibles, des collections de jeans, article grand public par excellence, sans oublier la diversification à travers les produits de beauté, lunettes, montres, linge de maison, etc.  » Les griffes ne peuvent plus se contenter d’être des labels textiles, considère le fondateur d’Agent de Luxe. Pour survivre, elles sont obligées d’investir des domaines annexes et de devenir de véritables marques d’art de vivre. C’est le cas des maisons prestigieuses tout autant que des labels d’entrée de gamme.  » D’où l’apparition de cette grande confusion des genres, où chacun finit par utiliser les mêmes recettes génératrices de profit et de visibilité, que ce soit en organisant un défilé ou en imaginant une ligne de draps de bain.

De là à dire que les marques finiront par toutes se ressembler ? Rien n’est moins sûr, puisqu’il y aura toujours la qualité du produit, le savoir-faire et la créativité pour distinguer griffes de luxe et marques easy chic. Reste à savoir si ces deux catégories d’acteurs seront amenées à cohabiter lors des Fashion Weeks.  » Parmi un certain nombre de scenarii possibles, on peut supposer que si cette situation va en s’aggravant, certaines maisons décideront de partir ailleurs, ou voudront présenter leurs nouveautés de manière distincte, voire à un autre moment, avance Donald Potard. Le principe même du luxe n’est-il pas de se différencier de la masse ?  »

En outre, l’époque où les shows s’adressaient à un cercle d’initiés est révolue.  » Avec la diffusion de ces événements en direct, les invités ne représentent qu’un pourcentage minime par rapport à l’ensemble des gens qui assistent virtuellement à la présentation d’une nouvelle collection « , calcule le consultant. Les commentaires et photos postés immédiatement sur les réseaux sociaux, sans compter l’augmentation exponentielle du nombre de ventes en ligne, modifient également sérieusement la donne. Qui sait, dès lors, si un nouveau mode de communication ne remplacera pas bientôt les défilés. Mais là, le débat est tout autre…

PAR CATHERINE PLEECK

 » Aujourd’hui, on est capable de porter une veste Chanel avec un top Etam.  »

 » Si ces griffes possèdent un carnet de chèques, elles n’ont pas forcément l’alchimie.  »

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